dimanche 29 juillet 2012

La confrérie de la dague noire T1, l'amant ténébreux

De J.R. Ward.
Publié chez Milady.

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Notez le soin apporté à la couverture, la nana de l'image est blonde alors que l'héroïne du roman est brune... Je crois que ça veut tout dire.

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Résumé de l'éditeur :
Une guerre fait rage à l'insu des humains. Six vampires protègent leur espèce contre la Société des éradiqueurs. Ces guerriers sont regroupés au sein de la mystérieuse Confrérie de la dague noire. A sa tête, Kolher, leader charismatique et implacable... L'un de ses plus fidèles guerriers est assassiné, laissant derrière lui sa fille, une magnifique jeune femme, une sang-mêlé qui ignore tout de son destin. Et c'est à Kolher qu'il incombe de faire découvrir à Beth le monde mystérieux qui sera désormais le sien...


Avant-propos (à lire si vous vous inquiétez de ma santé mentale, sinon passez directement à mon avis sur le livre) :
A toutes les personnes qui pensent que j’ai lu ce livre parce que j’ai perdu un pari, je répondrai : il y a de ça.
Sur le forum de vampires et sorcières il y a un jeu qui consiste à mettre un extrait de roman et a asticoter les autres jusqu’à ce qu’ils trouvent le titre qui correspond. Et moi, en bonne emmerdeuse, je leur ai sorti un vieux roman de fantasy des années 70 en leur disant que si quelqu’un l’avait lu, je lirai de la romance paranormale.
Bon, je ne prenais pas vraiment de risque avec ce roman, d’ailleurs personne ne l’avait lu, mais Chani, dont tout le monde connaît la perfidie, a décidé de le lire exprès pour me provoquer ! (C’est cruel, hein ? Dites-le que c’est cruel !!!)
Il en allait de mon honneur de lectrice, j’étais obligée de tenir ma promesse… (Même si nous pouvons nous accorder pour dire combien cette manipulation était retorse.) Un vote a donc été organisé par les membres du forum et le résultat a été en faveur du premier volume de La confrérie de la dague noire, série que l’on m’a décrite comme étant « la meilleure de la liste ».
Je me suis donc lancée courageusement dans ce marasme gluant qu’est la romance paranormale.
Au final, sincèrement, je ne veux même pas envisager une seconde quelles daubes devaient être les autres bouquins de la liste…

S’il y a des fans de la confrérie qui passent par ici (par hasard, j’imagine), ne lisez pas mon avis. Je respecte tout à fait vos goûts en matière de lecture, mais ça ne m’empêchera en rien de dire tout le mal que je pense de ce fichu roman.

Mon avis :

Avec quelques spoilers (comme si on ne savait pas d'avance comment ça va finir).

Je ne sais même pas par quoi commencer tellement j’ai trouvé cette lecture ennuyeuse. D’habitude, la romance paranormale me fait surtout beaucoup rire, principalement parce que je la trouve navrante de bêtise, mais là… J’en resterais presque sans voix et prête à subir un lavage de cerveau pour 1 : oublier ce bouquin, 2 : désapprendre à lire pour ne jamais plus avoir à me farcir un truc pareil.
Mais qu’est-ce que c’est que cette daube ???
Bon l’auteur a bien travaillé sur les origines de son peuple de vampires, ça je veux bien le lui accorder. Ce n’est pas non plus l’idée du siècle, mais j’ai vu pire. Par contre, j’aimerais attirer votre attention sur quelque chose qui m’a… consternée. Ouais, je crois que c’est le mot…
Il y a des auteurs qui ont inventé des langages pour offrir plus de cachet leurs histoires, langages certes plus ou moins travaillés, mais composés avec une certaine application, quel que soit le degré de complexité qui en a résulté. Il y en a d’autres qui ont utilisé patiemment des langues anciennes pour créer les bases de leurs langues imaginaires… Je n’en demande pas tant, mais bon, un minimum d’efforts est toujours appréciable.
A côté de ça J. R. Ward, elle, met des h dans les mots. Oui, oui, vous avez bien lu. Comme seule influence de l’ancienne langue des vampires sur celle qu’ils ont fini par adopter, on retrouve des h un peu partout. Bon, il y a bien quelques mots de leur langue ancienne par-ci par-là, arrivés d’on ne sait où parce que ça fait classe, mais la plupart du temps on en reste aux h. Après tout, les lecteurs s’en contrefoutent…
Alors ça c’est du boulot J.R. ça a dû te demande beaucoup de recherches et d’imagination…
Parlons du style ensuite, on va garder l’histoire pour la fin, c’est quand même le plus marrant.
La traduction est déplorable (oui ça se sent même quand on n’a pas lu la V.O. parce qu’il y a des phrases qui disent tout le contraire de ce que laisse entendre le contexte).
On a aussi, notamment, un personnage appelé Audasz auquel on fait souvent référence par l’initiale D. On m’a expliqué que c’est parce qu’à l’origine il s’appelle Darius. Là j’ai juste envie de dire à la traductrice de changer de métier si elle n'est pas capable de gérer correctement un petit changement de nom…
Il y a aussi, ce qui est vraiment très agaçant, une absence quasi systématique de négation complète dans les dialogues. Un peu ça va, mais là c’est au-delà du supportable. Ça fait langage parlé ? Ouais, d’accord, mais parfois c’est complètement ridicule :
« Me fais pas confiance. M’aime pas. Je m’en tape. Mais me mens jamais. »

