lundi 9 juin 2025

L'Or de la nuit

Un roman d'Irène Frain, publié chez Julliard.


Un homme, un livre. Comment Antoine Galland, cet érudit sérieux et discret s’est-il mis à traduire des contes ? Alors que Galland écume les marchands et les libraires pour étoffer la collection de Foucault, il tombe sur un livre : Les Aventures de Sinbad le marin et là le rêveur en lui prend le pas sur le savant. Enchanté par ce conte, Galland décide de le traduire et d’en chercher d’autres. 
Entre les détails qu’elle a glanés dans les carnets que Galland tenait méticuleusement à jour, les recherches qu’elle a menées à cet effet et le flot de sa propre imagination, Irène Frain retrace pour nous l’histoire à la fois de l’homme et de ces contes que nous connaissons tous. On a beaucoup reproché à Galland les écarts de sa traduction, les ajouts, les interprétations, les caviardages, en oubliant les mœurs de son époque. Il lui fallait plaire aux puissants et éviter la censure. On omet de se souvenir qu’il a aussi œuvré à populariser ces contes.
Les Mille et Une Nuits ont marqué des générations de lecteurs et même de personnes qui ne les ont jamais lues, elles sont profondément ancrées dans notre imaginaire, adaptées, traduites, retraduites, adaptées de nouveau. Peu importe la forme dans laquelle nous l’avons découvert, nous avons tous un conte préféré qui est devenu l’une des briques fondatrices de notre imaginaire. Mais Galland, lui, si son nom est resté célèbre, reçoit plus de reproches que de louanges aujourd’hui. Peut-être est-ce en partie mérité, cependant, sans Galland, ces contes orientaux n’auraient jamais pris racine dans notre imaginaire d’occidentaux. Alors que sa traduction du Coran a disparu, ses traductions-interprétations ont traversé les siècles et nous enchantent encore.
Ce roman m’a appris des choses et fait reconsidérer l’image que j’avais que j’avais de l’homme — pas très bonne, je l’avoue — et la mesurer à l’aune de l’amour que j’ai pour les contes qu’il nous a transmis. Pour cela, j’en remercie l’autrice.
Irène Frain consacre également des chapitres à Hanna Dyâb, qui a conté à Galland certaines des histoires qu’il a recueillies, dont Ali Baba et Aladin. Hanna en soi pourrait être un personnage des contes qu’il nous a légués tant sa vie a été riche en aventures et rebondissements. J’ai particulièrement aimé lire les passages qui lui sont consacrés.
Irène Frain, avec l’élégance coutumière de sa plume, donne l’impression qu’elle peint plutôt qu’elle n’écrit. Par petites touches, ses tableaux prennent vie, aplats de couleurs et de poésie qui rappellent l’impressionnisme. Cela rend le roman très agréable à lire, fluide, tout en émotions, mais aussi très visuel. Le style est beau, ciselé, les chapitres divisés en courtes entrées qui donnent envie de lire la suite. On ne peut que passer un bon moment avec cette lecture.


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mercredi 21 mai 2025

Tyr, Runborn T1

Premier volume d'une trilogie d'Ariel Holzl, publié chez Gulf Stream.
En version audio chez Voolume, lue par Adelaïde Poulard.



Tyr et ses camarades vivent dans un village isolé. À Gimlé, la vie semble douce, faite de chasse, de pêche, d’agriculture et de solidarité, toutefois est-ce si idyllique à y regarder de plus près ? Les trois adolescents sont marqués par les runes, ce qui leur vaut les regards en biais de leurs voisins et d’être maintenus à l’écart des autres jeunes. Bien entendu, le jour où ils comprennent ce que représentent leurs marques et quelle est la destinée prévue pour eux par les dieux, tout s’emballe. Lancés sur les routes de ce monde post-Ragnarök, se précipitent-ils vers cette destinée ou s’en émancipent-ils ? Telle est la question.
Ce roman est plein de surprises, de tours et de détours, mais aussi de rebondissements que vous pouvez voir venir parfois, on ne s’y perd que davantage car les apparences sont d’autant plus trompeuses. Le récit est un savant mélange d’attente et d’urgence. J’ai choisi la version audio, qui par chance se prête bien à ce type de récit. Les longueurs m’auraient sans doute davantage dérangée à l’écrit, bien que je sois une lectrice patiente. Je pense que cela tient au fait que Tyr m’a souvent semblé passif, entraîné par les événements. Entendons-nous bien, cela est parfaitement logique dans sa situation. Il est comme pris dans un torrent, parfois il parvient à nager, mais souvent il ne peut que tenter de garder la tête hors de l’eau. Cependant, cela peut se révéler frustrant pour les lecteurs qui préfèrent des personnages proactifs.
Il s’agit d’un roman d’apprentissage typique, dans lequel le héros évolue beaucoup, gagne en maturité, mais fait aussi de nombreuses erreurs. Ariel Holzl n’est pas un auteur complaisant envers ses personnages, ce que j’apprécie beaucoup. Il a initié ici une belle fresque de fantasy, usant avec intelligence de la mythologie dont il s’inspire. Il a su la faire sienne tout en la respectant.
Si vous avez déjà lu les écrits d’Holzl, vous trouverez probablement celui-ci fort différent. Cet auteur soigne ses univers aussi bien que ses personnages et il ne craint pas d’explorer différents genres littéraires.
J’ai ressenti des hauts et des bas avec ce roman, pourtant il ne faisait aucun doute pour moi que j’écouterai la suite. La fin, en plein suspense, n’a évidemment fait que renforcer cette envie. On sent qu’il reste beaucoup à découvrir dans cette trilogie et le deuxième volume promet un autre point de vue, ce qui est alléchant.
Ce roman est classé en YA, néanmoins il s’agit d’une lecture relativement exigeante qui n’est pas adéquate pour les âmes trop sensibles. Toutefois, si vous aimez les romans initiatiques, la mythologie nordique et n’êtes pas rebutés par un peu de violence et de sang, je gage que vous l’apprécierez.

