vendredi 10 janvier 2014

Corps à l'écart

Un roman d'Elisabetta Bucciarelli, publié chez Asphalte éditions.


*


Corps à l'écart

Présentations de l'éditeur :
Dans une gigantesque décharge, en Italie, un groupe d'adultes et d'adolescents survivent en triant des déchets qu'ils recyclent, réparent et vendent. Il y a Iac, en rupture avec sa famille, Lira Funesta qui parle trop, Saddam le Turc qui lance l'appel à la prière du sommet d'un monticule de déchets, et Argos, le géant zimbabwéen. Il y a aussi le Vieux, toujours endormi sous sa couverture. Autour d'eux gravitent Silvia, fille d'un grand chirurgien esthétique, et Lorenzo, le pompier qui veut le bien de tous. La survie de la petite communauté va être mise en péril par la découverte de déchets toxiques, qui n'auraient jamais dû se trouver là...
Véritable microcosme, la décharge, lieu de vie, de transit et de trafics, est un personnage à part entière de Corps à l'écart.



A l’heure où l’on ne nous parle que de tri et de recyclage, avons-nous vraiment conscience de la masse de déchets que nous produisons ? Avons-nous conscience que ce que nous jetons sans chercher à comprendre pourrait avoir une deuxième, une troisième, voire plus encore d’autres vies ? Réalisons-nous que ce que nous jetons est parfois dangereux et que nous ne nous en débarrasserons pas en déposant un mouchoir dessus et en pensant à autre chose ?
Ce livre ne cherche pas à faire la morale à son lecteur, juste à lui mettre sous le nez ce qu’il n’a pas envie de regarder, à lui de faire avec ensuite. Le propos ici sert surtout à nous faire réaliser que notre société marque notre sens moral plus qu’on ne peut le penser. Elle tente de définir la valeur que nous accordons aux choses et surtout aux gens.
On croise dans cette histoire des personnes issues de milieux différents, les choix qu’elles ont fait, la façon dont elles se perçoivent, les ont menées là. Elles sont responsables de leur vie et des décisions qu’elles ont prises. Parfois, elles ont encore le choix.
Au centre du récit il y a Iac, adolescent révolté, parfois exaspérant quand il semble ne pas savoir où il a mal, quand il se montre aussi désabusé à un âge si jeune alors qu’au fond il a juste une certaine difficulté à devenir adulte. Et il y a les autres, ceux que la vie a malmenés ou pas, qui vivent ou gravitent près de la décharge. Tous ont une histoire qui se dévoile petit à petit, de façon pudique.
La décharge aussi est un personnage qui semble parfois terriblement vivant, une chose, une bête non domestiquée qui peut partir en vrilles sans qu’on s’en aperçoive. C’est un monde en perpétuel changement, redessiné par les mouvements des ordures, fréquenté par des gens divers, mais ignorée de la masse populaire. Elle s’étend pourtant à ses pieds, une enclave dans la ville que les habitants font semblant de ne pas voir, n’imaginant pas tout ce qui peut se passer dans cette zone de non-droit. Ils ne savent même pas qu’elle grouille de vie.
En parallèle de ce microcosme, il y a la famille de Silvia, riches et complètement déconnectés… Ces cinglés du bistouri (le père est chirurgien) m’ont semblés extrêmement caricaturaux, mais ont une place dans le récit. Ils apportent une certaine dose de cynisme, même s’il n’en manquait pas, et surtout des corrélations avec la décharge auxquelles on n’aurait pu ne pas s’attendre, ou pas voulu, c’est selon.
Les chapitres sont courts, comme cisaillés dans la masse, il y en a 90 sur environ 200 pages, imaginez… Il n’y avait pourtant pas toujours lieu de faire des coupures alors que l’action continue exactement depuis le même point dans le fragment suivant, mais je ne vais pas me plaindre de ce découpage. Il permet en fait de mieux supporter la lecture qui peut se révéler éprouvante tant elle est désenchantée. Il se dégage de cette façon froide, presque chirurgicale, de dépecer les morceaux de l’histoire, une étrange poésie. C’est indubitablement bien adapté à la fois au contexte et aux événements, en somme le style parfait pour ce roman.
Cette lecture peut se révéler perturbante, choquante, dure à encaisser, mais elle est réaliste et ne tombe jamais dans le misérabilisme. Elle m’a donné à réfléchir et malgré son côté détaché, elle est forte en émotions.
A la fin de l’ouvrage, on trouve une bibliographie assez fournie et des notes de l’auteur sur les faits qui ont inspiré le roman. C’était très intéressant. J’avais entendu parler de ce trafic de déchets dangereux, mais du coup cela devient bien plus clair, mis dans le contexte.
Pour terminer sur une note un peu plus gaie, il y a, comme toujours pour les ouvrages de chez Asphalte, une playlist composée par l’auteur. C’est une attention que j’apprécie toujours autant.
Corps à l’écart est un roman passionnant et je vous le conseille vivement.


Vous pouvez lire un extrait sur le site de l'éditeur.

2 commentaires:

  1. mesimaginaires4114 janvier 2014 à 21:23

    Bonjour, Décidément, j'aime les éditions Asphalte qui publient des romans sans concessions avec la réalité, originaux, urbains.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour et merci d'être passé par ici. C'est aussi ce que j'apprécie chez Asphalte.

      Supprimer