vendredi 1 août 2014

Le Soir, Lilith

Un roman de Philippe Pratx, publié aux éditions L'Harmattan.


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le soir lilith




Présentation de l'éditeur :
23 novembre 1924, Lilith Hevesi, star du cinéma muet, est retrouvée morte dans le château où elle s'est retirée dans la campagne hongroise. Quarante ans plus tard, le narrateur tente de dépoussiérer son passé, ses recherches sont perturbées par une femme qui éveille rapidement ses soupçons... Lilith est un fantôme qui arpente les différentes strates du temps dans des mondes aux frontières incertaines dont on ne cesse de gratter la pellicule inflammable.



Quelle difficulté il y aurait à vouloir expliquer simplement Le Soir, Lilith… Ce roman est celui d’une femme, dont l’énigmatique présence, le charisme et la personnalité trouble transcendent le temps, influencent les êtres. La langue est maîtrisée, imagée et précise à la fois, mais l'intrigue elle-même demeure indéfinissable, un vrai dédale où le propos oscille entre délire inspiré, voire enfiévré, et lyrisme emphatique. Souvent, cette écriture pourrait s’apparenter à de la poésie en prose. Ce fut une fascinante découverte, à plus d’un titre. L’histoire, le personnage principal, l’insaisissable Lilith, et le style sont indéniablement assortis.
L’ambiance est diffuse, elle a la consistance de la brume et tire sur le fantastique, pour le plus grand bonheur de l’amatrice du genre que je suis. L’auteur nous offre une intrigue prenante, mais quelque peu contemplative. Troublante, enrobée de mysticisme, pleine de secrets et de non-dits, elle peut engendrer autant le malaise que l’intérêt le plus profond et l’envie frénétique de tourner les pages. Ici l’histoire est éparse, elle se construit par touches, se délite parfois, elle demande au lecteur de s’immerger en elle.
Je suis toujours ravie de lire un roman qui ne soit pas bêtement chronologique ou linéaire, mais j’ai pu remarquer que cela perturbe un grand nombre de lecteurs. J’aimerais vraiment que l’on ne s’arrête pas à cela. Le Soir, Lilith est un roman exigeant, une histoire à tiroirs qui demande patience, goût du mystère, curiosité et investissement. L’auteur perd son lecteur, le rattrape au vol, sans cesse. Si celui-ci accepte de ne pas tout saisir, d’avancer à l’écoute de ses sensations, mais un bandeau sur les yeux, alors il pourra apprécier à sa juste valeur ce récit troublant qui s’apparente à un vieux film en noir et blanc. Parfois l’image saute, il se peut qu’elle soit détériorée par le temps et un peu floue, mais c’est elle qui raconte l’histoire, pas les quelques cartons qui de temps en temps la soulignent de si peu de mots, il vous faudra être attentifs, cependant vous aurez vos réponses.
Le personnage de Lilith, actrice des années vingt disparue dans de mystérieuses circonstances est vraiment fascinant. Dans le sens premier du mot qui allie charme et répulsion. Le terme de répulsion peut sembler un peu fort dans son cas, mais il est certain que Lilith est dérangeante. Fragile et vénéneuse à la fois, elle personnifie la femme sauvage, hors limites. Quand Eve — celle qu’elle incarne sous son nom de scène — est la face lumineuse, mais entravée, de sa personne, la vraie Lilith, complète et tellement plus vivante est la sauvagerie faite femme, littéralement possédée par elle-même et non par des rôles.
Le narrateur nous entraîne à sa suite, quarante ans plus tôt, de sa vie de jeune fille en Hongrie à ses débuts artistiques, des fastes du cinéma à sa réclusion dans les Carpates. Le cinéma lui-même, art si neuf et expressif, si prometteur tant il était alors un champ immense de possibilités, fait partie intégrante de l’histoire, apporte sa substance à l’ambiance et son élégance d’alors au récit. J’ai particulièrement apprécié les récits des films de Lilith qui contrastent par leur fantasmagorie avec l’essence purement fantastique (c’est-à-dire brillamment maintenue entre deux mondes) du récit de la « vraie » vie de l’actrice. Mais l’essence du roman reste Lilith.
Lilith et Eve, les deux femmes d’Adam, la première libre et insoumise, égale de son époux, la deuxième dépendante, née de lui, assujettie, ont toutes deux eu une influence sur Lilith Hevesi. Car celle-ci, selon son journal, ses lettres et les souvenirs du narrateur semble s’être perdue, mais aspirer à redevenir elle-même. Seulement sait-on (sait-elle ?) qui elle est ? Et que lui est-il arrivé d’ailleurs ? Si sa vie semble déjà mystérieuse, les circonstances de sa disparition le sont encore plus.
J’ai pris plaisir à ramasser les morceaux épars de ce puzzle et à tenter de reformer le tableau, alors que j’errais dans les méandres de la vie de Lilith, que je la voyais engendrer ses chimères… Le roman est délicieusement lent, évanescent comme l’est Lilith, tout en circonvolutions, tissé pêle-mêle des notes du narrateur qui fut un proche de Lilith et tente d’en écrire la biographie, de notes éparpillées, correspondance, divers journaux intimes, résumés des films de Lilith… Cela renforce l’aspect de puzzle, c’est une enquête à mener, des fils à débrouiller.
Ce récit merveilleusement construit, entre le fantastique et le roman noir, distille le doute en permanence. La femme, le démon, tous les mythes qu’on y rattache prennent vie ici. Lilith aux multiples visages est un personnage si complexe qu’on est presque tenté de croire à son existence.
Et la question revient sans cesse, dans les moments les plus épurés comme les plus malsains, qui est Lilith ? Et pourquoi, comment, les gens qui ont gravité autour de cette femme en sont restés à ce point obsédés ?
Pour trouver votre réponse, il vous faudra lire le roman.


Si celui-ci vous intrigue, ce qui j'espère est le cas, je vous invite à visiter le site qui lui est consacré.

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