lundi 17 avril 2023

Le Silence des carillons

Un roman d'Édouard H. Blaes, publié chez ActuSF.


Tinkleham est un vestige du vieux monde, une ville sous globe bien qu’elle soit entourée de brume et non de verre, assiégée par les spectres qui désagrègent tout être humain qu’ils touchent. La population de cette ville et de la campagne qui l’environne ne survit que grâce au Beffroi. Sur la plateforme, des mages se relaient pour chanter, accompagnés de cloches et de carillons, afin de repousser les spectres sans relâche. Cela fait bien longtemps que les gens ont oublié la chaleur du soleil et à quoi ressemblait le monde d’avant. Tout ce qui leur en reste vient des livres.
Ermeline a dix-huit ans, vit en bordure et entretient depuis toujours le rêve de devenir la plus grande magicienne qu’aura connu le Beffroi, quoi qu’il puisse lui en coûter.
Qui est Ermeline Mainterre ? La question rythme notre lecture et de toutes les personnes pouvant se la poser, lecteur compris, c’est Ermeline elle-même la plus acharnée à trouver une réponse. Elle est ambitieuse, à n’en pas douter, mais a-t-elle réellement les moyens de ses ambitions ? Et si elle réussit, que fera-t-elle du pouvoir ?
Il faut toujours prendre garde à ce que l’on souhaite.
Ermeline est égocentrique, susceptible, envieuse, naïve au début et un peu puérile aussi. Elle est loin de l’héroïne qu’on rencontre souvent dans un roman de fantasy. Elle n’est pas une élue, même si elle croit qu’elle aimerait en être une. De prime abord, elle n’est pas sympathique et le récit avançant elle l'est encore moins. Pourtant, je l’ai appréciée. Cela peut sembler étrange et je me doute que ce n’est pas une opinion populaire parmi les lecteurs. En plus d’être focalisée sur elle-même et de manquer d’empathie, Ermeline peut se montrer assez pénible quand elle ressasse (ce qui se révèle être l’une de ses activités préférées). Si je l’ai aimée, je crois, c’est justement pour tous ses défauts. Elle n’est pas quelqu’un de bien, tout en n’étant pas foncièrement mauvaise non plus. Elle veut juste survivre et si elle est amenée à devenir une héroïne, ce sera forcément discutable. Ermeline est loin d’avoir le profil d’une sauveuse aimée de tous, animée par le goût du sacrifice et la compassion. Elle est une pragmatique et elle doit vivre avec ses choix, ses petites et ses grandes lâchetés. Elle doit avancer ou perdre la raison. Pour tout cela, elle est plus humaine et réaliste que la grande majorité des héroïnes de fantasy que j’ai pu croiser.
Le Silence des carillons est un roman sombre, tissé des sentiments les moins glorieux qui animent l’humanité. On y fait des choix par défaut, on s’arrange avec la vérité, avec la peur et avec sa conscience. Est-ce que seule importe la survie ? En vaut-elle la peine passé un certain point ? Cette lecture m’aura fait me poser de nombreuses questions.
La magie que nous décrit l’auteur, entre chant et métaphore océanique, m’a beaucoup plu. Ça me parlait et j’ai aimé le début du roman, apprendre ce monde, apprendre Ermeline, apprendre le Beffroi surtout, ce labyrinthe de faux-semblants, d’illusions et de secrets. J’aurais toutefois souhaité en apprendre davantage sur la nature de cette magie et sur son lien avec les spectres. De manière générale, j’aurais voulu plus d’informations concernant les origines de Tinkleham, mais je comprends bien que ce n’était pas le propos.
Dans la première moitié du roman, j’ai surtout été motivée par la découverte de l’univers et des personnages et j’admets avoir un peu décroché quand l’histoire s’est centrée sur la jalousie et un triangle amoureux peu engageant. Certaines rivalités poussent les êtres à donner le meilleur d’eux-mêmes, celle qui couve sous l’amitié fragile entre Justine et Ermeline est délétère. En outre, elle n’apporte pas grand-chose à l’histoire, si ce n’est démontrer qu’Ermeline semble vouée à entretenir des relations malsaines, ou à tout le moins déséquilibrées.
La deuxième partie en revanche m’a fascinée. L’histoire devient plus sombre, plus sale, les enjeux sont importants et l’intrigue se précipite vers un dénouement dont on sait qu’il sera douloureux. On se demande juste à quel point.
Pendant son apprentissage, Ermeline se posait de bonnes questions, dont certaines à haute portée philosophique, même si elle ne se montrait pas toujours très empressée à leur trouver des réponses. C’est à nous, lecteurs, qu’il incombe de le faire. Ce n’est pas un mal, mais j’aurais aimé davantage de matière, pouvoir voir plus loin. 
Enfermer une cité après une catastrophe, peu importe l’origine de celle-ci, est un postulat classique, bien que davantage en SF qu’en fantasy, c’est grâce à son personnage principal que ce roman tire son épingle du jeu, mais il est aussi sa plus grande faiblesse. Pas parce qu’Ermeline est antipathique, mais parce qu’elle nous prive d’informations complémentaires et surtout de cet « après » dont j’étais très curieuse. L’épilogue sonne juste, toutefois il ne m’a pas suffit. Cette histoire recèle encore trop de mystères pour moi. J’ai apprécié ma lecture, cependant ma vision de cet univers est restée trop cloisonnée à mon goût.

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