Je ne sais pas si ça vient de l’orignal ou de la traduction, mais franchement ça craint.
Au-delà de ça, Je ne pourrais pas vraiment dire que c’est très mal écrit sinon, c’est juste très quelconque, stylistiquement parlant, et particulièrement vulgaire. Puis, ces vampires ont quand même une façon de s’exprimer qui me fait me demander s’ils tournent à plus de cent mots de vocabulaire. Mais bon, l’élégance de l’écriture et ce genre de romans ont toujours fait deux… Qui plus est, on ne devrait pas attendre de guerriers vampires qu’ils aient un minimum de culture.
Le tout manque de logique aussi, parfois. Comme quand les vampires invoquent Dieu ou usent de jurons religieux alors qu’ils ont leur propre religion. Ils devraient se référer à leur Vierge Scribe. A la rigueur ils auraient pu choper l’habitude en fréquentant des humains, mais ce n’est pas le cas et certaines coutumes humaines leur sont totalement étrangères. (La télé, ma bonne dame, c’est utile pour apprendre des jurons, mais pas pour savoir que les humains se serrent la main quand ils se présentent.)
Enfin, revenons donc à cette vulgarité constante… C’est plutôt étonnant, et soûlant, de voir une bande de gars en cuir (ce qui est également hyper discret quand on déambule la nuit dans les rues faut dire) qui passent leurs temps à se traiter de fils de pute pour faire cool. Les derniers bourrins que j’ai rencontrés n’avaient pas de meilleures manières, mais fallait surtout pas toucher à leur maman…
Des gars très discrets, vous disais-je. Qui font tous 2m12 et 3m de large, nourris depuis le berceau à la créatine, vêtus de cuir et de soie noire, qui sortent la nuit pour tuer de l’éradiqueur (oui, éradicateur ça sonnait bien trop « mot sorti tout droit du dictionnaire », fallait innover) et personne ne les remarque jamais… C’est utile de pouvoir effacer les souvenirs des gens. La soie noire c’est quand même l’idéal pour se bastonner, faudrait pas s’en priver…
Bon, reprenons, les gentils vampires qui ne demandent rien à personne, même pas du sang car ils se nourrissent les uns des autres (ça aussi ça n’est pas très logique, mais passons) sont pourchassés par les méchants éradiqueurs (sérieux, j’ai vraiment du mal avec ce mot). Ces derniers sont morts et privés de leur âme, histoire qu’on comprenne bien qu’ils sont vraiment très méchants et pas nets. Ils sont au service d’un vilain monsieur qui est jaloux du pouvoir de sa sœur, la maman (peut-être avec un h) des gentils vampires.
Et pour défendre tous ces gentils vampires innocents contre une soixantaine de méchants sans âmes qui sont remplacés dès qu’on les tue on a quoi ? Cinq gars en cuir et chemises en soie, avec des shuriken et des dagues.
Hmmmmouais.
J.R. tu me donnes la migraine…
Evidemment les gars en cuir ont trop de problèmes et sont quasiment tous des mal-aimés. C’est pratique quand on veut écrire une série de RP, on va tous les caser et leur offrir la rédemption au fil des volumes et pour montrer l’exemple on va commencer par leur chef, le roi pleurnichard qui n’assume pas ses fonctions. Mais ça n’est pas sa faute, bien entendu, c’est juste qu’il a peur de mal faire…
Ces personnages sont à pleurer de rire tellement ils sont archétypaux.
D’abord, il y a Kolher, 2m12, quasiment aveugle, revêche, mais c’est parce qu’il a bobo à son petit cœur. Le mec torturé de base, avec un passé douloureusement tragique, et sans doute le plus bourrin de la bande (quoique le flic n’est pas non plus en reste dans le genre…)
