mardi 29 octobre 2019

Délius, une chanson d'été

Un roman de Sabrina Calvo, publié chez Mnémos.

Présentation de l'éditeur :
XIXe siècle. Un poète assassin sème la terreur autour du monde, ses victimes sacrifiées aux cours d'horribles rituels floraux. Sur ses traces, Bertrand Lacejambe, un botaniste excentrique et son fidèle Fenby, elficologue amateur. Aux portes de la folie et de la magie, ils vont devoir braver les dangers de Féerie pour dévoiler la terrible menace que fait peser le Diadème sur nos rêves.
Délius, une chanson d'été nous plonge dans une fantasy victorienne étourdissante, dans un univers merveilleux et effroyable, au coeur d'une enquête délirante sur un ton souvent décalé.

Un mystérieux tueur, que la presse surnomme le fleuriste, abandonne sur son passage des cadavres et des fleurs. Une bande de bras cassés est à ses trousses, cependant, malgré toute la bonne volonté de ces gens, aucune piste valable ne se révèle. Ces fleurs inconnues que laisse le meurtrier les poussent à consulter un botaniste, l’excentrique Lacejambe qui saura peut-être démêler cette affaire.
Étrange roman que celui-ci. Délius, une chanson d’été est une histoire de fées, de musique et de meurtres... Ici, un botaniste est détective, un enfant possède une science féerique qui fait défaut à tous les autres et un assassin poursuit une quête obscure. Dans ce polar onirique, on se balade comme entre deux songes, à la lisière de la folie et de l’absurde. Le Merveilleux imprègne le récit. Un élan emporte le lecteur de scène en scène et la narration semble hachée au début alors que toutes ces pistes se télescopent. Des événements que l’on ne peut pas tout de suite relier, mais que l’on devine interdépendants, se succèdent et le récit nous ramène à chaque piste, chaque personnage, de plus en plus rapidement jusqu’à ce que tout s’éclaire et que les intrigues se rejoignent. Le roman forme en fait une spirale qui entraîne le lecteur en lui donnant l’impression de l’égarer, alors qu’il acquiert une conscience de plus en plus aiguë de là où l’on veut le conduire.
Pour faire une comparaison qui siérait à Lacejambe, ce roman tient plus du jardin à l’anglaise que de la forme française ordonnée et géométrique. On s’y perd volontiers, on découvre des secrets dans des recoins faussement laissés au hasard. Il est une expérience synesthésique où les sens se mélangent, on voit la musique, on sent les couleurs…
On est submergé par le nombre de personnages, entre autres un botaniste qui entend les fleurs, un compositeur qui voit les notes, un elficologue qui mélange rêve et réalité, le tueur et les gens qui le poursuivent, une jeune aristocrate à l’esprit acéré et même Arthur Conan Doyle. Fous, intrigants, lourdauds ou brillants et débonnaires ces personnages, qu’ils soient là tout du long ou fassent juste une apparition remarquée, volent en tous sens, comme attirés par une lumière dont on ne perçoit pas l’origine.
Lacejambe et Fenby, avatars de Sherlock et Watson sont deux personnages très intéressants. L’un obsédé par les plantes, l’autre par les fées, vous verrez qu’ils se sont bien trouvés et que leurs intérêts personnels ont plus en commun qu’il n’y paraît. Ils forment un duo attachant, la douceur de l’un contrebalance l’égocentrisme de l’autre. Le tueur, lui aussi, est un personnage fascinant, perdu, désespéré. On se surprend à tenter de le comprendre.
J’ai également apprécié les quelques apparitions de Doyle, qui ne sait pas qu’il est lié, même de loin, à un écho de son œuvre, de ce personnage qui a fait sa renommée mais qu’il déteste pourtant. Bien que présent par touches légères, l’écrivain a une grande importance dans ce roman.
Lire ce livre a été une aventure en soi, exaltante parfois, perturbante souvent. Il est difficile de savoir quoi en penser au final, quand ce qu’il en reste paraît si éthéré. Délius, une chanson d’été est un roman très poétique, tissé de la matière même des rêves. Il l’est également dans sa forme. Les épisodes s’entremêlent comme les tableaux d’un monde onirique, fantasque et merveilleux, ce qui laisse l’impression de l’avoir rêvé plutôt que lu.

samedi 26 octobre 2019

Drague interdite

Un roman de Sally Thorne, publié chez Harlequin.

