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vendredi 10 août 2018

La Légende des plumes mortes

Un roman de Maëlig Duval, publié chez Gephyre.

Il s'agit d'une version augmentée de la novella L'Après-dieux, dont vous pouvez consulter ma chronique sur ce blog.

Présentation de l'éditeur :
Les dieux ont disparu, entraînant le décès des humains qui leur étaient le plus liés, la guerre civile et l’apparition d’une nouvelle mort.
Dans cette société en reconstruction sous la férule d’un gouvernement totalitaire, Albert, fonctionnaire, établit des rapports sur les lieux à restructurer. Parfois, il se souvient des dieux, mais hésite à en parler, même à sa maîtresse, sous peine d’être soupçonné de sédition.
Jusqu’au jour où il rencontre Eva qui raconte les légendes proscrites à son fils. Lequel est persuadé d’être destiné à sauver les dieux.
Un enfant, si différent soit-il, aurait-il le pouvoir de changer le monde ?
La vie d’un lecteur est jalonnée de coups de cœur. Cependant, si certains ouvrages sont réjouissants durant leur lecture, leur souvenir s’affadit parfois avec le temps et l’on n’a pas toujours envie de les redécouvrir plus tard. Ce sont les livres qui étaient là au bon moment, mais cet instant était fugace et ne reviendra plus, même si le lecteur, qui en a bien conscience, leur conservera sa tendresse. 
D’autres lectures, elles, sont en revanche intemporelles. Ce sont celles qui restent, qui s’incrustent dans l’imaginaire au point qu’elles semblent en avoir toujours fait partie. Elles vous changent et vous construisent. On peut les lire vingt fois, elles feront toujours écho. Pour moi, La Légende des plumes mortes est de celles-ci. 
J’ai découvert cette histoire dans sa précédente édition, L’Après-dieux chez Griffe d’encre et j’ai su tout de suite qu’elle avait quelque chose de particulier. Alors quand Gephyre a publié une version enrichie, j’ai tout de suite eu envie de la lire. 
Toutes ces années, l’émotion de ma première lecture a perduré, le grand désarroi qui l’avait accompagnée aussi. Il m’est revenu comme un boomerang. Car ce n’est pas une lecture facile. Elle est empreinte d’espoir comme de désespoir, d’amour autant que de tristesse et de nostalgie, de quelque chose de perdu qui ne reviendra jamais. Mais on en sort grandi, je crois. Elle m’a bouleversée à l’époque, elle me touche encore aujourd’hui. 
Dans le monde créé par Maëlig Duval, les humains vivaient en harmonie avec leurs dieux, sorte d’immenses oiseaux au plumage majestueux, qui venaient les écouter dans les temples. Leur vie était rythmée par les marches du temple, symboles des différents âges, qui les rapprochaient des dieux à mesure qu’ils vieillissaient. Quand un humain mourrait, son corps, à l’origine façonné et offert par les dieux, se changeait en poussière et ne restait de lui qu’une plume qui partait alors rejoindre le plumage divin. Mais les dieux ont disparu subitement, laissant les humains orphelins, en proie à la peur, aux conflits internes et à la vraie mort. 
Dans ce monde désenchanté, Albert est un fonctionnaire zélé qui travaille même durant ses congés pour ne pas trop penser à ce que l’humanité a perdu. C’est ainsi qu’il va tomber sur des gens oubliés par le système, dans un petit village promis à la démolition, et devenir, bien malgré lui, un légendier. 
La Légende des plumes mortes est un grand roman, intimiste, original, réfléchi, contemplatif aussi et souvent équivoque. Il a la saveur des légendes et des mythes ; il porte bien son titre. La nouvelle fin, un peu plus complète que celle dont je me souviens (je ne peux vérifier pour le moment) m’a laissé une impression très ambiguë. J’ai toutefois aimé relire cette histoire, la voir s’étoffer dans cette nouvelle version.
Il y a quelque chose de particulier dans ce récit, indéfinissable et poétique. Il nous parle de foi, de la fragilité de l’âme et de la beauté de la mortalité, de la façon dont se façonnent les légendes et les héros. Il nous dit que la façon dont on choisit de vivre notre vie peut changer le monde. 
Ce roman mérite d’être davantage connu et j’espère que vous lui en donnerez l’occasion.

samedi 11 mai 2013

L'après-dieux

Une novella de Maëlig Duval, publiée chez Griffe d'Encre.
*
L'après-dieux
Albert Vaclau est fonctionnaire au bureau de la Reconstruction.
Il évalue de 1 à 5 les dégâts de la guerre civile dans les villages à reconstruire.
Il classe les organisations non gouvernementales de 1 à 9, selon leur niveau de sédition.