Au départ il ne veut pas de Beth, mais son honneur va le pousser à s’occuper de la pauvre petite qui, sans la pureté de son sang, ne pourrait sans doute pas survivre à sa transition. (Les vampires ne se transforment qu’à l’âge de 25 ans et ont pour cela besoin du sang d’un autre vampire de sexe opposé. Idée qui n’est pas mauvaise en soi.)
Kolher n’est pas capable de distinguer les traits de Beth, mais il voit une goutte de jus de fraise couler sur son menton… Ben voyons…
Il a un putain de caractère, il déteste les humains, mais va devenir tout gentil et les adorer du jour au lendemain juste pour les beaux yeux de sa chérie (sa femelle, devrais-je dire. Oui, comme les animaux, des mâles et des femelles, c’est perturbant au départ, mais bon…). Et il va regretter d’un coup toutes ces années passées à maltraiter son ex… C’est beau l’amour, ça vous change une vie de merde en un claquement de doigts.
Puis on a Beth, l’orpheline censément futée (on verra plus tard que c’est du flan). C’est une bombasse, bien évidemment, mais solitaire et frigide (à défaut d’être vierge comme c’est tellement souvent le cas dans les RP. Mais bon, pour la vierge de service, on a l’ex de Kolher).
Cette chère Beth se transforme d’un coup en poupée salope (précommandez la vôtre pour noël, les stocks sont limités) et commence à se frotter à un inconnu en répétant, en mode disque rayé, « touche-moi », « caresse-moi ». Et ce, mes bons amis, juste parce qu’il sent le cul.
J’exagère ? Que nenni… Ces vampires ont un odorat très important et ils passent leur temps à se renifler. Bon, pourquoi pas, me direz-vous… Mais ça donne lieu à tout un tas de « sentir son odeur suffisait à le faire bander » Enfin, un rien le fait bander ce brave Kolher, la voix de Beth, son aura, son souvenir même, alors on n’est pas à ça près…
Il passerait son temps le nez entre ses cuisses… Mais ne veut bien entendu pas admettre qu’il est totalement shooté à elle… Vous savez comment ça va finir, mais l’auteur a décidé de vous rallonger indéfiniment la sauce… On utilise la traditionnelle technique du chat et de la souris, puis du quiproquo qui permet de remplir une trentaine de pages avant de s’évanouir tout d’un coup et de finir en orgie de sexe. Ils ne se sont pas expliqués, mais ça n’est pas grave… Le quiproquo, outil béni des auteurs de romance, revient toujours en force !
Et c’est ennuyeux, tellement ennuyeux de les voir se tourner autour… Surtout qu’ils sont aussi antipathiques et pitoyables l’un que l’autre.
Les personnages secondaires, même s’il y en a de plus sympathiques que d’autres, n’apportent pas grand-chose à cette histoire qui est surtout très hypocrite. On veut nous faire croire qu’il y a une intrigue secondaire, que l’histoire d’amour (ou de cul) n’est pas l’essentiel du roman, mais en fait c’est juste un peu de poudre aux yeux.
Non, vraiment, je me suis rarement autant ennuyée. J’ai trouvé ce bouquin tellement machiste et mièvre que j’en reste écœurée. Certaines choses dans cette histoire m’ont agacée ou ennuyée, d’autres m'ont heurtée aussi parfois. Je n’arrive pas à comprendre l’engouement que génère cette série..
Je crois que j’ai préféré le premier volume du Cercle des immortels (qui, de mon point de vue, allait pourtant au-delà des limites du ridicule) et même le harlequin lu pour le défi de l’année dernière (c’était bien plus drôle et moins hypocrite), c’est dire…