samedi 17 mai 2025

Emma et les mauvais éléments T1

 Une BD écrite par Ariel Holzl et illustrée par Alba Cardona. Publiée chez Jungle.


Cette jolie BD est un condensé de tropes fort communs en littérature jeunesse, mais ce n’est pas une mauvaise chose. Après tout, si ces tropes hérités des contes hantent toujours la littérature, c’est qu’ils ont encore des choses à nous dire. Ils sont les piliers des récits formateurs, ils accompagnent les personnages, aussi bien que les jeunes, lecteurs vers l’âge adulte.
Cette BD parle de découverte de soi, d’émancipation, de liens qui se créent dans l’adversité, d’héritage et de choix. Emma, personnage typique de ce genre de récits, n’en est pas moins attachante. Notre héroïne est une jeune fille vive et intelligente qui découvre un jour qu’elle a des capacités extraordinaires et va rejoindre une école tout aussi prodigieuse. Mais tout n‘est pas aussi rose que ce à quoi elle s’attendait. 
L’intrigue mêle magie et lutte écologique et j’ai un peu eu l’impression de voir Captain Planet (si vous êtes plus jeunes que moi la référence ne vous parle pas. Vous ne perdez rien) à Poudlard… Les motivations des « méchants » de l’histoire restent obscures pour le moment, mais je gage qu’il reste beaucoup à découvrir.
Les personnages ne sont pas très développés, néanmoins ils ont du potentiel. Emma et les mauvais éléments est le premier tome d’une série, il est fort court et a surtout valeur d’introduction. Il charmera sans nul doute les jeunes lecteurs, toutefois en tant qu’adulte je trouve qu’il manque un peu d’ambition. Le récit est simple, mais les illustrations jolies. Le style me rappelle un peu celui de Maliki. Je lirai probablement la suite, pour voir si le scénario cache plus de secrets qu’il n’y semble de prime abord, ce qui est une possibilité, connaissant l’auteur.


vendredi 11 avril 2025

Royaume en péril

Un roman de Thomas D. Lee, publié chez Christian Bourgois éditeur.



Quand viennent des temps incertains, les gens se raccrochent à des convictions (pas toujours très glorieuses), se cherchent des causes pour se donner des repères ou des héros qui les mèneraient à bon port pour se décharger de leurs responsabilités. Mais sait-on réellement ce qui fait un héros ?
Dans un Royaume-Uni fracturé s’affrontent des factions. Certaines, comme l’AFET dont font partie Mariam et ses sœurs d’armes, ont une visée écologistes et/ou humanitaire, d’autres sont nées du nationalisme ou de la religion, certaines ne font que s’accrocher à leurs privilèges alors qu’elles ont mené le monde à sa perte. La planète souffre et se meurt dans cette fiction spéculative qui mêle SF et Fantasy habilement.
Keu, frère adoptif d’Arthur et chevalier de la Table ronde revient d’entre les morts une fois de plus, rappelé par un ancien serment qui le lie au destin de son pays. Il contemple le monde dévasté et s’interroge sur le dérèglement climatique, sur ce qu’il a accompli jusque-là pour ce pays qui le rappelle en chaque temps de périls et sur sa nature. Que reste-t-il de l’homme qu’il était autrefois au temps d’Arthur ? Que reste-t-il des serments et des idéaux ?
Mariam, Keu et d’autres personnages nous entraînent dans une profonde réflexion sur ce qu’est un héros, sur la responsabilité de chacun et la justice. J’ai beaucoup aimé voyager à leurs côtés, les voir tout remettre en doute, tâtonner et se battre même quand tout espoir semble vain. Les personnages évoluent au cours de leur quête, prouvant qu’ils sont plus qu’ils n’y laissent paraître de prime abord. Mariam est la plus manichéenne du lot mais reste attachante. Le deuxième chevalier de l’histoire, dont je tairai le nom pour ne pas spoiler, fait montre d’une profondeur de caractère vraiment intéressante. L’auteur a su exploiter toute la dualité qui a fait le personnage dans les nombreuses interprétations des légendes arthuriennes. On l’aime et on le déteste à la fois.
Thomas D. Lee connaît indiscutablement la Matière de Bretagne sur le bout des doigts et en joue autant qu’il le fait des références populaires. Cela rend ce roman d’autant plus agréable à lire. L’action et la réflexion y sont savamment dosés, teintés d’un humour qui complète bien ce récit grave et épique. J’ai apprécié le mélange de SF et de Fantasy, mais plus encore la valeur humaine de cette histoire.

