lundi 26 août 2019

La Quête du Sampo, Terres du Nord T1

Un roman de Monia Sommer, publié chez Séma éditions.

Présentation de l'éditeur :
"Alors que la Finlande menace de s’effondrer face à l’invasion suédoise, Satu, une jeune journaliste, part en quête du Sampo, un objet légendaire, seul élément capable de les sauver, elle et son pays. Sur fond d’apocalypse et de légendes finnoises, Terres du Nord propose une quête initiatique qui pose les fondations d’une fantasy à la fois futuriste et magique, dont le Kalevala sert de point d’ancrage et de guide intemporel. "
Les dérèglements climatiques et les impasses politiques qui ont mené à deux nouvelles guerres mondiales ont bouleversé la planète. Tous en subissent encore le contrecoup, bien que l’on ne sache pas exactement quand cette histoire se situe dans le futur, puisque la datation a changé. 
L’accès à la technologie et aux ressources naturelles est devenu de plus en plus problématique. Certains pays se sont alliés pour mieux résister, néanmoins la Finlande refuse de rejoindre la Communauté Scandinave. Combien de temps pourra-t-elle encore résister alors qu’elle se trouve isolée, en proie à la famine et à un mystérieux virus ? 
Ce roman allie fantasy et anticipation d’une manière que j’ai trouvée originale, moderne et plaisante. Le lecteur plonge dans les légendes finnoises à la suite de Satu, mais ne perd jamais de vue des problématiques très actuelles. 
La jeune journaliste est entraînée bien malgré elle dans les méandres d’une affaire qui la dépasse. Il faut dire qu’elle est bien jeune. Elle se montre courageuse, mais pas toujours avisée. Satu est cependant un personnage attachant. Elle est animée de bonnes intentions malgré son impulsivité et ses erreurs de jugement. 
La Quête du Sampo est un roman tissé de magie et de secrets. Cela a été un plaisir de suivre Satu au coeur de ces grandes étendues enneigées, de la voir grandir et s’affirmer, de découvrir avec elle une partie de son histoire familiale. J’aurais cependant aimé en savoir plus à ce sujet et j’espère que la suite comblera cette attente. Il en va de même pour les personnages secondaires qui sont tout aussi intéressants bien que pas suffisamment développés à mon goût. J’espère que le prochain tome remédiera aussi à cela. 
J’ai beaucoup apprécié les passages rappelant les contes. Leur ambiance si bien rendue rappelle des souvenirs. Très férue de légendes, de mythologies diverses et de quêtes identitaires, ce roman était indéniablement pour moi. J’ai aimé découvrir les êtres mythiques qui croisent la route de Satu, tout autant que l’aspect plus moderne du récit, avec cette guerre larvée contre la Suède, ces complots et autres machinations. Je lirai très volontiers la suite.

lundi 19 août 2019

Le Dieu dans l'ombre

Un roman de Megan Linholm publié chez ActuSF.
Présentation de l'éditeur :
Evelyn a vingt-cinq ans, un époux, une belle famille et un enfant de cinq ans.
Quand elle était jeune fille, elle avait la compagnie des forêts de l’Alaska, de la poésie de la nature et de Pan, un faune mystique.
Un jour, il disparut.
Elle n’aurait jamais cru que la créature irréelle surgirait à nouveau dans sa vie et agiterait en elle ces émotions fantasmatiques et sensuelles.
A mi-chemin entre la civilisation et la nature, sous le couvert des arbres glacés, Evelyn devra faire face à des choix terribles. Trouvera-t-elle son chemin dans l’ombre ?
Légende de la fantasy, Megan Lindholm, alias Robin Hobb (L'Assassin Royal, Le Soldat chamane), tisse ici un chemin de vie d'une humanité sensible, où le fantasme de la nature se mêle aux désirs sombres et inquiétants qui grouillent au fond de nous.