Comme il faut bien que cette lecture ait une utilité et que je galère pour trouver des auteurs américains pour mon défi, ce roman sera le premier dans la catégorie "auteurs nord-américains vivants".

lundi 16 juillet 2012

Mémoires d'un maître faussaire

De William Heaney, alias Graham Joyce, publié chez Bragelonne en grand format et en version numérique.


Résumé de quatrième de couverture :
William est un faussaire spécialisé dans les livres. Il est doué pour l'écriture mais préfère griffonner incognito des poèmes pour un ami plus séduisant que lui et fabriquer des exemplaires factices de premières éditions de Jane Austen qu'il vend ensuite à des collectionneurs crédules. II n'est pas si mauvais, au fond : il reverse l'argent récolté à un foyer pour SDF et ses crimes ne font de mal à personne. Mais si William n'a rien fait d'autre de sa vie, ce n'est pas sans raison. Il a commis quelque chose quand il était étudiant qui lui fait honte, boit beaucoup trop et ne peut s'engager dans une relation amoureuse. Ah oui, et il voit des démons. Des silhouettes éthérées qui rôdent derrière le dos de ceux qui l'entourent, guettant un instant de faiblesse. À moins que William voie simplement la souffrance du monde ? C'est alors qu'une femme extraordinaire, peut-être capable de l'en sauver, entre dans sa vie...


