mercredi 4 juillet 2012

Mère-vieille racontait

Un roman de Radu Tuculescu, paru aux éditions Ginkgo.


Présentation de l'éditeur :
Mère-vieille racontait est la « chronique d’une mort annoncée » : celle d’un hameau perdu de Transylvanie, (multiethnique et multiconfessionnel, du nom de Petra), qu’une « ancienne », pierre angulaire du village, s’efforce de retarder en ressuscitant les histoires passées de tous ses habitants, les vieux surtout… (les jeunes ayant migré en masse vers la ville).
Un étranger, visiteur de passage se trouve pris dans les rets de ce monde en marge du réel. (Devenue sur le tard une lectrice férue de grande littérature, « Mère-vieille » mêle inextricablement des détails de Boulgakov, d’Italo Calvino, etc… aux véritables souvenirs).
Le narrateur même s’en fera le dépositaire, puis le transmetteur, après la mort de la conteuse.
Si, en parlant de cette histoire authentique – la plupart des protagonistes, de « Mère-vieille » à la jument du facteur, ont bel et bien existé ou vivent encore –, le traducteur fait référence aux romans de Gabriel García Márquez, ce n’est pas par hasard : la même ambiance, à la fois locale et universelle, enveloppe celui de Ţuculescu.
On y trouve aussi une évocation de l’érotisme féminin dionysiaque plus fort encore que celui de l’Éloge des femmes mûres de Stephen Vizinczey.
Guy de Maupassant disait : « Le Réaliste, s’il est un artiste, cherchera, non pas à nous montrer la photographie banale de la vie, mais à nous en donner la vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même. […] J’en conclus que les Réalistes de talent devraient s’appeler plutôt des Illusionnistes. »
Mère-vieille racontait est un roman sur le crépuscule d’un monde qui, se refusant à l’extinction biologique, se nourrit des sèves innombrables du souvenir, telle l’unique source de vitalité.