Présentation de l'éditeur :
Darcy se sent piégée. Les dernières volontés de sa grand-mère sont très claires : si Darcy et son frère jumeau veulent toucher leur héritage, ils doivent rénover le cottage qu’elle leur a légué. Et qui son frère a-t-il choisi pour les y aider ? Tom, son meilleur ami. Un fruit défendu aussi connu sous le nom d’homme-idéal-crush-de-toujours que Darcy aimerait beaucoup croquer. Cela fait dix ans qu’elle s’arrange pour ne pas le croiser, car son frère a été très clair  : Tom est hors limites, impossible pour elle de l’approcher sans déclencher une guerre nucléaire familiale. À présent, elle va devoir cohabiter pendant des semaines avec lui et feindre l’indifférence sous le regard soupçonneux de son frère. Une torture. D’autant que Tom est toujours aussi sexy mais surtout… célibataire.

Darcy a vingt-six ans, un problème cardiaque et un manque de confiance en elle phénoménale. Elle a laissé tomber son travail de photographe pour être serveuse dans un bar, elle fuit à l’autre bout du monde à la moindre contrariété, mais il faut la comprendre, elle n’est pas aidée par ses proches… Ils la traitent, il faut bien le dire, comme une incapable. 
Petite, Darcy était celle que sa famille laissait à la maison avec sa grand-mère au moment des vacances, pour aller skier ou visiter Disneyland, problème cardiaque oblige. Alors forcément, en grandissant elle a développé ce caractère qui exaspère tant ses proches et surtout son frère jumeau. Tout un poème celui-là… Jamie est un connard narcissique qui passe son temps à la traiter de débile et de pute, mais ce n’est pas grave, c’est son frère, ça ne compte pas… 
Vous sentez mon agacement, n’est-ce pas ? Eh oui, ce qui aurait pu être un livre sympa qui aide à passer le temps entre deux rendez-vous médicaux s’est révélé une source inépuisable d’exaspération. J’ai particulièrement détesté Jamie. 
Elle est mignonne Darcy, elle a conscience d’être une petite conne trop couvée, mais c’est bien la seule qui assume ses défauts. Elle est amoureuse depuis l’enfance de Tom, meilleur ami qu’elle se dispute sans cesse avec son frangin, mais ne se trouve pas assez bien pour lui (il faut dire qu’on le lui rabâche). Et Tom ce cliché sur pattes, est bien gentil mais n’a pas assez de personnalité pour réagir. Alors forcément, quand ils se retrouvent en tête à tête pour rénover le cottage de grand-maman décédée, ça se tourne autour, ça se pose sans cesse les mêmes questions… Et ça pourrait être mignon, si ça ne devenait pas tellement lourdingue. 
Néanmoins, ce que je n’ai pas aimé dans ce roman n’est pas l’histoire d’amour balourde, c’est la façon dont cette pauvre Darcy est traitée : trahie par tout le monde, traitée au mieux comme une enfant, au pire comme une crétine… Mais ce n’est jamais grave, parce qu’elle aime ces gens. Tout va bien dans le meilleur des mondes, l’amour gagne toujours à la fin et il justifie tout. 
C’est dommage, ça aurait pu être l’histoire sympa et sans prise de tête que j’espérais.

mercredi 23 octobre 2019

Le Temple des transactions douteuses

Une nouvelle numérique d'Alex Evans, publiée chez ActuSF.

Vous pouvez aussi lire sur ce blog les chroniques de textes dans le même univers :
Une Collection d'ennuis (même personnage)
- Sorcières associées (ce roman a été réédité par ActuSF. Ma chronique porte sur une édition antérieure.)