Commençons par dire que c’est du fantastique au sens strict du terme. Le surnaturel n’est pas des plus discrets, mais il est tout relatif car uniquement dévoilé à travers les perceptions des personnages. Vous êtes donc prévenus, n’attendez pas de ce roman qu’il passe un certain seuil de « normalité ». Pour autant, ce n’est pas non plus du fantastique à l’ancienne qui cultive religieusement l’ambiguïté. On croit ou ne croit pas, on peut se poser des questions, mais ce n’est pas non plus l’essence-même de l’histoire. Le surnaturel fait simplement partie du récit, comme une tache d’ombre sur une photo.
C’est plus moderne donc, mais toujours axé sur la psyché du héros. Le fantastique est souvent une littérature de l’être, une histoire symbolique de la formation du mental et du basculement de l’esprit vers une autre réalité, ou plutôt une oscillation entre deux réalités. Le lecteur ne sait jamais vraiment si le personnage est d’une extrême lucidité ou s’il devient simplement fou. C’est cette ambigüité qui me plaît, ce vacillement, parfois même imperceptible, ces voies multiples qui s’ouvrent devant le lecteur.
Mais ne vous faites pas de fausses idées, ce roman, s’il n’est pas une lecture que l’on peut qualifier de légère, n’est pas non plus pesant et déprimant. C’est un bon miroir de la vie en générale, avec ses dérives, ses tragédies, mais aussi ses joies, les amitiés qui se nouent, les étranges coups du sort et rencontres fortuites qui font le quotidien. Et Joyce sait comme personne décrire ce quotidien en demi-teinte… Son style exquis, subtil, mais aussi acéré est tout entier au service de son récit.
Il a une façon incroyablement sensible et évocatrice de dépeindre la psyché humaine, une écriture vibrante d‘émotion, tout en étant très terre-à-terre et ne versant jamais inutilement dans le pathos, qui me fait toujours apprécier ses ouvrages, mais qui me fait aussi les regarder avec appréhension avant de les ouvrir. Il sait faire du quotidien une histoire dense, plus psychologique que réellement basée sur l’action. Il peut passionner son lecteur avec bien peu de choses au final.
J’ajouterai également que Mélanie Fazi est sans nul doute une des meilleures traductrices possibles pour Graham Joyce. Elle sait à la perfection transposer les subtilités de son écriture.
L’histoire en elle-même est fort simple. William Heaney, le narrateur et personnage central, nous invite dans son existence un peu terne. Divorcé, englué dans un travail de bureaucrate qu’il juge absurde, il vivote tranquillement entre son boulot et ses soirées avec ses copains du club des chandelles, montant quelques escroqueries qui lui servent à financer un refuge pour sans-abris. William est un personnage emmuré dans ses souvenirs, hanté par ses lâchetés, qui a méthodiquement chassé toute passion de sa vie. Il l’a passée à se planquer, loin des sentiments exacerbés qui s’apparentent pour lui aux démons qu’il voit partout.
Un peu paumé et alcolo sur les bords, cynique, un peu cinglé aussi, il est malgré tout assez drôle, intelligent, attachant, très humain et au fond on l’identifie tout de suite comme quelqu’un de bien, peut-être un peu lâche, mais cherchant à se rattraper de ses erreurs passées. Je dois avouer qu’il m’a été particulièrement sympathique.
Les personnages sont toujours la meilleure réussite de Joyce, il sait les rendre vivants. Celui-ci n’échappe pas à la règle, mais les personnages secondaires sont tout aussi bien construits, aussi réels et travaillés. Chacun à son histoire et, si William est le personnage principal, aucun n’est pour autant oublié ou voué uniquement à faire tapisserie. Ils sont tous aussi essentiels les uns que les autres à la construction de ce récit, tout comme l’est la ville avec son ambiance et sa culture. Tout forme un ensemble des plus cohérents, un canevas complexe.
C’est une histoire en spirale plus qu’une chronologie double. Au début le passage au passé peut dérouter, mais on comprend vite comment marche l’esprit de William. Ces incursions dans le passé finissent par se fondre dans le récit et j’ai trouvé le tout très fluide et bien pensé. C’est en cela que ça me fait penser à une spirale. Depuis le nœud du problème, cette culpabilité que traîne le personnage, à sa vie actuelle, son existence a évolué en spirale, décrivant des cercles de plus en plus grands, mais toujours avec ce rappel, ce point douloureux par lequel il faut repasser de cercle en cercle. Et comme dans toute spirale, au-delà de ce point central sur lequel se focalise notre héros, des choses se répètent, reviennent sous d’autres formes, des détails sans cesse renouvelés poussent au souvenir ou à la réflexion. C’est une histoire parfaitement construite, très prenante et qui m’a particulièrement touchée. C’est peut-être un peu à cause de mon histoire personnelle, mais je pense que la sensibilité avec laquelle Joyce nous fait percevoir l’histoire de William y est aussi pour quelque chose.
J’ai vraiment beaucoup apprécié cette lecture, mais je conçois que ce ne soit pas le genre de tout un chacun. Il n’y a pas beaucoup d’action, on suit surtout la vie quotidienne de ce personnage qui voit des démons et essaie de ne pas se noyer dans ses propres regrets. Ce que j’ai aimé, c’est que le fantastique est ici au service de cette réalité, somme toute simple et terne, et qu’au lieu de nous en distraire, il la met plutôt en relief. C’est, pour moi, un excellent roman.

Avec cette lecture je fais d'une pierre trois coups, mais seulement deux nous intéressent ici car c'est une lecture pour le club de Vampires et Sorcières et que ça me fait aussi un auteur anglais pour le défi lecture.

mercredi 11 juillet 2012

Vampires d'une nuit de printemps

Un roman de Lia Vilorë, publié par les éditions du Petit Caveau.


Présentation de l'éditeur :
Cher journal,
Désormais, mon nom est Fáil, Lía Fáil, et je suis un vampire.
Sans déconner ?
Punaise de pouvoir idiot, et tu réponds à l’écrit en prime !
Ben, depuis le temps, je sais que tu ne sais pas t’empêcher d’écrire tes tracas alors…
Ouais… pas faux…
Alors, vas-y, raconte…
En décembre dernier, je suis devenue un vrai vampire du genre « Kit complet sans les petits inconvénients ». Avec le sexy garde-du-corps écossais en prime.
Tu vas en faire des envieuses ! 
Ouais… surtout qu’à l’heure qu’il est, c’est le seul à ne pas vouloir ma tête pour un crime que je n’ai pas commis !
Qui est ? 
Toute ma nouvelle famille m’accuse d’avoir assassiné notre Maître, celui qui m’a créée. Mais je te jure : j’ai rien fait !
Ça me rappelle quelque chose…
M’en parle pas !
***
Bourré de références cinématographiques, de traits d’humour et de rebondissements, l’auteur nous propose de suivre les pas de son héroïne, Lia Fáil, dans une enquête qui lui permet de vivre maintes péripéties. un récit moderne et original, teinté d’humour pour le moins mordant !