Mais quand il rencontre Eva et son fils, il doit se rendre à l’évidence : aucune échelle de valeurs ne peut s’appliquer à eux.
L’après-dieux, ou comment apprendre à vivre sans espoir alors que l’on frôlait du doigt la divinité.
Dans un monde post-apocalyptique qui tente de se reconstruire péniblement, un monde qui a perdu son humanité, son espoir, son avenir, vont se croiser des gens qui, peut-être, auront le pouvoir de réchauffer leurs âmes et de ranimer l’espérance en veillant les uns sur les autres.
Cette novella est un texte étrange, magnifique, bouleversant et pour le moins inclassable. Elle n’est pas facile d’accès, mais il faut se donner la peine de faire un effort pour y entrer car celui-ci sera largement récompensé et une fois les difficultés domptées, vous ne pourrez plus lâcher ce livre.
C’est une histoire, au sens qu’on donne à ce mot en étant enfant, un récit qui fait se blottir contre la personne qui nous le raconte et rêver au-delà des mots. J’ai eu l’impression, grâce à ses accents mythiques qui se développent au fur et à mesure, qu’il appartenait à ces légendes qu’Eva racontait à son fils. C’est quelque chose qui va bien au-delà des mots pour parler aux sens et à l’âme du lecteur. Mais cette novella est aussi une sorte de conte philosophique, voire mystique, ainsi qu’une assez effrayante dystopie. Chacun choisira à sa guise quel aspect lui parle le plus.
Ce récit est prenant, extrêmement poétique et touchant. C’est beau et triste, duveteux comme une plume, aussi léger parfois, si peu de fois en fait que celles-ci sont très précieuses dans cette atmosphère accablante, mais surtout fragile, c’est plein d’espoir et c’en est aussi dénué. En ce paradoxe résident toute la magie et la force de cette histoire.
Nous nous retrouvons face à des êtres fragiles ou amers, parfois brisés, qui cherchent leur humanité perdue ou tentent de la détruire à jamais dans un esprit revanchard.
D’abord il y a Albert, fonctionnaire qui s’accroche aux règlements pour mieux supporter la vacuité de son existence. Puis Irène, qui a tant à offrir et se retrouve à ne pas savoir quoi faire de tout cela car il n’y a plus personne pour recevoir. Irène qui a peur et s’en veut de sa lâcheté autant que de ne pouvoir rien faire pour ceux qu’elle aime. Et il y a également Paul qui s’abîme dans l’alcool pour oublier qu’il n’y a plus d’espoir et qu’il a bradé ses idéaux. Enfin il y a Eva et George, la mère et le fils, qui vivent à l’écart du monde en ignorant, ou en tentant d’ignorer, le mal qui ronge leurs semblables. Eva et George qui essaient de maintenir l’espoir dans leur vie, sans même s’en rendre compte, et qui, peut-être, peuvent le rendre aux autres.
L’Apocalypse, dans cet ouvrage, a été mystique avant tout, laissant les hommes complètement perdus et démunis, amputés de leur part divine. Elle a donc engendré une guerre civile brutale qui semble avoir été particulièrement sale, puis, par la suite, un gouvernement totalitaire.
Il y avait auparavant une communion entre les hommes et les dieux et elle s’est perdue, fondue dans le néant, laissant des hommes orphelins et incapables de gérer leur soudaine mortalité, leurs peurs et leur souffrance. Abandonnés des dieux, ils n’ont plus d’avenir, ne peuvent plus enfanter, ne savent même plus qui ils sont et surtout se trouvent isolés, même de leurs semblables.
Autrefois leur existence était rythmée par les dieux. Ils se rendaient au temple pour leur parler, voyaient leur vie jalonnée de rituels symboliques. A chaque étape importante, ils avaient une marche à gravir sur les cinq qui devaient les rapprocher du divin, avant de s’envoler à leur mort, âme devenue plume, vers le plumage d’un dieu censé les accueillir. Mais sans les dieux, les plumes retombent dans la poussière avant de se désagréger en vain.
Peut-être pensez-vous que je vous ai raconté une bonne partie de l’histoire, mais rassurez-vous, ce n’est pas le cas. Il y a tant à découvrir dans ce merveilleux texte, que vous choisissiez d’y lire une quête de soi, une réflexion sur la foi, une légende ou que sais-je encore ? On pourrait le relire des dizaines de fois en y trouvant toujours quelque chose de nouveau.
Je m’émerveille toujours de la capacité de certains auteurs à créer des textes si originaux. Je ne sais pas comment cette histoire est apparue à Maëlig Duval, mais elle est fabuleuse, riche de symbolisme et de créativité, extrêmement bien pensée, merveilleusement racontée aussi, dans tout ce qu’elle a de triste et de grandiose.

Je vous invite à aller également lire l'avis de Lune.

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