Dans la dernière fournée de nouvelles gratuites publiées chez ActuSF, il y avait ce texte d’Alex Evans. Je n’ai même pas lu la présentation, je me suis jetée dessus et j’ai bien fait.
Quel plaisir de retrouver Vif-argent ! La jeune femme, que le lecteur a pu connaître et apprécier dans la nouvelle, elle aussi gratuite, Une Collection d’ennuis est de retour dans ce texte. J’aime beaucoup ce personnage et je déplorais la brièveté de sa précédente aventure ainsi que la fin abrupte de celle-ci. 
Le Temple des transactions douteuses n’est malheureusement pas une suite, mais offre néanmoins un très bon moment de lecture. L’action se déroule à une époque antérieure, quand Vif-argent exerçait encore son activité de voleuse. Elle avait déjà un truc avec les livres, puisqu’une nouvelle fois c’est par l’un d’eux que vont lui arriver les ennuis, mais peut-être aussi la fortune, si elle sait se montrer fine.
C’est un texte qui n’a pour but que de distraire un court moment son lecteur et c’est très bien comme ça. Alex Evans sait rendre ses personnages attachants, ce qui fait que l’on s’implique malgré la brièveté du récit. Comme je l’ai déjà fait remarquer, j’aime beaucoup Vif-argent. Je serai toujours ravie de la retrouver.
Ces nouvelles, que nous proposent régulièrement les éditions ActuSF, sont une bonne occasion de découvrir des auteurs et leurs univers ou de prolonger le plaisir de lecture d’un ouvrage que vous avez aimé.

lundi 21 octobre 2019

D'un bleu impossible

Un recueil de nouvelles de Zdravka Evtimova, publié aux éditions du Soupirail.

Présentation de l'éditeur :
Drôles, poétiques et insolites, ces contes et nouvelles dévoilent un univers où l'on croise tour à tour une vendeuse de sang de taupe, Maria, la bibliothécaire à la bouche énorme vêtue d'amples robes de seconde main, Sean métamorphosé en granite attendant sa belle, le chien fidèle d'Anna aux pas de pluie et la truculente Boriana spécialiste des couleuvres grillées, quelque part, du côté de Pernik... Un monde souterrain, de l'autre côté du miroir, comme le revers du nôtre.

J’aime les recueils de nouvelles. Il y a dans les textes courts une magie particulière, une maîtrise de chaque mot car, plus que dans les romans, l’auteur doit capturer le lecteur au plus vite, mais sans se presser. C’est tout un équilibre à maintenir pour pouvoir à la fin assommer le lecteur d’une révélation brutale, induire une réflexion ou, comme c’est le plus souvent le cas ici, lâcher dans le vide l’imprudent qui s’est égaré dans ces contes.
D’un bleu impossible offre le genre de textes dérangeants qui grattent votre esprit d’un ongle acéré et tenace. Ils mettent en scène l’âme humaine dans ses folies et ses cruautés. Ils ont en eux cette poésie de l’étrange qui sied au fantastique, bien qu’ils ne puissent pas tous se réclamer du genre.
Tantôt absurdes, flirtant avec le grotesque, tantôt aiguisées comme des lames qui savent toujours où frapper, ces histoires entraînent leur lecteur dans les tourments ou l’hébétude de leurs personnages. Ces derniers sont en proie à leurs obsessions, thème qui rythme le recueil comme un métronome, à la folie et à l’avidité.
Vous rencontrerez dans ces pages, entre autres bizarreries, une mère de famille qui entend l’océan derrière une page, un homme fasciné par l’appétit démesuré d’une femme, un monde où l’on ressuscite les gens à la chaîne plutôt que d’assainir l’environnement qui les tue, un chien appelé Pluie, un monde où il faut payer un impôt pour devenir humain, une foule toute prête à saigner une femme à blanc, des loups, des hiboux et des fous…
Entre malaise et effroi, j’ai parcouru ces récits comme on explore d’obscurs sentiers. J’ai été choquée, hantée, dérangée, dégoûtée parfois. J’ai cependant apprécié le voyage et regardé avec fascination se dévoiler toutes ces sombres facettes de l’âme humaine. Ce fut une intéressante découverte.
C’est un bel ouvrage et cela aussi dans sa forme. Cela peut paraître de peu d’intérêt pour certaines personnes, mais j’apprécie toujours un objet soigné, un texte dont son éditeur s’est préoccupé, et du beau papier.