Si vous avez réussi jusque-là à ne pas lire le résumé de quatrième de couverture, c’est très bien car il vous aurait dévoilé une trop grande part de l’intrigue et sincèrement elle vaut d’être découverte petit à petit. Plusieurs petites surprises vous attendent au détour des pages et il serait bien dommage qu’en trois ou quatre paragraphes la moitié du roman vous soit déjà dévoilée…
Retenez juste qu’il s’agit de l’histoire d’une jeune femme, un brin paranoïaque, catapultée bien malgré elle dans un cercle de vampires et dont l'initiation est plus que controversée. Vous avez l’impression d’avoir déjà lu ça ? Non, rassurez-vous, vous allez être très surpris.
Si j’ai eu quelques petits soucis en début de lecture pour m’immerger dans cette histoire, Vampires d’une nuit de printemps s’est bien vite révélé être un roman fort distrayant et bourré d’humour. J’ai vraiment retrouvé avec ce récit les impressions qui avaient été les miennes lors de la lecture de la nouvelle Le sang du soleil, incluse dans l’anthologie Or et Sang. À savoir que si l’histoire est délicieusement originale, le tout est quand même un peu fouillis.
Le background est complexe, Lia Vilorë a réellement travaillé sa mythologie, mais certaines choses demeurent plutôt tarabiscotées. Le style de l’auteur, par moment taillé à la serpe, n’arrange sans doute pas les choses. Ceci dit, sa vivacité compense aisément cela, tout comme la qualité de l’histoire et des personnages font vite pardonner les quelques invraisemblances qui ont pu me gêner et qui sont surtout présentes lors de la grande enquête qui occupe une moitié du roman. Et même si j’ai pesté contre ces vampires si peu perspicaces, j’ai vraiment beaucoup aimé les suivre dans leurs découvertes.
Lía, surtout, est un personnage très attachant, malgré ses faux-airs d’enfant terrible, elle est vraiment marrante, sa psychologie est parfaitement construite et cohérente. Elle sort aussi des sentiers battus, une vraie bouffée d’air frais ! Son pouvoir crée des situations très drôles et est littéralement le sel de ce roman. Une lecture aussi déjantée que celle-ci fait beaucoup de bien parfois.
La narration est, la plupart du temps, assumée par le personnage de Lía qui est au coeur de l'intrigue. Il y a toutefois quelques coupures narratives centrées sur d’autres protagonistes. Celles-ci offrent une diversion bienvenue car, à long terme, l’agressivité et la paranoïa de Lía peuvent se révéler épuisantes pour le lecteur. Cependant, ces passages de mise à distance n’en paraissent pas moins un peu plats et superficiels en comparaison. Cela est probablement dû en grande partie au fait qu’ils sont écrits à la troisième personne et entrent peu dans le détail des pensées ou ressentis de nos personnages, alors que, par contraste, nous sommes littéralement plongés dans les émotions de Lía qui raconte son histoire à la première personne. Les personnages secondaires sont pourtant tout aussi riches et intéressants. Ils peuvent certes sembler un peu caricaturaux parfois, mais ils ont une vraie histoire, ils ne sont pas voués à faire tapisserie.
Alors oui, il y a quelques petits défauts dans ce premier roman, mais rien d’insurmontable et en regard de la verve et l’humour dont fait preuve l’auteur, ce ne sont que de petits accrochages qu’on ignore joyeusement. Vampires d’une nuit de printemps est un roman auquel on ne peut contester son originalité, ce qui est bienvenu dans le contexte actuel alors que tous les livres de vampires ont tendance à se ressembler. Rien que pour cela, il vaut la peine d’être découvert.
La génialissime couverture dépeint parfaitement l’ambiance décalée de ce récit. Et rien que pour son sous-titre, moi j’dis « respect » ! Non je ne vous dirai pas quel est ce fameux sous-titre… D’abord parce que ça fait partie des surprises de l’histoire et ensuite parce qu’attiser votre curiosité afin de vous inciter à vous jeter sur ce livre me semble être le meilleur des plans.

mercredi 4 juillet 2012

Mère-vieille racontait

Un roman de Radu Tuculescu, paru aux éditions Ginkgo.


