mercredi 3 mars 2021

L'Odyssée du Marsouin

Un roman de Mark Haddon, publié chez Nil.


Présentation de l'éditeur :
Il était une fois, dans l’Angleterre du XXIe siècle, un homme qui, rendu fou de douleur par la mort de son épouse, tomba éperdument amoureux de leur fille.
Il était une fois une jeune fille qui rêvait du prince charmant qui viendrait l’arracher à l’emprise délétère de son père.
Il était une fois un jeune homme obligé de fuir pour échapper à la fureur meurtrière du père incestueux.
C’est alors que les époques se télescopent, que le présent bascule dans le passé, que l’Angleterre actuelle s’efface devant la Grèce antique et que la réalité rejoint le mythe.
En s’inspirant très librement de la pièce Périclès, prince de Tyr de Shakespeare, Mark Haddon nous offre un roman d’aventures ambitieux porté par des personnages inoubliables et déchirants.

Quand j’ai lu le résumé de l’éditeur, j’ai été intéressée par la mention de Périclès, Prince de Tyr, pièce de Shakespeare que j’ai lue durant mes années universitaires quand je préparais un exposé sur le roman médiéval Apollonius de Tyr. J’avais apprécié ce roman, davantage que la pièce, et je vous encourage vivement à le lire, ne serait-ce que pour découvrir un peu de littérature médiévale si vous n’en avez jamais eu l’occasion. Riche de motifs, largement héritière de l’antiquité mais néanmoins porteuse de sa propre originalité, cette œuvre gagne à être connue.
Enfin bref, revenons à L’Odyssée du Marsouin, cet étrange roman tissé de plusieurs brins de fils qui ne semblent pas voués à se rejoindre mais à coexister et qui, je dois l’avouer, m’a laissée perplexe.
Une première partie se déroule à notre époque. Elle nous conte l’histoire de Maja, actrice Suédoise, et de son accident d’avion, puis de sa fille Angelica, grandissant sous la coupe d’un père incestueux. Je ne vous dévoile rien que ne raconte le résumé de l’éditeur, bien qu’il présente cette histoire comme un conte, une sorte de Peau d’Âne moderne, alors qu’elle en est bien loin.
Rassurez-vous, si vous craignez les détails glauques que peut receler ce genre de récit, l’auteur n’insiste pas au sujet de l’inceste. Il est plus prolixe sur l’accident d’avion, qui est très pénible à lire dans ses détails et la froideur avec laquelle il décrit le sort des passagers, dont un enfant. Pour être honnête, la mort de Maja m’a laissée froide. La jeune femme est aussi profonde qu’un verre à liqueur, le pilote présente aussi peu d’intérêt. Le seul méritant ma compassion est Rudy, l’enfant qui se trouve à bord et qui est bien loin des bassesses et autres mesquineries des adultes. Sinon, ce passage était surtout horrible dans ses descriptions et cela augurait du reste du roman. On en oublierait presque le sort de la pauvre Angelica, toute entière à la merci de son horrible père qui n’a vraiment rien d’un être humain et qui, ça me semble clair, n’aurait pas été moins immoral si sa femme avait vécu.
L’écriture est froide et chirurgicale. L’auteur découpe des morceaux de narration et les étale devant le lecteur comme autant de pièces de chair morte. Je pense qu’il l’a fait sciemment, mais cela a freiné mon intérêt pour son récit. J’avais l’impression de lire un rapport et cela a rendu d’autant plus pénible ma progression.
La première partie s’efface vite, à la suite d’un événement traumatisant, et l’histoire d’Angelica n’apparaît plus qu’en pointillés. Elle nous entraîne dans une fantasmagorie antique et l’auteur nous offre alors une écriture plus élégante mais toujours désincarnée, descriptive, coupée des sentiments de ses protagonistes. Le fait que la grande majorité des personnages soient détestables, ou à tout le moins pas attachants du tout (même Angelica), n’aide pas. Ce sont des figures sans relief, pas des humains, pas même des archétypes.
Ce n’est pas une lecture agréable et la plupart du temps j’avais juste envie que ça se termine, même si certains passages, plus dans l’action, parviennent à réveiller l’intérêt. Je pense notamment à ceux réservés à Chloé ou aux pointillés d’Angelica.