tous les livres sur Babelio.com

lundi 14 octobre 2019

Le Phare au corbeau, Magie grise T1

Un roman de Rozenn Illiano, publié chez Critic.

Présentation de l'éditeur :
Agathe et Isaïah officient comme exorcistes. L'une a les pouvoirs, l'autre les connaissances ; tous deux forment un redoutable duo. Une annonce sur le réseau social des sorciers retient leur attention. Un confrère retraité y affirme qu'un esprit nocturne hante le domaine d'une commune côtière de Bretagne et qu'il faut l'en déloger. Rien que de très banal. Tout laisse donc à penser que l'affaire sera vite expédiée. Cependant, lorsque les deux exorcistes débarquent sur la côte bretonne, le cas se révèle plus épineux que prévu. Une étrange malédiction, vieille de plusieurs générations, pèse sur le domaine de Ker ar Bran, son phare et son manoir. Pour comprendre et conjurer les origines du Mal, il leur faudra ébranler le mutisme des locaux et creuser dans un passé que certains aimeraient bien garder enfoui...

Agathe et Isaïah sont exorcistes. Elle est medium, lui pratique le hoodoo, ainsi leurs compétences se complètent pour chasser les esprits récalcitrants. Cependant, Agathe souffre d’un grand manque de confiance en elle. Son pouvoir incomplet et le rejet qu’elle a ressenti depuis l’enfance sont des blessures toujours à vif qui ne cicatrisent pas avec le temps.
Agathe n’est pas au mieux de sa forme quand son ami et elle partent en Bretagne pour exorciser un manoir. Un fois sur place, la jeune femme ressent des sentiments très contradictoires. Elle sait immédiatement que cette mission ne sera pas comme les autres.
Le Phare au corbeau est avant tout l’histoire d’une malédiction, ancrée dans les pierres, nourrie de rancœurs et de superstitions. C’est un véritable nid de serpents qui attend nos exorcistes. Ils vont devoir démêler les peurs, les souvenirs, les légendes et, dans le cas d’Agathe, leurs propres blocages pour découvrir la vérité et chasser enfin les fantômes qui hantent le village. Leur enquête a été très plaisante à suivre.
Trois récits se tressent pour former cette histoire : celui d’Agathe, narratrice principale, celui de Gwennyn, une jeune medium ayant vécu à Landrez dans le passé et celui de Théophile, érudit parisien, qui avait élu domicile au manoir pour y terminer son livre et qui s’est jeté de la falaise, victime de la malédiction.
Accroché à leurs pas, le lecteur découvre petit à petit toutes les strates et ramifications de cette malédiction, qui se révèle bien plus complexe que ce à quoi nos héros sont habitués. En cela, la structure de l’intrigue est très bien construite et ménage le suspense. Cependant, Le Phare au corbeau est aussi un roman très humain, qui donne une grande place à la psychologie des personnages et à leur quête de rédemption. Il est plaisant de les découvrir au fur et à mesure. L’autrice a su les rendre très réels et cela fait toute la richesse de son roman.
L’esprit du lieu forge les gens et ceux-ci entretiennent l’esprit du lieu… L’aspect très personnel et humain du récit ainsi que la façon dont Rozenn envisage ses fantômes et les pouvoirs de ses personnages inscrivent cette œuvre dans un fantastique assez typique qui plaira aux amateurs.
Le Phare au corbeau est le premier tome d’une série, mais peut se suffire à lui-même.

vendredi 11 octobre 2019

L'Ours et le Rossignol

Un roman de Katherine Arden, publié chez Denoël dans la collection Lunes d'encre.

