Un recueil de nouvelles de Megan Lindholm / Robin Hobb, publié chez J'ai Lu.
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Avant de choisir le pseudonyme de Robin Hobb sous lequel elle écrit ses grandes sagas de fantasy (L'assassin royal, Les aventuriers de la mer...), Megan Lindholm est l'auteur de plusieurs nouvelles et d'une dizaine de romans (Le dernier magicien, La nuit du prédateur, avec Steven Brust, Le cycle de Ki et Vandien...). Mais quel que soit le nom qu'elle emprunte ou le genre qu'elle explore, la reine de l'Imaginaire nous donne, à travers les neuf nouvelles qui composent ce recueil, un vertigineux aperçu de ses talents de conteuse.
Sommaire :
- Une note de lavande
- La Dame d’Argent et le quadragénaire
- Coupure
- Le Cinquième Chat écrasé
- Chats errants
- Finis
- Boîte à rythme
- L’héritage
- Viande pour chat
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Comme son titre l’indique, cet ouvrage est un recueil de nouvelles. Il y en a neuf en tout. Les sept premières sont signées Megan Lindholm et les deux dernières Robin Hobb. Ceci a son importance car l’auteur fait une distinction entre les univers, mais aussi la façon d’écrire, qui sont attachés à ces deux noms de plume. Elle nous l’explique d’ailleurs plutôt bien dans son introduction.
Cette collection d’histoires plus ou moins longues est en effet assortie de courtes présentations pour chaque texte. Grâce à elles, on voit la femme qui se cache derrière les nouvelles. Elle nous conte comment celles-ci sont nées, s’il y a une anecdote particulière ou une réflexion qui s’y rapporte ou simplement ce qu’elle a ressenti en les écrivant. Il est très plaisant de se retrouver ainsi dans l’atelier de travail de l’écrivain et de voir comment elle appréhende son travail et développe ses idées. Ceci est d’autant plus vrai qu’elle a une sensibilité particulière et une approche de son métier vraiment intéressante.
Si j’apprécie ses romans de manière générale, je trouve que c’est dans l’art de la nouvelle que cet auteur, quel que soit le nom de plume sous lequel elle officie, excelle vraiment. De mon point de vue, Megan Lindholm est une conteuse de grand talent et c’est un compliment que je garde précieusement pour de trop rares auteurs.
Pour autant, tous les textes de ce recueil ne m’ont pas forcément séduite. Mais ce n’est pas une question de qualité et nous verrons ceci en détails.
Une note de lavande.
L’histoire peut sembler banale et soudain on lit un mot, on fronce les sourcils, on le relit. Et on enchaîne en se demandant de quoi parle le narrateur, alors que celui-ci nous racontait jusque-là son enfance morose dans un appartement miteux, avec une mère complètement allumée qui aime la musique plus que tout au monde.
Puis les choses s’éclaircissent, la nouvelle se révèle vraiment originale. Pourtant… Je ne l’ai pas du tout aimée et ces soixante pages sont très difficilement passées. C’est un très bon texte, je vous assure. L’écriture est délicieuse, le sujet intéressant, certaines choses auraient dû me parler. Mais j’ai fait un blocage. Je suis restée focalisée sur cette mère qui préfère courir après des chimères plutôt que veiller au bien-être de son fils. Et ça n’est pas passé, tout simplement, aussi stupide que puissent être mes raisons, ça m’a mis les nerfs en pelote et j’ai dû faire un réel effort pour le terminer.
J’ai également été gênée par le fait que le narrateur, s’il raconte cette histoire alors qu’il est presque adulte, a des réactions assez peu plausibles. Il m’a semblé avoir été un enfant parfois trop intelligent pour son âge, parfois pas assez. C’était vraiment étrange, voire dérangeant et difficile à expliquer.
Quoi qu’il en soit, ce texte vaut la peine d’être lu et je vous invite à me dire ce que vous en avez pensé.
La Dame d’Argent et le quadragénaire.
J’ai une affection particulière pour cette nouvelle que j’ai déjà lue sous une autre traduction (celle de Lionel Davoust) dans l’excellente anthologie De Brocéliande en Avalon. Après Une note de Lavande qui m’a fortement déplu, ce fut donc un bonheur de relire cette nouvelle, toujours aussi sympathique.
