Un roman de Nick Sagan, publié chez J'ai Lu dans la collection Nouveau Millénaire.
Les chroniques des tomes précédents sont également sur ce blog :
Présentation de l'éditeur :
Le virus génétique connu sous le nom de Black-Ep a bien failli mettre un terme brutal à l'histoire de l'humanité, mais quelques-uns, dont les gènes ont été modifiés en prévision de la catastrophe, ont réussi à survivre. Hal, Pandora, Isaac et les autres posthumains s'appliquent à présent à sortir de leur stase cryogénique des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants, et à leur faire partager leur vision d'une nouvelle société fondée sur l'entraide et le partage, afin que les erreurs du passé 'ne se reproduisent jamais. Pourtant la contestation enfle à mesure que la population augmente. Très vite, l'utopie des posthumains se heurte à la mégalomanie de ceux qui voient dans cette nouvelle ère un monde à conquérir...
Si vous êtes un habitant du système solaire ou de sa banlieue, il est impossible que vous n'ayez pas entendu la voix du petit Nick Sagan, six ans, clamer à qui veut l'entendre « Hello from the children of planet Earth » depuis les sondes Voyager 1 et 2. Depuis, il se consacre à des choses infiniment moins sérieuses comme l'écriture de scénarios pour le cinéma et la télévision. Everfree conclut la trilogie initiée par Idlewild et Edenborn, dans laquelle il offre de notre futur immédiat une vision à la fois sombre et porteuse d'espoir.
Attention, cette chronique contient des spoilers concernant les ouvrages précédents.
Everfree commence fort, tout de suite dans le vif du sujet. C’est inquiétant quand la lecture des premiers volumes date un peu. Pas de préambule, des explications limitées au nécessaire, mais il n’a pas été si compliqué pour moi de me remettre dans le bain, à mon grand étonnement. Oui j’avais oublié des choses, des détails concernant les volumes précédents, mais tout s’est remis naturellement en place très vite. Sans doute le mérite en revient-il à l’auteur qui a su parsemer ses textes de points de repères discrets, mais efficaces.
Après le déchaînement des événements dans Idlewild et le mysticisme d’Edenborn, c’est un environnement incertain que nous trouvons dans ce roman, avec un continent américain qui renaît lentement de ses cendres. Nos posthumains ont vaincu le Black Ep et commencé à sortir de leur stase cryogénique les rares humains à y avoir été plongés à temps. Mais tout n’est pas idyllique en ce début de roman. Halloween se sent cerné de tous côtés, cherchant à protéger les siens et leur idéal. La nature humaine étant ce qu’elle est, il semble passer son temps à désamorcer des bombes, au sens figuré comme au propre.
J’avais terriblement hâte de retrouver Hal, Pandy et les autres. Au fil de la trilogie, je me suis attachée à ces personnages, trouvant des affinités, m’enrichissant des différences. S’il y a bien une chose que l’on peut reconnaître à Nick Sagan, c’est le travail qu’il a fait dans la construction de ses personnages principaux. Rien n’a été laissé au hasard, mais sans que cela paraisse trop apprêté non plus. Ils sont complexes, tangibles, imparfaits et surtout humains. Que nous les aimions ou les détestions, nous le faisons pour de bonnes raisons, selon notre sensibilité.
Le roman lui-même est bien construit, que l’on apprécie ou non les tenants et aboutissants de l’histoire, on peut y voir une évolution logique, réaliste, réfléchie. De petites choses qui semblaient de l’ordre du détail dans Idlewild et Edenborn resurgissent, ont des conséquences importantes, mais aussi des origines. Dans ce dernier volume on obtient enfin des réponses à certaines questions qu’on a pu se poser, mais aussi à d’autres que l’on n’envisageait même pas et dont l’importance est finalement capitale. Une fois ces choses, que l’on pensait laissées de côté, plus développées et mieux comprises, on se rend compte de toute la dimension que Sagan a su apporter à son univers.
Comme le précédent volume, Everfree prend la forme d’une narration chorale.
