Un roman de Tracy Chevalier, publié chez Gallimard.
Présentation de l'éditeur :
Dans les années 1810, à Lyme Regis, sur la côte du Dorset battue par les vents, Mary Anning découvre ses premiers fossiles et se passionne pour ces "prodigieuses créatures" dont l'existence remet en question toutes les théories sur la création du monde. Très vite, la jeune fille issue d'un milieu modeste se heurte aux préjugés de la communauté scientifique, exclusivement composée d'hommes, qui la cantonne dans un rôle de figuration. Mary Anning va trouver heureusement en Elizabeth Philpot, une vieille fille intelligente et acerbe, une alliée inattendue...
Avec une finesse qui rappelle Jane Austen, Tracy Chevalier raconte, dans Prodigieuses créatures, l'histoire d'une femme qui, bravant sa condition et sa classe sociale, fait l'une des plus grandes découvertes du XIXe siècle.
Prodigieuses créatures nous conte de façon romancée les vies de Mary Anning et Elizabeth Philpot.
Fille d’un artisan pauvre, Mary passe ses journées sur la plage à récupérer les fossiles qu’elle vend ensuite aux touristes. C’est bien entendu une nécessité pour assurer un semblant de bien-être matériel, mais au-delà de ça, Mary a l’œil et une passion pour les fossiles, comme son père. Elle ne sait pas vraiment ce qu’elle cherche avant de l’avoir trouvé : le squelette d’un animal mystérieux qui va réveiller craintes et convoitises.
Mary Anning fut une paléontologue autodidacte dont les découvertes en matière de fossiles furent décisives dans un domaine qui passionnait autant qu’il choquait à son époque. Si les fossiles attisaient la curiosité des savants et nourrissaient leurs conjectures, ils remettaient aussi en cause les croyances religieuses. Ce roman expose parfaitement au lecteur du XXIe siècle ce que ces recherches avaient de blasphématoire deux cents ans plus tôt. Et quand on sait qu’il y a encore de nos jours des créationnistes qui nient l’évolution des espèces, on ne peut que s’interroger sur la façon dont les gens pouvaient envisager de telles découvertes à une époque où la religion était si prégnante.
Toutefois, si cet aspect de l’histoire a son importance, celle-ci traite également de la place des femmes dans bien des domaines. Seul le veuvage pouvait leur octroyer un minimum d’indépendance à l’époque. Leur instruction était limitée, même dans un milieu aisé. On attendait seulement qu’elles sachent jouer du piano, qu’elles aiment dessiner de jolies fleurs et qu’elles se trouvent un mari. Les femmes issues du milieu ouvrier, quant à elles, pouvaient tout juste apprendre à lire au catéchisme, on préférait les mettre au travail très jeunes pour qu’elles ne soient pas un poids mort. Alors des femmes intelligentes qui se mêlent de sciences, c’était tout bonnement impensable. Elles existaient à peine dans l’ombre des hommes, ni reconnues ni respectées.
Si l’autrice fait narrer certains passages de ce roman à Mary, la narratrice principale en est Elizabeth Philpot, femme de sciences encore plus cantonnée dans l’ombre que son amie. Elizabeth était une femme intelligente, issue d’un milieu bourgeois, mais qui n’a pas trouvé à se marier, faute de dot suffisamment conséquente dans une famille qui comptait trop de filles. Avec deux de ses sœurs, elle déménagea de Londres pour le petit village de Lyme Regis, afin de ne pas déranger sa nouvelle belle-sœur et de coûter moins cher… Les trois femmes se consolèrent comme elles purent, Louise donnant libre cours à sa passion pour le jardinage, Margaret se fondant dans la bonne société locale et Elizabeth se découvrant un intérêt pour les fossiles qui lui permis d’exploiter sa grande intelligence.
J’ai été émue par cette femme qui espérait mieux et qui a dû se contenter de ce qu’on offrait à une femme de sa condition : peu de liberté, la quasi impossibilité d’avoir une conversation réellement intéressante puisqu’une femme qui parle de sujets sérieux est bien vite remise à sa place et surtout son espoir inavoué de trouver malgré tout un compagnon qui pourrait la comprendre et l’encourager. Cela devait être terrible de sentir ainsi son esprit se racornir faute de personne avec qui échanger et stimuler son intellect.
Quand Elizabeth rencontre Mary, celle-ci n’est encore qu’une fillette, pourtant elles vont beaucoup s’apporter l’une à l’autre. Mary offre à Elizabeth toutes les informations pratiques qui lui manquent dans l’art de la chasse aux fossiles et Elizabeth lui enseigne en échange une rigueur toute scientifique pour étiqueter et classer ses découvertes. Mais leur amitié et l’influence qu’elles ont sur la vie de l’autre va bien au-delà de ça. L’une est issue du peuple, l’autre de la bourgeoisie, vingt ans les séparent, pourtant elles seront amies et malgré tous leurs différends, les jalousies et les rancœurs, cette amitié les tirera toujours vers le haut. La médiocrité dans laquelle on maintient les femmes, qu’elles soient pauvres ou riches, est un joug qu’elles ressentent toutes deux et leurs ambitions, à la fois semblables et si différentes, vont les unir. Ce combat contre le mépris qu’on leur renvoie à chaque découverte qu’un homme s’approprie, à chaque conversation éludée ou regard hautain est ce qui rend ce roman si fort et émouvant.
J’ai beaucoup aimé l’image qu’il nous renvoie de ces deux femmes. Tracy Chevalier à su les rendre vivantes à mes yeux, ce qui est somme toute une belle revanche. J’imagine aussi que le fait de l‘écouter plutôt que de le lire a joué. Les récits à la première personne font souvent de très bons livres audio et celui-ci est d’une grande qualité à tous points de vue. Les lectrices ont fait un excellent travail, elles sont toutes deux très expressives, les interludes musicaux mettent dans l’ambiance. Tout cela contribue à rendre l’écoute particulièrement vivante.
Toutefois, il est regrettable que les notes présentes à la fin du livre soit absentes de la version audio. Tracy Chevalier prend la peine d’y exploser des faits historiques et d’expliquer son choix narratif de respecter la chronologie des faits, mais de les condenser sur un laps de temps plus court.
Quoi qu’il en soit, Prodigieuses créatures reste une excellente lecture, un récit à la fois historique et féministe qui permet de connaître deux figures scientifiques intéressantes et de se rendre une fois de plus compte que les femmes ont été spoliées de leurs découvertes et reléguées dans l’ombre trop souvent.