Présentation de l'éditeur :
Mère-vieille racontait est la « chronique d’une mort annoncée » : celle d’un hameau perdu de Transylvanie, (multiethnique et multiconfessionnel, du nom de Petra), qu’une « ancienne », pierre angulaire du village, s’efforce de retarder en ressuscitant les histoires passées de tous ses habitants, les vieux surtout… (les jeunes ayant migré en masse vers la ville).
Un étranger, visiteur de passage se trouve pris dans les rets de ce monde en marge du réel. (Devenue sur le tard une lectrice férue de grande littérature, « Mère-vieille » mêle inextricablement des détails de Boulgakov, d’Italo Calvino, etc… aux véritables souvenirs).
Le narrateur même s’en fera le dépositaire, puis le transmetteur, après la mort de la conteuse.
Si, en parlant de cette histoire authentique – la plupart des protagonistes, de « Mère-vieille » à la jument du facteur, ont bel et bien existé ou vivent encore –, le traducteur fait référence aux romans de Gabriel García Márquez, ce n’est pas par hasard : la même ambiance, à la fois locale et universelle, enveloppe celui de Ţuculescu.
On y trouve aussi une évocation de l’érotisme féminin dionysiaque plus fort encore que celui de l’Éloge des femmes mûres de Stephen Vizinczey.
Guy de Maupassant disait : « Le Réaliste, s’il est un artiste, cherchera, non pas à nous montrer la photographie banale de la vie, mais à nous en donner la vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même. […] J’en conclus que les Réalistes de talent devraient s’appeler plutôt des Illusionnistes. »
Mère-vieille racontait est un roman sur le crépuscule d’un monde qui, se refusant à l’extinction biologique, se nourrit des sèves innombrables du souvenir, telle l’unique source de vitalité.