La première partie, qui nous propulse directement dans ce panier de crabes qu’est New Cambridge, est uniquement narrée par Hal, mais avec ce qu’il faut d’implication des autres personnages pour offrir au lecteur un point de vue plus large. Qui plus est, on s’est attaché à Hal, on le connaît bien depuis le temps et c’est lui le plus à même de faire passer cette histoire.
La deuxième partie voit émerger des narrateurs jusque-là laissés de côté. Hal est toujours présent, bien sûr, mais Sloane, Isaac et Fantasia viennent mettre leur grain de sel. C’est intéressant de voir Isaac tel qu’il est et non selon la façon dont les autres, qu’il s’agisse de ses pairs, plus ou moins hostiles à son égard, ou de ses enfants, le perçoivent. On comprend également un peu mieux Sloane et, paradoxalement, les actes de Penny, ce qui amène encore un peu plus de substance et de complexité à une histoire que l’on pensait déjà connaître.
Et puis il y a Fantasia… Entrer de plain-pied dans l’esprit perturbé, mais brillant de cette dernière est une expérience des plus fascinantes. Elle est un cas particulier car mentalement instable. Il est très difficile de suivre ses réflexions, imagées, lapidaires, chaotiques ou parfois très lucides, mais c’est aussi très enrichissant quand on se donne la peine de décrypter ses pensées et ses notes, de chercher à comprendre ses motivations et son histoire personnelle.
Cette évolution des personnages, l’entrée dans les pensées de certains jusque-là distants ou inaccessibles, ces révélations sur l’avant Black Ep et la création des posthumains sont les choses qui ont fait, pour moi, l’intérêt de ce troisième et dernier volume. Mais à côté de ça, d’autres choses m’ont déplu, comme cette fin un peu bâclée et une possibilité concernant l’origine du Black Ep qui me laisse perplexe. Je ne comprends pas ce qu’elle fait là si c’est pour être au final si peu développée.
La dimension religieuse a, dans ce volume, laissé place à un contexte politique très important. Elle est toujours présente, mais un peu absorbée par d’autres idéaux, pas toujours nets, il faut le dire. Les guerres de pouvoir, les manipulations et les stratégies sont au cœur de l’intrigue. Le tout est bien pensé, travaillé, mais assez redondant et lourd, comme pouvait l’être le mysticisme dans Edenborn. J’ai trouvé que cela manquait un peu de mesure, non que les choix de l’auteur me paraissent exempts de réalisme, bien au contraire, mais ils pèchent un peu par manque de subtilité.
J’ai eu une petite déception concernant le déroulement de l’histoire, mais elle est toute personnelle. Quand on attend longtemps un livre, a fortiori quand celui-ci conclut une trilogie, on se fait toutes sortes d’idées à son sujet et cela n’est pas forcément une bonne chose. Le diable est dans les détails…
C’est toujours bien écrit, malgré quelques cafouillages (des coquilles, quelques petites erreurs dans les prénoms. De quoi agacer les maniaques dans mon genre, mais laisser les autres indifférents) c’est une intrigue réfléchie et construite, l’auteur a suivi son schéma de réflexion et, qu’on soit dubitatif ou non concernant ses choix, on ne peut nier qu’ils sont motivés et ancrés dans une structure logique et cohérente. Et puis le cynisme de cette histoire me semble très réel… C’est peu flatteur pour la nature humaine, mais ce n’est pas parce que ça semble un peu trop manichéen que c’est invraisemblable.
La trilogie Black Ep me laissera donc une bonne impression. J’ai apprécié de suivre ces personnages, de les voir grandir, mûrir, fonder une communauté et essayer de travailler ensemble malgré leurs différences, les rancœurs et les convictions qui les séparent. Un peu trop mystique parfois, un peu facile dans son contexte politique, mais au final très humaine, cette trilogie d’anticipation a aussi de très bons côtés. Elle est prenante, imagée, riche de détails, de symboles, elle a des implications psychologiques et philosophiques intéressantes et est, tout simplement, propice à la réflexion. Mais c’est aussi, et c’est peut-être le plus important, un excellent moment de lecture.