mardi 16 avril 2024

Sœurs d'Ys

Une BD scénarisée par M.T. Anderson et dessinée par Jo Rioux, publiée chez Rue de Sèvres.


Rozenn et Dahut viennent de perdre leur mère adorée. Tandis que leur père s’abîme dans les plaisirs et se décharge de ses responsabilités, les deux jeunes princesses doivent trouver le moyen d’apaiser leur chagrin  tout en découvrant quelles adultes elles espèrent devenir. J’ai particulièrement aimé les pages qui les montrent en parallèle, lors de leur première dispute. Chacune vit son deuil à sa façon et grandit tant bien que mal, livrée à elle-même. Pendant que Rozenn devient une bienveillante sorcière des bois, amie des animaux, Dahut s’adonne à la magie et recherche le pouvoir dans les livres. Elle qui détestait son père, elle en deviendra l’instrument.
Les deux petites filles emplies de chagrin deviennent ainsi deux belles jeunes femmes aux antipodes l’une de l’autre. Rozenn bat la campagne, insouciante, alors que Dahut profite des plaisirs de la cour, mais doit aussi en assumer seule les responsabilités. Deux sœurs autrefois proches qui se sont éloignées l’une de l’autre peuvent-elles se retrouver malgré les chemins si différents qu’elles ont empruntés et les rancœurs qui les habitent ?
Cette belle BD réinterprète la légende bretonne de la glorieuse cité d’Ys. Je dois avouer que c’est loin d’être ma réécriture préférée car trop simpliste et manichéenne à mon goût. J’ai aimé les deux sœurs, mais elles n’ont aucun relief. Il y avait matière à apporter de la nuance au récit et plus de profondeur aux personnages. En revanche, j’ai beaucoup aimé les dessins, l’usage de la couleur et la texture. J’ai pris grand plaisir à admirer les détails, à feuilleter et re-feuilleter ce livre pour en admirer les illustrations.

jeudi 11 avril 2024

Les moelleuses au chocolat

Un recueil de nouvelles de Silène Edgar, publié chez Gephypre.

Présentation de l'éditeur :

Création vengeresse, puissance libératrice, magie féérique, nouveau sens organique, jeu épistolaire, folie douce, péché capital : sept nouvelles toutes en érotisme et chocolat, qui embrassent les genres de l’imaginaire et les enrobent d’une liqueur cacao à vous faire fondre… sans oublier l’humour, épice indispensable pour lier ces créations concoctées avec amour & gourmandise.

Au menu :
- La chocolatière de Hamelin
- Ève
- La cuisson parfaite
- Effluves
- Entre mes lignes
- Les gourmandes
- Une petite cantate
Évidemment, chaque nouvelle est complétée par ses recettes exclusives et coquines, à cuisiner à deux (ou plus).

Dans ce recueil tout en sensualité et gourmandise se côtoient une sorcière tentatrice et revancharde, une Galatée chocolatée, une veuve qui sait ce qu’elle veut, une fille-fée qui désespère d’être aimée pour elle-même, une mégère apprivoisée et un certain nombre de gourmandes impénitentes toutes plus séduisantes les unes que les autres. Je me suis laissé envelopper par la douceur cacaotée de leurs histoires à la saveur de contes. J’ai trouvé entre ces pages un brin d’érotisme, des torrents de sensualité, beaucoup de gourmandise et tout autant d’amour.
Toutes ces histoires m’ont séduite d’une manière ou d’une autre, mais j’ai une certaine tendresse pour celle de Mahaut, un peu fée, un peu sorcière et surtout fort pragmatique. J’ai aussi particulièrement apprécié Entre mes lignes, un récit aussi drôle qu’attendrissant. Le symbolisme d’Ève, à qui la précision et la mégalomanie donnent corps, mais qui ne prend vie que grâce à la tendresse et au désir a également touché mon cœur de guimauve.
Ces nouvelles ont quelque chose de réconfortant, comme le chocolat qui les a inspirées. Elles explorent le désir, l’éveil des sens, mais aussi la sensation de tomber en amour et sont pour la plupart extrêmement positives.
Les textes sont joliment tournés, poétiques et imagés. Ces récits fortement inspirés de contes sont agréables à lire et se savourent comme autant de mignardises. Il faut être raisonnable, car ce petit livre peut aussi bien se dévorer trop vite. L’autrice a pris soin d’agrémenter ses nouvelles de recettes alléchantes, pour entretenir l’appétit de ses lecteurs, et j’ai bien envie d’en essayer certaines.
J’avais déjà lu Silène Edgar et je trouve qu’elle excelle dans l’art de conter des nouvelles. Ce fut une très plaisante lecture.


mardi 9 avril 2024

Un thé pour Yumiko

Une BD de Fumio Obata, publiée chez Bayou.