Présentation de l'éditeur :
Au plus froid de l’hiver, Vassia adore par-dessus tout écouter, avec ses frères et sa sœur, les contes de Dounia, la vieille servante. Et plus particulièrement celui de Gel, ou Morozko, le démon aux yeux bleus, le roi de l’hiver. Mais, pour Vassia, ces histoires sont bien plus que cela. En effet, elle est la seule de la fratrie à voir les esprits protecteurs de la maison, à entendre l’appel insistant des sombres forces nichées au plus profond de la forêt. Ce qui n’est pas du goût de la nouvelle femme de son père, dévote acharnée, bien décidée à éradiquer de son foyer les superstitions ancestrales. 
Inspiré de contes russes, L’Ours et le Rossignol a su en garder toute la poésie et la sombre cruauté. C’est le premier roman de Katherine Arden.

Fortement imprégné du folklore russe, L’Ours et le Rossignol est un mélange entre fantasy historique, merveilleux, quête initiatique et saga familiale. 
Vassilissa, dite Vassia, est la cinquième née d’un seigneur du nord et d’une femme aussi sagace qu’indépendante. Sa mère meurt pour la mettre au monde et sa vie aurait pu commencer sous de sombres auspices. Mais Vassia, enfant désirée par sa mère, est choyée par sa famille, particulièrement sa gouvernante et sa grande sœur. Elle s’épanouit librement sur le domaine de son père, connaît la forêt par cœur et préfère imiter ses frères que rester à coudre près du poêle. Ayant la capacité de voir les esprits du foyer comme ceux de la forêt, elle perçoit le monde différemment, ce qui se révèle parfois avantageux, parfois dangereux. Ses aptitudes ne sont pas du goût de tout le monde, notamment sa nouvelle belle-mère.
L’ambiance est feutrée, le récit lent. Il faut bien cela pour voir Vassia grandir, prendre conscience de sa différence et faire ses propres choix. La jeune fille est plus qu’anachronique dans cette société où les femmes sont vouées au mariage ou au voile, vendues ou cachées, en somme. Si l’autrice a distillé quelques indices quant à l’ascendance de Vassia et de sa mère, Marina, j’aurais toutefois aimé en apprendre plus. Ce sera, je suppose, pour les prochains tomes.
L’influence du merveilleux russe est savamment dosée. Les éléments du conte sont là, parfois évidents, parfois en filigrane, souvent détournés. Ce fut amusant de les repérer. Cependant Katherine Arden nous conte une histoire personnelle, un apprentissage où finalement la fantasy reste accessoire. Et je garde le regret de n’avoir pas rencontré Baba Yaga…
L’autrice a néanmoins su se jouer des clichés qui accompagnent les contes, par exemple : la « méchante belle-mère » est plus nuancée qu’on pourrait le croire de prime abord. Elle est avant tout une femme en souffrance. Si elle était née comme Vassia dans un environnement qui l’avait aidée à prendre confiance en elle plutôt que stigmatisée, peut-être aurait-elle été une tout autre femme et pas cette petite chose apeurée qui cherche réconfort dans la religion.
Les personnages sont très développés et c’est avant tout une histoire intimiste. Ce roman met en scène la complexité des sentiments humains, jalousie, orgueil, mais aussi amour et abnégation… C’est aussi la confrontation de deux mondes dans cette Russie médiévale : la chrétienté qui veut régner sans partage et les vieilles croyances païennes. Vassia et sa belle-mère, toutes deux capables de voir les esprits, incarnent ce combat qui ne devrait pas en être un.
L’Ours et le Rossignol est un roman où l’intrigue semble assujettie à l’atmosphère. Elle est lente, précautionneuse, si bien qu’après tant d’attente la conclusion peut laisser un rien perplexe par sa simplicité. Elle est pourtant tout à fait adéquate.
Ce fut une lecture plaisante. Grande amatrice de contes, j’en attendais un peu plus, mais je me suis laissé bercer par ce récit et ne me suis jamais ennuyée.
Bien que premier tome d’une trilogie, ce roman peut tout à fait se lire indépendamment. Cela étant, je lirai volontiers la suite.

lundi 7 octobre 2019

Europunk

Une anthologie dirigée par Florent Lenhardt et Guillaume Parodi, publiée chez Realities Inc.