Dans Mère-vieille racontait, Radu Tuculescu nous conte la vie la vie de tout un village, celui de la grand-mère de sa femme. Cette dernière lui ayant transmis ses histoires, il se met en devoir de ne pas les laisser périr en même temps que les derniers habitants de Petra, village perdu dans la campagne de Transylvanie.
Étrange ouvrage que celui-ci, dans le fond, comme dans la forme.
Le style est poétique, bien qu’un peu pesant. Les mots vont et viennent avec les anecdotes, se répétant comme la vague revient lécher le sable. L’histoire est aussi fragmentée que cyclique. Mêmes anecdotes, mêmes mots pour les raconter, inlassablement… Parfois quelques précisions y sont ajoutées, mais pas toujours. C’est un peu répétitif, décousu et donc, sur le long terme, épuisant pour le lecteur, mais ça fait aussi partie de l’histoire en elle-même, ça laisse l’impression d’entendre mère-vieille radoter ou de voir l’auteur et narrateur gamberger. En effet, toutes ces histoires lui donnent à réfléchir, le hantent même, pourrais-je dire.
Dans ce récit, le temps est des plus curieux. Il est figé, comme la vie de ce village déserté par les jeunes, dans lequel les vieux attendent simplement la mort, s’accrochant à l’alcool pour certains, aux souvenirs pour d’autres. C’est un peu glauque, mais c’est la réalité vue de près. Bizarrement, ce temps figé semble parfois se contracter, précis, aigu dans sa représentation de la réalité et d’autres fois il se dilate, versant dans le fantastique, voire le réalisme magique ou la divagation.
La réalité s’effiloche, la magie ou l’étrange arrivent d’un coup au détour du récit, puis ils partent comme ils sont venus. La vérité se dilue dans la mémoire vacillante de mère-vieille, ses dernières lectures influencent sa façon de percevoir le passé, s’y mêlent jusqu’à ce qu’on ne puisse plus distinguer le vrai du faux. Et si mère-vieille, parfois, ne voulait tout simplement pas dire la vérité ?
Le narrateur lui-même pense à un moment que mère-vieille a inventé une histoire à partir d’une lecture (la référence n’est pas citée, mais il s’agit de la nouvelle de Gogol intitulée Le nez) et il s’avère au final que l’essentiel de l’histoire était vrai.
C’est difficile à suivre et pourtant très plaisant de voir la réalité à travers toute sorte de différentes lunettes, avec en plus le filtre du regard du narrateur qui souvent extrapole, glose, délire aussi un peu. C’est qu’il y a parfois des zones d’ombres dans l’histoire, qu’il ne comprend pas tous les mots de la langue de mère-vieille également, mais aussi qu’il cherche à s’approprier le récit, ne souhaitant pas s’effacer de celui-ci.
Je me serais personnellement passée de ses incursions à lui, même si je sais qu’il n’aurait pu manquer d’être subjectif dans son récit. J’ai trouvé qu’il en faisait trop, s’intéressant davantage aux cancans du voisinage et aux histoires de fesses des uns et des autres, qu’à l’aspect, incroyablement riche au demeurant, de la vie de ce village et de son histoire.
Je suis également restée perplexe face à sa tendance à toujours ramener le tout vers un érotisme qui alourdit le récit et qui m’a paru vraiment dérangeant par moment. Ce n’est sans doute pas tant ces histoires elles-mêmes qui m’ont dérangée, mais sa façon de les raconter. Question de perception, j’imagine…
Pour ce qui est de la forme, le roman est divisé en trois parties, la dernière contenant de surcroît un épilogue.
La première, Fragmentation, porte très bien son nom. Les scènes sont numérotées, selon les visites de Radu chez mère-vieille et ce qu’elle lui a raconté.
C’est une collection d’histoires diverses qui finissent souvent par se rejoindre en motif, comme un patchwork. Ça semble aller au gré du hasard, mais au final ce n’est pas le cas. Pourtant, si c‘est plaisant d’une certaine façon, c’est aussi un peu pesant, ça alourdit l’intrigue, ça ne laisse pas aller le lecteur car il a besoin de toute sa concentration pour suivre l’histoire et c’est parfois un peu difficile de s’y retrouver.
La seconde partie, Le Voyage, est plus fluide. On suit toujours ce principe de flux et reflux dans l’enchaînement des anecdotes, mais avec plus de cohérence et de logique car il s’agit de conversations survenues le même jour entre différents protagonistes, bien qu’entrecoupées de quelques délires de l’auteur.
La troisième partie est composée de deux chapitres et de l’épilogue. Le premier raconte la mort de mère-vieille et son enterrement (ceci n'est pas un spoiler, le début du livre étant très clair à ce sujet). Puis, dans le deuxième, recoupant toutes les histoires entendues jusque-là, l’auteur nous livre sa version des noces dont on a tant parlé au cours du récit, des noces fantasmagoriques durant lesquelles a disparu un des personnages les plus emblématiques de ce village, la Margolili qui n’a cessé, dans sa vie comme dans sa mort de hanter les esprits de ses compatriotes.
L’épilogue enfin, fort court, est la partie qui m’a le plus émue dans la terrible prise de conscience du narrateur sur le contraste qui existe entre son éducation, sa façon de voir la vie, et la réalité cruelle des mœurs de ce village.
Je ne peux pas dire que j’ai vraiment apprécié cette lecture, que j’ai trouvée longuette et répétitive, pourtant, par bien des aspects, elle fut édifiante. Ce fut une intéressante escale dans un temps figé, incertain, qui se contracte et se dilate comme une vague de chaleur qui tend à perdurer. Est-ce le souvenir qui s’étire, encore vivant, pesant sur le présent ou une simple image rémanente de quelque chose de définitivement révolu et illusoire ? Peut-être bien un peu des deux à la fois.

A noter qu’il y a un glossaire à la fin de l'ouvrage, même si le contenu de celui-ci m’a laissée perplexe étant donné que la majeure partie des expressions, termes et proverbes choisis par la traductrice sont extrêmement connus et qu’il n’y est que rarement fait mention du texte original et de sa signification littérale.
A-t-on vraiment besoin qu’on nous explique des expressions comme « les carottes sont cuites », « laideron », « jachère » ou « bourré comme un coing » ? J’en doute fort…
Le mélange des différents argots m’a aussi semblé un peu bizarre, artificiel, mais j’admets volontiers qu’il doit être difficile de transposer un langage familier sans piocher dans divers parlers, alors, je ne vais pas chipoter.




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