J’aime peut-être ce texte parce qu’il s’agit de fantastique au sens le plus strict du terme, mais sincèrement, je ne saurais pas expliquer pourquoi je l’apprécie autant. C’est un récit amusant, mais pas hilarant, ce n’est pas une question d’originalité, mais plutôt d’ambiance. Oui, c’est le mot qui convient, je crois. J’aime l’ambiance un brin onirique de ce texte et suivre le quotidien de cet écrivain pragmatique qui rame inlassablement et voit sa vie réenchantée presque malgré elle.
C’est un très bon moment de lecture.
Coupure.
Comme l‘a si bien chanté Joe Cocker : every generation has it’s way, a need to disobey… Il s’agit ici de coupure entre les générations, mais aussi d’une autre sorte, plus intime…
Ce texte-ci est du grand art, je le dis le plus sincèrement du monde. Il m’a fait passer par toute une palette d’émotions violentes et j’ai réellement apprécié la profondeur de la réflexion. Plus qu’un texte sur l’apparence et sur les choix que l’on fait la concernant, c’est une réflexion sur l’évolution de l’humanité, la formation de l’individualité et la façon dont elle se fond dans le groupe, mais surtout sur notre corps et jusqu’à quel point il nous appartient. J’ai été profondément choquée par cette nouvelle, mais c’est un choc bénéfique et je conseille à tous de la découvrir.
Sur le thème de l’apparence et du modelage du corps, quoique sur un axe de réflexion différent, vous pouvez aussi découvrir l’excellent texte de Lionel Davoust : Tuning Jack dans le non moins excellent recueil L’importance de ton regard.
J’ai probablement été plus touchée par Coupure, parce que je suis une femme, parce qu’il y a une dimension légèrement plus mystique aussi qui l’accompagne. Mais ça n’enlève rien aux qualités de Tuning Jack et à la réflexion que ce texte propose, et puis les deux sont intéressants à découvrir en parallèle.
D’ailleurs, ces deux nouvelles ont un autre point commun qui fait que je les apprécie. Elles proposent une réflexion, mais n’imposent pas un point de vue. Au contraire, elles donnent la possibilité au lecteur de comprendre les motivations et arguments de chacun.
Coupure est un de mes textes préférés de ce recueil, un vrai coup de cœur.
Le Cinquième Chat écrasé.
On passe ensuite à une nouvelle plus légère et hallucinante d’un bout à l’autre. Elle est d’un tel cynisme que je ne pouvais que l’apprécier. Il s’agit de fantastique, mais au sens large, et ce texte est vraiment très drôle.
Le Cinquième Chat écrasé, ou comment la bizarrerie peut surgir dans le quotidien, c’est tout un programme et, franchement, c’est jubilatoire. Mon estomac s’est retourné deux ou trois fois, mais qu’importe !
Imaginez deux serveuses dans une voiture. L’une est pragmatique, l’autre complètement écervelée. Et la première regrette de s’être engagée dans une telle galère alors que la seconde s’amuse à compter les chats écrasés en s’empiffrant… Quand s’ajoute au duo un auto-stoppeur qui se révèle des plus déjantés, l’histoire peut partir en vrilles à tout moment et ne va pas manquer de le faire.
Derrière ce texte farfelu, il y a encore une fois une réflexion intéressante et elle porte ici sur ce qui fait un héros au sens livresque du terme, sur la facilité qui caractérise parfois leur cheminement et qui agace le lecteur ordinaire.
La nouvelle est très bien pensée, la fin exquise et je me suis bien marrée.
Chats errants est une nouvelle plus sérieuse, grinçante et mélancolique. Elle nous parle d’enfance difficile, de rêves brisés et d’amitié improbable. Ici l’espoir se cache là où on ne l’attend pas forcément, mais c’est un très beau texte et du bon fantastique.
Finis.
L’introduction a pesé son poids dans ma façon de percevoir cette nouvelle et j’ai trouvé ça dommage au final. Alors j’aimerais vous inviter à lire celle-ci après le texte et à zapper le paragraphe que je lui consacre si vous voulez lire ce récit sans a priori.
Megan Lindholm a souhaité prendre une histoire classique à contrepied dans cette nouvelle. Pourtant, le tout est prévisible et la fin est d’autant moins subtile que l’auteur en rajoute une couche, faisant tomber la chute à plat au lieu de la rehausser. Elle s’est montrée trop insistante et ça a gâché ses efforts.