Yumiko est graphiste, elle vit à Londres depuis longtemps et elle n’a pas l’intention de retourner au Japon pour autre chose que des vacances. Elle a tout fait pour se construire une vie dans ce pays et elle semble heureuse, jusqu’au jour où elle reçoit un appel de son frère lui annonçant la mort de leur père. Yumiko doit rentrer au Japon pour les funérailles et commence à s’interroger sur ses choix, ses émotions et ses envies.
On plonge dans les souvenirs de la jeune femme avec incertitude. Elle semble tourner autour de quelque chose, une idée persistante ou une fêlure, personnifiée par le personnage d’une pièce de théâtre nō. Elle cherche en elle la signification de cette image. Elle pense à son père et à ce qu’il voulait pour elle. On se rend vite compte que Yumiko s’est sentie tiraillée entre les ambitions différentes de ses deux parents et les deux existences qu’ils espéraient pour elle. Est-elle sûre de ce qu’elle souhaite ?
Yumiko entame un voyage symbolique dans lequel elle va apprendre qu’on se construit en permanence. Elle expérimente une sorte d’effondrement qui mène à la renaissance, en parallèle des rituels funéraires qui l’ennuient et qu’elle trouve vains, censés accorder à son père une nouvelle existence sur un autre plan.
Cette belle BD parle de deuil, de la vacuité de certaines choses que l’on s’impose, de la difficulté de laisser derrière soi le poids des attentes que les parents font peser sur nous pour enfin être soi. Elle parle aussi de déracinement et d’expatriation, du travail constant que cela demande et de l’incompréhension des proches. Elle parle de manque et de rêves fragiles. Enfin, cette histoire nous parle d’émotions et d’une jeune femme cherchant à apprivoiser les siennes. 
J’ai beaucoup aimé le style graphique crayonné et la colorisation à l’aquarelle qui apportent lumière et douceur à l’ensemble. Cette lecture fut pour moi un très beau voyage spirituel.

jeudi 4 avril 2024

Hippolyte

Une BD scénarisée par Clotilde Bruneau et dessinée par Carole Chaland, publiée chez Vents d'Ouest.


Hippolyte est une ville cachée, peuplée uniquement de femmes qui font ce qu’elles peuvent pour survivre dans un monde hostile. Avec ces amazones du Far West, attendez-vous à de la violence, des attaques de convois monétaires, des trahisons et des personnages dénués de tout sens moral. En somme, quelque chose d’assez classique pour un western.
Je n’ai pas réussi m’impliquer dans cette histoire au scénario délayé. Je peux imaginer pourquoi ces femmes ont choisi de répondre à la violence par la violence, mais j’aurais aimé en apprendre davantage sur leurs parcours respectifs. Je déteste quand les auteurs créent beaucoup de personnages et ne leur donnent aucune profondeur. C’est très fouillis au départ et on sait à peine qui est qui à la fin. On nous bombarde de prénoms et ça s’arrête là. Il n’y a guère que Victoria et les deux autres femmes de sa famille qui sont un rien plus esquissées que les autres. Les motivations de personnages pourtant importants, comme Brooke pour ne citer qu’elle, nous restent étrangères. Je peux comprendre que ces femmes soient dures, vu leur vie, mais elles sont aussi inexpressives et inflexibles que du marbre. On ne peut pas ressentir d’empathie pour des personnages aussi plats, qui semblent eux-mêmes n’avoir aucun sentiment.
J’ai particulièrement détesté la gamine psychopathe. Elle est exaspérante durant toute la BD et la conclusion de son histoire est bâclée. Franchement, tout ça pour ça ?
Ce western féminin ne m’a pas convaincue du tout. 

mardi 2 avril 2024

Panique à Wahlbourg, Bigoudis & petites enquêtes T1

Un roman de Naëlle Charles, publié chez Archipoche et chez Audible pour la version audio. Celle-ci est lue par Sébastien Desjours et Eve Reinquin.