Au début, je pensais que l’auteur, en transposant ces deux histoires, souhaitait nous démontrer quelque chose ou je ne sais, je croyais qu’il y avait une autre finalité que de simplement les mettre en regard. Mais non, ou alors je n’ai rien compris. J’y ai juste vu des fils tressés ensemble, les dernières pensées d’une fille en grande souffrance qui a supporté plus qu’elle ne pouvait, et un auteur qui s’écoute parler sans avoir rien à dire de substantiel.
Il y avait tant à faire et à montrer, pourtant, en puisant dans ce récit si riche de symboles. Il a juste emprunté ce petit côté empesé, très classique, pour des descriptions imagées vides de tout autre chose que du souci de l’esthétique. D’Angelica on passe à Périclès, dans le récit duquel elle se laisse absorber. Puis l’histoire de Périclès elle-même se scinde, on fait un détour par Londres, on laisse Chloé dériver, Angelica n’apparaît qu’en échos de plus en plus sourds… Les liens se distendent et chaque histoire existe par elle-même. De mon point de vue, Mark Haddon avait juste envie de raconter le blanc d’entre les lignes de ces illustres versions d’un périple qui a su traverser les époques. Il le fait bien, je dois le reconnaître, c’est cohérent, cependant il manque quelque chose d’essentiel. Il n’y a pas d’âme dans son roman.
Les personnages se laissent ballotter par la vie, même quand ils semblent tisser leur destin, ils sont en fait à la merci de celui-ci, ou peut-être de celle qui se cache derrière. Peu importe, on ne les aime pas. On les regarde juste s’agiter en vain et c’est un peu déprimant.
Souvent le récit prend la consistance d’un songe sans logique dont les symboles seraient muets car coupés de leur correspondant. Un symbole, à l’origine, est un signe de reconnaissance, une poterie brisée en deux dont les morceaux sont séparés pour mieux se retrouver plus tard et attester de l’identité de leur porteur ou des droits de celui-ci relatifs à un contrat passé. Ici c’est comme si le symbole correspondant n’existait pas, n’avait jamais existé, ne sert à donc à rien. Pourtant les mythes et histoires antiques sont composés de symboles. On en a souvent oublié le sens, néanmoins ils racontent une histoire dans l’histoire, l’autre morceau du symbole que l’on devine en reflet, c’est là tout leur intérêt. Périclès, aussi divertissante que soit la pièce, est symboliquement plus pauvre qu’Apollonius, qui peut-être était plus pauvre — ou pas, car nous n‘en savons rien — que des récits précédents. Compléter les blancs de l’histoire est une bonne idée, mais encore faut-il y apporter quelque chose de consistant et Mark Haddon avait la possibilité d’étoffer un personnage qui y aurait gagné. Il a choisi de ne pas le faire.
À la fin de L’Odyssée du Marsouin, l’auteur évoque dans une note la personne oubliée de cette histoire : la fille du roi, celle qui subit l’inceste et qui n’est au final qu’un personnage très secondaire dans toutes ces versions. Dans Périclès elle n’a même pas de nom et si elle en a un dans Apollonius, je dois avouer que je ne m’en souviens pas. Elle n’est qu’une ombre, éternelle oubliée, parfois même diabolisée car considérée coupable. Sachant cela, le constatant même dans ses notes, je me serais attendue à ce qu’il lui offre plus d’espace au lieu de l’effacer derrière des chimères. Je n’ai vraiment pas compris l’idée… Et j’ai du mal à lui pardonner ce énième manque de respect au personnage. Cela est, je crois, ma plus grande déception. J’aurais pu pardonner tout le reste s’il avait laissé à Angelica la possibilité d’être, tout simplement.
S’il y avait un sens caché à tout cela, il m’a échappé, et je me suis surtout beaucoup ennuyée au cours de cette lecture. Si je n’avais pas reçu ce roman via Masse Critique, je ne l’aurais sans doute pas terminé et je n’aurais rien perdu. Lisez plutôt Périclès si vous avez deux heures ou, mieux encore, Le Roman d’Apollonius de Tyr.

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