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mercredi 5 mars 2025

Cruel Winter with You

Une novella d'Ali Hazelwood. La version audio est lue par Vivienne LaRue.

Cette novella fait partie de Under The Mistletoe, une collection de cinq textes indépendants publiés par Amazon pour les fêtes. Si vous avez un abonnement Prime, vous pouvez les lire gratuitement, sinon ils sont à 1,99€ en numérique ou à 1,79€ l’un sur Audible, il existe également une compilation que vous pouvez acheter pour un crédit. Pour l’instant ces textes ne sont pas disponibles en français.



J’aime bien l’idée de comédies romantiques courtes et modernes à lire durant le temps des fêtes. Cela ne demande pas un grand investissement en temps ni en attention, mais le format court rend aussi le texte plus percutant. C’est la distraction parfaite quand on a une heure ou deux devant soi.
Ce texte-ci nous présente une jeune femme qui rentre chez son père pour les fêtes et se retrouve, à cause d’un caprice paternel, obligée de mettre au clair une situation embarrassante avec le frère de sa meilleure amie.
J’ai beaucoup apprécié la narration à deux vitesses. Une partie de l’intrigue se déroule au présent, l’autre nous conte l’évolution des rapports entre les personnages depuis le jour de leur première rencontre jusqu’à l’instant présent. Je sais que cela ne plaira pas à tout le monde car beaucoup de lecteurs semblent de plus en plus apprécier une chronologie plus linéaire. Pour ma part, je trouve au contraire qu’une narration fragmentée de la sorte apporte du dynamisme au récit. Autrement l’histoire, qui est plutôt simple et courte, serait fort plate.
Ali Hazelwood aime les quiproquos. Ce qui n’est mon cas. J’ai toujours trouvé que c’était un ressort scénaristique de fainéant, quand le quiproquo est au centre du récit cela s’entend, et c’est le cas ici. Heureusement, la narration en deux temps allège cela car on passe davantage de temps dans le passé, à voir comment s’est construit la relation des personnages depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte. C’était chouette à lire, drôle souvent, mignon de temps en temps. J’ai levé les yeux au ciel de parfois, mais globalement j’ai passé un bon moment avec cette lecture et ces personnages.
L'interprétation de la lectrice est excellente et apporte une réelle plus-value au texte.

samedi 15 février 2025

Nayra et le Djinn

Une BD de Iasmin Omar Ata, publiée chez Bliss Comics Éditions.



Nayra vit une situation difficile. Elle ne se sent pas bien dans son lycée, où elle subit harcèlement et moqueries parce qu’elle est musulmane. Elle voudrait changer d’école, mais sa famille refuse de l’écouter, lui reproche ses notes en chute libre et lui intime d’être forte.
Nayra se sent seule, bien qu’elle ait une amie proche qui se trouve dans la même situation. Rami est plus fataliste quant à ce qu’elles vivent. Elle essaie juste d’éviter les problèmes et se concentre sur le positif, à savoir leur amitié, ce qui semble agacer Nayra.
J’ai eu de la compassion pour ces deux jeunes filles, mais au bout d’un moment l’égoïsme de Nayra m’a saoulée. Je n’ai pas compris pourquoi elle s’éloigne de la seule personne qui l’a toujours comprise et soutenue. Elle se plaint de son isolement tout en s’isolant encore plus. Quand Marjan lae Djinn entre dans sa vie, elle agit de même avec ellui. Pendant une bonne partie de l’histoire elle n’a aucune considération pour les gens autour d’elle. Et quand elle finit par s’amender, cela tombe un peu à plat. Alors certes, c’est une adolescente en souffrance, elle a des excuses, mais elle n’en demeure pas moins très narcissique.
De manière générale, cette histoire est pleine de facilités et de clichés. Les personnages ne sont pas toujours cohérents et il y a quelques évidents soucis de traduction. C’est dommage, car le thème est intéressant. En outre, on n’a pas souvent l’occasion de voir en littérature ce que peuvent vivre deux jeunes filles durant le mois du Ramadan, alors que c’est important. J’ai également apprécié les quelques incursions dans le monde des Djinns.
Pour ce qui est des dessins, le mélange de pastel et de tons vifs m’a un peu vrillé les yeux, mais c’est joli. Cela apporte de la vie aux dessins qui sont relativement simples. J’ai bien aimé ce style qui va bien avec l’histoire.
Mon avis est donc en demi-teinte. Cette BD ne me marquera pas, mais l’intention était louable. Un public plus jeune que moi sera sans doute aussi plus indulgent.


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