Présentation de l'éditeur :

J’appelle solennellement les auteurs de SFFF européens à qui le futur politique, social et culturel de leur(s) pays fait lever des sourcils inquiets ou pleins d’espoir, de se pencher ne serait-ce qu’un instant sur ce continent en ébullition où 500 millions de citoyens sont peut-être sur le point de faire un pas d’un demi-siècle en arrière. Pour le meilleur ou pour le pire ? A vous de nous en parler.
Que vive enfin l’Euro-Punk !

Florent Lenhardt

Un appel à l’Europunk, voilà ce qui a inspiré les auteurs des neuf textes contenus dans ce recueil. Sous la plume d’Olivier Boile, Jonathan Grandin, Romain Jolly, K.T., Geoffrey Legrand, Philippe-Aurèle, Mose Njo, Sandrine Scardigli et Jean-Marc Sire c’est à des avenirs impertinents, rebelles, sombres ou lumineux que cette anthologie vous invite, avec une dose de critique constructive et une autre d’insolence assumée !


Sommaire : 
  • Préface, Florent Lenhardt, Guillaume Parodi et Tesha Garisaki
  • L’Empire de Marbre, Olivier Boile
  • Siri mon Amour, Zuckerbook ma Patrie, Mose Njo
  • Europe sur la Rive, Sandrine Scardigli
  • 99.5, K.T.
  • Punk l’évêque, Philippe-Aurèle Leroux
  • Le Souffle du Taureau sur la Nuque, Jonathan Grandin
  • Dans tous les Coins de l’Hexagone, Jean-Marc Sire
  • Datalove, Romain Jolly
  • Neoropa, Geoffrey Legrand