Dans Mère-vieille racontait, Radu Tuculescu nous conte la vie la vie de tout un village, celui de la grand-mère de sa femme. Cette dernière lui ayant transmis ses histoires, il se met en devoir de ne pas les laisser périr en même temps que les derniers habitants de Petra, village perdu dans la campagne de Transylvanie.
Étrange ouvrage que celui-ci, dans le fond, comme dans la forme.
Le style est poétique, bien qu’un peu pesant. Les mots vont et viennent avec les anecdotes, se répétant comme la vague revient lécher le sable. L’histoire est aussi fragmentée que cyclique. Mêmes anecdotes, mêmes mots pour les raconter, inlassablement… Parfois quelques précisions y sont ajoutées, mais pas toujours. C’est un peu répétitif, décousu et donc, sur le long terme, épuisant pour le lecteur, mais ça fait aussi partie de l’histoire en elle-même, ça laisse l’impression d’entendre mère-vieille radoter ou de voir l’auteur et narrateur gamberger. En effet, toutes ces histoires lui donnent à réfléchir, le hantent même, pourrais-je dire.
Dans ce récit, le temps est des plus curieux. Il est figé, comme la vie de ce village déserté par les jeunes, dans lequel les vieux attendent simplement la mort, s’accrochant à l’alcool pour certains, aux souvenirs pour d’autres. C’est un peu glauque, mais c’est la réalité vue de près. Bizarrement, ce temps figé semble parfois se contracter, précis, aigu dans sa représentation de la réalité et d’autres fois il se dilate, versant dans le fantastique, voire le réalisme magique ou la divagation.
La réalité s’effiloche, la magie ou l’étrange arrivent d’un coup au détour du récit, puis ils partent comme ils sont venus. La vérité se dilue dans la mémoire vacillante de mère-vieille, ses dernières lectures influencent sa façon de percevoir le passé, s’y mêlent jusqu’à ce qu’on ne puisse plus distinguer le vrai du faux. Et si mère-vieille, parfois, ne voulait tout simplement pas dire la vérité ?
Le narrateur lui-même pense à un moment que mère-vieille a inventé une histoire à partir d’une lecture (la référence n’est pas citée, mais il s’agit de la nouvelle de Gogol intitulée Le nez) et il s’avère au final que l’essentiel de l’histoire était vrai.
C’est difficile à suivre et pourtant très plaisant de voir la réalité à travers toute sorte de différentes lunettes, avec en plus le filtre du regard du narrateur qui souvent extrapole, glose, délire aussi un peu. C’est qu’il y a parfois des zones d’ombres dans l’histoire, qu’il ne comprend pas tous les mots de la langue de mère-vieille également, mais aussi qu’il cherche à s’approprier le récit, ne souhaitant pas s’effacer de celui-ci.
Je me serais personnellement passée de ses incursions à lui, même si je sais qu’il n’aurait pu manquer d’être subjectif dans son récit. J’ai trouvé qu’il en faisait trop, s’intéressant davantage aux cancans du voisinage et aux histoires de fesses des uns et des autres, qu’à l’aspect, incroyablement riche au demeurant, de la vie de ce village et de son histoire.
Je suis également restée perplexe face à sa tendance à toujours ramener le tout vers un érotisme qui alourdit le récit et qui m’a paru vraiment dérangeant par moment. Ce n’est sans doute pas tant ces histoires elles-mêmes qui m’ont dérangée, mais sa façon de les raconter. Question de perception, j’imagine…
Pour ce qui est de la forme, le roman est divisé en trois parties, la dernière contenant de surcroît un épilogue.
La première, Fragmentation, porte très bien son nom. Les scènes sont numérotées, selon les visites de Radu chez mère-vieille et ce qu’elle lui a raconté.
C’est une collection d’histoires diverses qui finissent souvent par se rejoindre en motif, comme un patchwork. Ça semble aller au gré du hasard, mais au final ce n’est pas le cas. Pourtant, si c‘est plaisant d’une certaine façon, c’est aussi un peu pesant, ça alourdit l’intrigue, ça ne laisse pas aller le lecteur car il a besoin de toute sa concentration pour suivre l’histoire et c’est parfois un peu difficile de s’y retrouver.
La seconde partie, Le Voyage, est plus fluide. On suit toujours ce principe de flux et reflux dans l’enchaînement des anecdotes, mais avec plus de cohérence et de logique car il s’agit de conversations survenues le même jour entre différents protagonistes, bien qu’entrecoupées de quelques délires de l’auteur.
La troisième partie est composée de deux chapitres et de l’épilogue. Le premier raconte la mort de mère-vieille et son enterrement (ceci n'est pas un spoiler, le début du livre étant très clair à ce sujet). Puis, dans le deuxième, recoupant toutes les histoires entendues jusque-là, l’auteur nous livre sa version des noces dont on a tant parlé au cours du récit, des noces fantasmagoriques durant lesquelles a disparu un des personnages les plus emblématiques de ce village, la Margolili qui n’a cessé, dans sa vie comme dans sa mort de hanter les esprits de ses compatriotes.
L’épilogue enfin, fort court, est la partie qui m’a le plus émue dans la terrible prise de conscience du narrateur sur le contraste qui existe entre son éducation, sa façon de voir la vie, et la réalité cruelle des mœurs de ce village.
Je ne peux pas dire que j’ai vraiment apprécié cette lecture, que j’ai trouvée longuette et répétitive, pourtant, par bien des aspects, elle fut édifiante. Ce fut une intéressante escale dans un temps figé, incertain, qui se contracte et se dilate comme une vague de chaleur qui tend à perdurer. Est-ce le souvenir qui s’étire, encore vivant, pesant sur le présent ou une simple image rémanente de quelque chose de définitivement révolu et illusoire ? Peut-être bien un peu des deux à la fois.

A noter qu’il y a un glossaire à la fin de l'ouvrage, même si le contenu de celui-ci m’a laissée perplexe étant donné que la majeure partie des expressions, termes et proverbes choisis par la traductrice sont extrêmement connus et qu’il n’y est que rarement fait mention du texte original et de sa signification littérale.
A-t-on vraiment besoin qu’on nous explique des expressions comme « les carottes sont cuites », « laideron », « jachère » ou « bourré comme un coing » ? J’en doute fort…
Le mélange des différents argots m’a aussi semblé un peu bizarre, artificiel, mais j’admets volontiers qu’il doit être difficile de transposer un langage familier sans piocher dans divers parlers, alors, je ne vais pas chipoter.




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