Dans ce cosy mystery à la française, on suit Léopoldine, trente-six ans et maman de deux ados insupportables. Elle a toujours rêvé d’être flic mais est devenue coiffeuse. Oh, elle aime bien son travail, mais ça manque un peu de piquant à son goût. Alors quand elle trouve le corps d’une de ses connaissances dans le parking de l’hypermarché, elle est bien décidée à se mêler de l’enquête. Oui, dit comme ça, Léopoldine a tout l’air d’une écervelée. Cependant, elle ne l‘est pas. Elle prend certes des décisions discutables parfois, mais elle n’en est pas moins intelligente quand elle veut.
Son partenaire d’investigation, Quentin Delval, rêvait aussi de devenir gendarme, mais une sanction disciplinaire l’a placé contre son gré dans la petite ville alsacienne où a grandi Léo. Il a beau être gradé, il manque cruellement d’expérience et même s’il fait sa tête de cochon au début, il est bien content d’avoir l’aide de Léo. Quentin peut sembler détestable au début, mais si on arrive à passer outre les premiers chapitres, on se rend vite compte qu’il n’est pas si mal.
J’ai bien aimé la dynamique entre ces deux personnages qui semblaient pourtant très mal partis. Il faut dire qu’ils ne sont pas aidés, l’autrice ne leur a épargné aucun cliché. Léo prend particulièrement cher avec son horrible famille. Cela semble la norme dans les cosy, mais au moins elle se rebiffe, contrairement à d’autres héroïnes qui persistent à se laisser marcher dessus. 
L’intrigue ne casse pas trois pattes à un canard, mais reste plausible, même si très perchée sur la fin. J’ai surtout aimé l’ambiance de petite ville et les personnages malgré les poncifs. Le tout est quand même assez répétitif. Les ados, qui font office de ressort comique, deviennent vite lourds à la longue.
J’ai choisi la version audio de ce roman et je pense que j’ai bien fait. Elle se prête particulièrement bien à la narration choisie par l’autrice qui s’adresse souvent directement au lecteur. Je n’aurais pas eu la même patience avec la version écrite, d’autant que le style est assez simpliste. Les narrateurs ont fait un excellents travail et je crois qu’ils ont contribué à me rendre les personnages sympathiques. Ce n’était pas gagné, Léo et Quentin peuvent se montrer très arrogants au début, mais on apprend à les aimer petit à petit.
C’était sympa, mais sans plus. J’ai envie de donner une chance à la suite pour voir comment les personnages vont évoluer, mais ce ne sera pas dans l’immédiat.

jeudi 28 mars 2024

La Volière aux souvenirs

Une BD écrite par Valérie Weishar-Giuliani et dessinée par Nina Jacqmin. Publiée chez Jungle.