Au-delà de ces considérations, c’est une lecture très plaisante et si l’auteur n’avait pas insisté sur le fait qu’elle a voulu lui insuffler une originalité particulière, ça ne m’aurait pas choquée outre mesure. J’ai beaucoup aimé ce texte, la façon dont il est construit, le style, l’idée en elle-même. J’en garderai un bon souvenir malgré tout.
Boîte à rythme est un de mes textes préférés. Encore une fois, c’est du grand art et, surtout, c’est subtile, pas de morale, pas de choix meilleur qu’un autre. Tous les points de vue se défendent, même si évidemment on adhère plus facilement à l’un qu’à l’autre. Ce que j’aime chez Megan Lindholm, c’est qu’elle n’impose jamais rien, la réflexion coule, riche et complexe, multiple, mais jamais pré-mâchée, il ne tient qu’au lecteur d’en faire son miel à sa convenance.
Cette nouvelle-ci parle de parentalité, mais surtout de deux façons différentes de voir la vie et donc de la vivre. Aucune n’est parfaite et ce récit m’offre un autre coup de cœur.
Les deux dernières nouvelles sont signées Robin Hobb et se passent donc dans l’univers habituel de celle-ci. Le style diffère, il prend des tournures un peu moins subtiles, voire moins pointues, à mon goût, mais plus contemplatives également.
L’héritage m’a vraiment plu. Cette nouvelle se passe à Terrilville et évoque donc, pour qui l’a lue, la série des Aventuriers de la mer. Vous pouvez toutefois l’apprécier sans connaître cette dernière.
Cerise, principale protagoniste, se voit spoliée de son héritage, mais se rendra vite compte que nous ne tenons pas de nos ancêtres que des biens matériels. Ce récit initiatique fut une lecture très agréable, sans morale trop appuyée pour gâcher l’ensemble.
C’est une belle histoire et elle m’a donné envie de me replonger dans les écrits plus longs de Robin Hobb.
Viande pour chat.
Eh oui, décidément, ce recueil est peuplé de chats, ce qui n’est pas pour me déplaire. J’ai particulièrement apprécié celui qui participe à cette histoire. Pourtant cette dernière nouvelle, tout comme la première, m’a semblé longue, mais longue… Interminable.
Ce n’est qu’une surenchère d’événements qui peuvent paraître exagérés, entre un homme autoritaire, aussi stupide que cruel, et une femme, prise à la gorge, qui ne sait comment s’en sortir. C’est pourtant terriblement réaliste, déplaisant à lire, certes, même si c’est bien écrit, mais toutefois plausible. Ce récit est d’ailleurs dérangeant dans ce qu’il a de vrai. Ce genre de loustic existe, malheureusement, et s’ils ne sont pas tous aussi radicaux, l’idée est là.
Il n’en reste pas moins que ce récit est vraiment interminable. Je dois avoir un problème avec les nouvelles de cet auteur quand elles dépassent une certaine longueur. J’ai alors l’impression qu’elle commence à se répéter et ces multiples rengaines crissent dans mon esprit comme une craie sur un tableau noir. Ça me le fait aussi, un peu, avec ses romans.
Le sujet, pourtant, est bien trouvé et méritait d’être aussi bien traité qu’il l’a été. Le chat est, selon moi, le personnage le plus intéressant de cette historie et il lui apporte un regain d’intérêt quand elle s’enlise dans les épreuves que subit Romarin. On passe sinon beaucoup de temps à attendre que cette dernière réagisse et si on comprend pourquoi elle ne le fait pas, ça reste quand même très pénible à suivre.
Ce recueil a donc mal commencé et mal fini pour moi avec les deux nouvelles que j’ai le moins appréciées. Mais, encore une fois, il s’agit plus d’une question de sensibilité personnelle que d’un réel problème provenant du texte. De surcroît, les autres récits m’ont véritablement ravie. C’est une lecture que je ne regrette pas et qui m’a beaucoup apporté.
Si vous aimez ou voulez découvrir l’écriture de Megan Lindholm (j’insiste sur ce point, Megan Lindholm, pas Robin Hobb) ce recueil saura vous séduire et vous donner envie de lire d’autres textes de son auteur. Ces excellentes nouvelles, pourvoyeuses de réflexion, mais jamais moralisatrices, plairont à tout lecteur, même ceux qui ne sont pas amateurs de fantastique, SF et fantasy.