mardi 16 juillet 2024

Le Royaume des fantômes : Mœurs, folklore, littérature

Un essai de Jacques Finné, publié chez Terre de Brume.


Dès l’introduction, l’auteur exprime son désir de tendre vers l’exhaustivité des sujets traités dans son ouvrage, mais aussi de faire de celui-ci un point de départ pour le lecteur qui souhaiterait mener de plus amples recherches. On ne saurait trop s’attarder si l’on veut pouvoir explorer des pistes aussi nombreuses, le choix est donc logique. Ainsi il évoque le fantôme dans tous ses états et de par le vaste monde, accumulant les anecdotes et références. Il mêle aussi bien les échos de faits divers et croyances populaires que les récits issus de la fiction.
Le choix de mélanger le tout est discutable quand on prétend écrire un essai. L’auteur prend soin de le justifier dans l’introduction, cependant il ne m’a guère convaincue, même si j’ai une affection toute particulière pour la littérature fantastique et que les histoires de fantômes en constituent un pan non négligeable. Je ne suis pas contre le fait d’en parler dans ce livre, la place du fantôme dans l’imaginaire est un excellent complément (et disons-le sans ambages, le livre serait bien mince sans cela) mais la « réalité » (ou ce que l’on croit l’être et qui tient en tout cas du domaine de l’anecdote historique) et la fiction auraient dû être séparées pour davantage de clarté. L’auteur ayant en outre choisi de consacrer le dernier tiers de son livre exclusivement à la fiction, elle aurait pu s’y cantonner et nous éviter quelques répétitions. Au lieu de simplement illustrer le propos, la fiction lui sert à le justifier. Cela franchit à mon sens la ligne de l’objectivité qu’on est en droit d’attendre d’un essai.
On s’égare souvent entre ces pages et certaines informations laissent perplexe. A-t-on réellement l’utilité d’une longue liste de tous les sens figuratifs du terme fantôme et de ses synonymes, ainsi que des expressions populaires dans lesquelles on peut les trouver ? La leçon de vocabulaire mise à part, l’auteur aborde néanmoins de nombreux sujets, dont certains très intéressants. Il n’en reste pas aux apparitions humaines mais évoque également les lieux ou objets fantômes ainsi que le spiritisme. En cela je lui accorde qu’il nous offre de nombreuses pistes de réflexion et, somme toute, une bonne compilation de connaissances sur ce vaste sujet.
Cependant, la construction de cet essai me laisse dubitative. Pas de chapitrage (de temps en temps l’auteur se rappelle de glisser un titre pour esquisser un fantôme de plan — pardonnez le jeu de mot facile — mais persiste à partir en tous sens) ni d’organisation logique. Tous les thèmes se mélangent allègrement malgré quelques tentatives de créer des corrélations par-ci par-là. Cela n’est pas dérangeant à la lecture, pour peu qu’on soit doté d’un esprit curieux de tout, mais bon courage pour retrouver une information après-coup. La dernière partie, concernant le fantôme dans les arts, est un peu plus structurée, mais comme elle colonisait déjà le reste de l’ouvrage ce n’est qu’une compilation de plus, même si elle est cette fois chronologique. L’auteur semble ignorer de surcroît toute la production, pourtant fort riche, des quinze dernières années. On trouve peu de références datant d’après l’an 2000 dans ce livre, mais on peut en pêcher deux ou trois et la plus récente date, je crois, de 2008. Je me suis interrogé sur ce choix et il s’avère après vérification que cet ouvrage est en fait une réédition. Sa parution initiale date de 2012. Il aurait mérité une petite mise à jour, mais ceci explique cela. On ne saurait bien entendu être exhaustif, d’autant que le fantôme s’épanouit davantage dans la nouvelle et qu’on peut facilement passer à côté de certaines perles glissées çà et là dans des anthologies, dont certaines assez confidentielles. Toutefois, il s’en est passé des choses en vingt ans qui méritaient notre attention. Émane aussi d’entre ces pages un parfum de « c’était mieux avant » qui me laisse blasée, mais peut-être n’est-ce qu’une mauvaise interprétation de ma part.
L’auteur ne se prive pas de quelques raccourcis faciles et discutables pour justifier son propos. Certaines de ses remarques suintent la condescendance, voire la misogynie parfois, même s’il s’en défend et encense quelques rares autrices. J’aimerais l’inviter à s’intéresser à l’histoire de la mode et en particulier celle des vêtements féminins, il pourrait y apprendre quelques faits ignorés sur les corsets et dépoussiérer certaines idées reçues. C’est là qu’on voit qu’entre la littérature et l’histoire se trouve parfois un vaste fossé qu’il n’est pas bon d’ignorer sous peine d’y verser.
Mais revenons au sujet… Cet essai est donc un tissage de références, évocations succinctes qu’il faut attraper au vol, dont certes l’enchaînement n’est pas désagréable à lire mais aurait mérité une organisation plus rigoureuse et, surtout, substantielle. Pléthore de références et une abondante bibliographie vous ouvriront toutefois les portes de recherches plus ciblées ou de découvertes littéraires fascinantes si tel est votre souhait.