L’Union Européenne… ce rêve qu’elle pourrait incarner et cette concentration de frustrations qu’elle semble nourrir à la place. Je suis née dans les années 80 et ma génération a été élevée dans l’idée que l’union européenne — à l’époque on parlait de communauté européenne — était une promesse d’ouverture. 
Ce qu’il en reste aujourd’hui est teinté d’amertume. Pourtant, cette union nous a apporté de bonnes choses, noyées cependant sous les récriminations. On voit la crise, l’émergence des nationalismes, une bureaucratie étouffante et souvent absurde… 
Cette union européenne fait partie de notre quotidien. Ses retombée sont présentes dans nos vies à des niveaux auxquels on ne prête même plus attention. Et c’est bien ça le souci : on n’y fait plus attention. Au mieux on l’ignore, au pire on n’en veut plus. Mais mesure-t-on les conséquences qu’aurait sa dissolution ? 
Le pourquoi de la situation est en soi intéressant. Si cette anthologie pose la question dans sa préface, elle en soulève aussi de nombreuses autres qui m’ont interpelée et, parmi elles, celle-ci : pourquoi la science fiction, terreau de tous les possibles et de toutes les réflexions sur l’avenir, ne s’est-elle pas, ou si peu, intéressée à l’Union Européenne ? Vaste sujet. Je ne m’étais jamais posé cette question et force est de constater qu’elle est troublante. 
Cette anthologie tente de compenser ce mépris, s’empare de l’Europe pour la faire sienne, la prendre en défaut ou montrer ce qu’elle pourrait devenir, de multiples façons. 
On navigue entre mythes fondateurs, inepties gouvernementales, futurs radieux ou incertains. On parle de monarchie, de contestation, d’espoir et de la jeunesse, bien sûr. Que serait l’avenir, et en particulier celui de l’Europe, sans la jeunesse ? 
Tout cela nous mène sur de nombreuses pistes, toute plus intéressantes les unes que les autres. 
Olivier Boile a choisi de nous montrer une Europe alternative où la Grèce dominerait. Belle mise en perspective, aussi grinçante que porteuse de réflexion. 
Sandrine Scardigli, quant à elle, fait contraster le mythe grec d’Europe avec l’Europe rêvée de la jeunesse et celle des colères qu’on tente de leur imposer. J’ai beaucoup aimé ce très beau texte. 
Dans 99.5 le lecteur se trouve projeté dans un futur glacé où l’Union Européenne, entourée de murs, doit se défendre contre une menace floue. Mais de quel côté vient-elle ? 
Punk l’évêque m’a amusée. Travaillant au sein d’un organisme qui dispense notamment des formations agricoles, je sais à quel point les normes européennes sont parfois absurdes quand elles quittent leurs jolis décrets imprimés pour être appliquées sur le terrain. En tout cas la comparaison est bien vue. 
Dans Le Souffle du Taureau sur la Nuque, un homme nous raconte son histoire et son Europe. La chute, saisissante bien qu’annoncée, fait à mon sens tout le contraste de ce récit. 
Dans tous les Coins de l’Hexagone met en scène les chasseurs. Ah, les chasseurs… Comment parler de l’Europe sans eux ? Critiquant sans relâche, mais toujours ravis de recevoir les subventions de l’Europe pour repeupler certaines zones d’oiseaux et joyeusement les plomber ensuite. Ou, il faut le dire aussi, pour entretenir des chemins abandonnés depuis longtemps par les communes et aménager des pare-feux… Ce texte, aussi grinçant soit-il, ne manque cependant pas de nuance. 
Dans Datalove, vous rencontrerez des migrants d’un genre particulier. Et si vous parvenez à ressentir de la compassion pour eux, comment ne pas la ressentir pour des humains ? 
Dans Neoropa on en revient à la jeunesse bien sûr. Elle est l’avenir, elle pourrait changer les choses alors autant conclure cette belle anthologie avec elle. Que ne ferait-on pas par amour ? J’ai aimé le côté très humain de ce texte où les motivations politiques côtoient l’amitié et le désir. Ce sont parfois nos aspirations personnelles qui nous mènent à écrire une histoire plus grande que la nôtre. 
Europunk regroupe d’excellents textes, originaux, intelligents et nuancés. Elle explore un bon nombre de problématiques actuelles et si la question de l’Europe, au sens large, vous interpelle — ou si elle ne vous interpelle pas du tout et que vous réalisez que c’est un problème — vous devriez la lire. Et n’ignorez pas l’excellente préface.

jeudi 3 octobre 2019

Les Ombres d'Esver

Un roman de Katia Lanero Zamora, publié chez ActuSF dans la collection Naos.

Présentation de l'éditeur :
Amaryllis a 16 ans et n’a jamais connu que la maison où elle est née, le domaine d’Esver, reculé, magnifique, mystérieux. Dans ce manoir qui tombe en ruines où elle vit seule avec sa mère austère, elle étudie la botanique avec l’espoir d’en faire son métier... Le jour où elles reçoivent une lettre du père annonçant la vente du domaine et le mariage forcé d’Amaryllis à un de ses associés, tout bascule. Pour échapper à ce destin, malgré les ombres qui hantent ses nuits, la jeune fille répondra-t-elle à l’aventure fantastique qui se cache derrière les portes fermées d’Esver ?
Katia Lanero Zamora est actuellement consultante en écriture à la RTBF dans l’unité fiction séries. Elle a notamment publié la trilogie des Chroniques des Hémisphères aux éditions Les Impressions Nouvelles et propose ici un somptueux roman aux accents gothiques.