Louison est très proche de Fantine, sa grand-mère, et trouve auprès d’elle le réconfort dont elle a besoin durant une période très difficile de sa vie. L’adolescente a perdu son père et voit jour après jour sa mère s’enfoncer dans la dépression. Patience, gentillesse ou colère, rien n’y fait, sa fille ne parvient pas à la faire réagir. Alors Fantine explique à Louison que les émotions sont parfois traîtresses et que nous ne les exprimons pas tous de la même manière. Elle-même a, depuis l’enfance, pris l’habitude de dessiner les siennes. Elle en fait des oiseaux de papier qu’elle place dans une volière, ce qui lui vaut, au mieux, d’être considérée excentrique. Pour sa petite fille, elle décide de déplier ses oiseaux afin de lui conter une partie de leur histoire familiale.
Il est monnaie courante d’être en conflit avec ses parents ou ses enfants, surtout au moment de l’adolescence, alors que la relation entre grands-parents et petits-enfants permet souvent de transcender l’écart entre générations. Sans doute parce que les grands-parents ont d’une part eu le temps de méditer leur expérience de parents et d’autre part n’ont pas la même responsabilité éducative envers leurs petits-enfants. Le fait est que, dans cette BD, le lien entre la grand-mère et la petite-fille va permettre de réparer les liens mère-fille de l’une et de l’autre.
Alors que Louison vit un nouveau chagrin et est encore une fois forcée de grandir plus vite, Candice, sa mère, doit quant à elle lutter contre sa léthargie et regarder en face toutes les rancœurs accumulées. Étrangement, c’est dans le conflit qu’elle va trouver un peu de force, juste l’élan qu’il lui faut pour réaliser que d’autres partagent son chagrin et qu’il faut aimer les gens tant qu’ils sont encore là. Elle va à la fois mieux comprendre sa fille et sa mère, mais aussi ses propres émotions et la façon délétère dont elle les gère.
Au fur et à mesure que sont dépliés les oiseaux de papier de Fantine, les sentiments des trois femmes se répondent et s’expliquent, s’entremêlent et renforcent leurs liens. Cette histoire est belle, douce et poétique. Elle parle d’amour, de transmission intergénérationnelle et de partage. Elle nous montre aussi l’importance de l’expression par l’art et toutes formes de créativité. En permettant aux personnages d’expérimenter plus d’empathie, elle les pousse vers la résilience.
Les dessins sont très jolis, y dominent des tons parme, avec des touches orangées, roses et éthérées. Ces couleurs pastel et vaporeuses apportent au récit une lumière aurorale. Aurorale et non crépusculaire, car les couleurs sont douces et poudrées, porteuses d’espoir plus que de nostalgie. J’ai particulièrement apprécié l’aspect graphique de cet album.

mardi 26 mars 2024

Le Prince et la Couturière

 Une BD de Jen Wang, publiée chez Akileos.


C’est l’histoire d’une fille qui rêve de faire des robes extravagantes, mais fait office de petite main dans un atelier. C’est aussi l’histoire d’un prince qui, certains jours, préfère être une princesse. Passionnés de mode, Francès et Sébastien étaient faits pour se rencontrer, cependant, sans un coup de pouce du hasard, ils n’auraient jamais dû se croiser. Avec une bonne dose de foi l’un envers l’autre, ils vont décider de faire équipe et de vivre leurs rêves.
J’ai aimé la façon dont ces deux-là apprennent à se connaître et se livrent leurs secrets petit à petit. Leurs espoirs s’entremêlent et ils s’encouragent. Enfin, c’est le cas au début. Eh oui, parce que si tout était idyllique, il n’y aurait pas d’histoire… Nos deux jeunes personnages sont vite rattrapés par les réalités de la vie. Quand l’un a peur que son secret s’ébruite, l’autre craint de rester toute sa vie dans l’ombre…
On pourrait leur reprocher leur incapacité à faire des compromis, mais il faut se souvenir qu’ils sont fort jeunes et que la situation pourrait se révéler très problématique pour l’un d’entre eux qui a très peur de la réaction de son entourage. Francès et Sébastien sont attachants malgré la construction sans nuances de leur caractère. Ils restent avant tout deux adolescents qui essaient de trouver leur place, entre ce à quoi ils aspirent et ce que la société attend d’eux. L’un doit se conformer aux attentes et espoirs de ses parents qui le préparent à devenir roi, l’autre aux exigences de l’industrie de la mode qui brident sa créativité.
Jusqu’à quel point peut-on accepter de faire des concessions sans dévier de ce que l’on est et de ce que l’on  souhaite ? La question se pose d’autant plus pour un travail créatif comme celui de Francès ; entre ce que l’on aspire à créer et ce qui se vend, il y a parfois un monde. Si Sébastien est touchant dans sa façon de ne vouloir décevoir personne, Francès l’est quant à elle dans son amour pour son travail.
Cette BD nous conte une jolie histoire sur l’acceptation de soi, la tolérance et la volonté de croire en ses rêves. Cela manque un peu de profondeur, mais est néanmoins très mignon.
Les dessins, fort simples, dans un style un peu naïf, sont adaptés à la nature de l’histoire. L’usage de couleurs vives est bienvenu car il apporte de la vie à l’ensemble.
À la fin de l’ouvrage se trouve un court dossier dans lequel l’autrice explique son processus créatif. J’apprécie toujours ce type de bonus et celui-ci est intéressant.
C’est une belle lecture pour un jeune public.