Décidément, la collection Naos me séduit de plus en plus. Les Ombres d’Esver est une pépite. 
Tout commence comme un conte gothique, sombre, dérangeant, poussiéreux. Amaryllis est élevée à la dure par sa mère, une aristocrate déchue, dans un manoir vétuste. De santé fragile, la jeune fille n’a jamais quitté le domaine et est contrainte de prendre tous les soirs les médicaments que lui prépare sa mère. Cette dernière n’a qu’une ambition : faire de sa fille une botaniste comme elle-même rêvait de l’être. Gersande est une femme pragmatique, peu lui importent les aspirations de sa progéniture. 
La jeune fille est plus ou moins docile, mais rêve d’aventures. Elle grandit comme une pousse maladive dans cette maison en ruine, sous le regard sévère et l’attention sans faille de cette mère autoritaire, qu’elle aime pourtant. Les secrets de cette famille, autrefois respectée et prospère, semblent enkystés dans le décor comme en une chair malade. Amaryllis déteste la saleté car elle pense que les monstres s’y cachent, mais sa mère refuse de s’arracher au passé. Elles vivent donc au milieu des débris de celui-ci. 
Cependant les parents de l’adolescente ont chacun une idée très définie de l’avenir qu’ils lui réservent et leur opposition à ce sujet arrive à sa confrontation finale. Botaniste ou épouse soumise, que va devenir Amaryllis ? 
On ressent tout le poids de cette ambiance dans les descriptions, dans le délabrement du manoir, dans la détresse d’Amaryllis, surtout quand elle cauchemarde, dans le caractère irascible de Gersande. On se sent étouffer dans les premiers chapitres, mais cela ne dure pas. 
Le récit commence lentement, le temps que l’atmosphère lourde vous oppresse et vous capture, pour devenir un roman d’aventures, entre un réalisme pragmatique et un onirisme débridé. Mais quel monde est réel ? Amaryllis est-elle en train de devenir folle ? Les médicaments que sa mère lui concocte l’aident-ils à restaurer sa raison égarée ou l’affaiblissent-ils pour l’empêcher de s’enfuir ? Ce monde qui se superpose au sien est-il réel ? 
L’autrice sème des indices, mais s’amuse à égarer son lecteur. J’ai apprécié ce questionnement qui ne fait que se complexifier au fil des chapitres. Bien malin qui saura démêler le vrai du faux sans son aide avant le dernier quart du roman. C’est la richesse de ces symboles et cette oscillation permanente entre le rêve et la réalité, ainsi que la poésie délicate du style, qui font de ce roman un excellent récit Fantastique. 
J’ai lu la deuxième moitié en une après-midi, ce qui est très inhabituel pour moi, tant je voulais savoir ce qu’il adviendrait des personnages. Cette histoire est à la fois triste et belle, pleine de douleur, mais aussi d’espoir et d’amour. Ce fut une excellente surprise.

mardi 1 octobre 2019

Catacombes Ville

Un roman jeunesse de Pierre Brulhet, publié chez Séma.

Il s'agit de la suite de L'Enfant du cimetière.


Ce roman est la suite directe de L’Enfant du cimetière. On y retrouve les nouveaux personnages qui apparaissaient à la fin de l’histoire, mais aussi Yoann et ses amis fantômes. Le jeune homme va cette fois encore devoir les sauver d’un grand danger.
Si votre enfant a aimé le premier tome, il sera sans nul doute ravi de se replonger dans les aventures de Yoann. Toutefois, le récit est plus sombre. Si les gentils fantômes sont de retour, les méchants spectres le sont aussi et l’ambiance est plus pesante, le surnaturel plus prégnant. Il me semble important de le préciser pour les enfants qui sont un peu plus impressionnables que d’autres.
Ceci dit, il est plaisant de découvrir ce qui s’est passé après l’épilogue de L’Enfant du cimetière. L’auteur a trouvé un bon moyen de nous ramener auprès des fantômes tout en explorant la nouvelle vie de Yoann. 
Pour ma part, je trouve toujours le tout un peu cliché, surtout le personnage de la grand-mère que je n’ai pas du tout aimé. Cependant, étant adulte et grande lectrice, je suis aussi un public plus difficile.
L’atmosphère de ce roman est très feutrée, onirique, un peu absurde même par moments. Mais comme le précédent, la lecture est aisée. Les enfants qui aiment se faire peur apprécieront ce petit voyage dans l’autre monde.