Quand j’étais petite, j’avais une affection particulière pour L’Appel de la forêt de Jack London. Ce roman-ci me le rappelle sauf qu’il ne parle pas d’un animal domestique retournant à a nature sauvage, mais d’une femme, tiraillée entre civilisation et sauvagerie. 
Evelyn a grandi en Alaska, livrée à elle-même. Ses parents avaient bien trop à faire avec leurs autres enfants pour se préoccuper d’une petite fille qui ne cause pas de problème, qui ne demande pas de nouvelle robe, qui se rend utile en cueillant et chassant. N’ayant aucune affinité avec ses sœurs, rejetée par ses camarades de classe, Evelyn avait pour seuls amis son chien et un faune. Ami imaginaire ou non ? Il l’a quittée quand elle a grandi, bien malgré elle. 
Au début du roman, Evelyn est une femme adulte, mariée, mère d’un petit garçon, et elle quitte sa chère Alaska pour passer un mois auprès de sa belle-famille. Mais tout ne va pas se passer comme prévu. On sent petit à petit le piège se refermer sur elle. On suffoque avec elle. Mais, encore une fois, est-ce son imagination qui lui joue des tours ? Est-ce son insécurité et son mal-être qui parlent ? 
Dans la première partie, le récit est tressé de souvenirs de son enfance libre et sauvage et du présent qui la voit de plus en plus confinée, inutile alors que petit à petit on grignote ses libertés et son faisceau de possibilités. 
J’ai eu beaucoup de compassion pour cette femme, j’aurais aimé qu’elle se défende plus. On sent sa belle-famille tellement injuste envers elle. Alors bien sûr c’est subjectif, Evelyn étant la narratrice, mais je me suis sentie d’emblée de son côté. 
Et quand arrive l’accident qui va tout changer, comment ne pas être révolté par la façon dont on la traite ? Ces gens sont tout simplement horribles. Je n’ai pas toujours compris les choix d’Evelyn, c’est le moins qu’on puisse dire, mais j’ai vraiment souffert avec elle durant ces chapitres. 
La deuxième partie nous emmène sur un tout autre chemin, qui est pour elle celui de la reconquête de son indépendance, même si cela n’est pas évident de prime abord, car une fois encore elle se laisse conduire. Et cette portion de l’histoire semble s’étirer, sans doute parce que je l’ai trouvée moins accessible, trop loin de ma propre sensibilité. Cependant, elle ne manque pas non plus d’intérêt. 
Le Dieu dans l’ombre est le roman d’une quête initiatique, il demande de la patience et de l’empathie. 
Pour cette réédition, la traduction aurait mérité une révision, il y a plusieurs coquilles, mais c’est un très bon roman. J’aime beaucoup Robin Hobb, néanmoins j’ai toujours eu une petite préférence pour les récits contemporains qu’elle a publiés sous le nom de Megan Lindholm, ils me parlent beaucoup plus, ils apportent une magie sombre dans une réalité dérangeante. 
C'est le cas du Dieu dans l’ombre, ce roman est entre le Fantastique à l'ancienne et le Réalisme magique, donc c'était forcément pour moi. Mais je vous préviens, comme souvent dans le genre le roman est lent, plus introspectif qu'actif et vous aurez sans doute envie de secouer les personnages. C'est fait pour. 
Ce roman se situe à la frontière du sauvage et du civilisé, il parle de la nature humaine et me semble au final assez païen.

dimanche 11 août 2019

Wool Stories


Bernie Torres est la créatrice de la marque In The Wool For Love. À la base, les Wool Stories sont des newsletters qui présentent des acteurs du monde du tricot. Dans ce livre, elle reprend le principe de cette présentation avec les portraits d’une quinzaine de créatrices et des patrons.
Wool Stories est un ouvrage très esthétique. Les photos sont superbes. Le code couleur respecté par les créatrices en renforce l’harmonie. Après qu’on aime ou pas ces couleurs est une autre histoire. Ce n’est clairement pas ma palette, mais quand on tricote il faut avoir un peu d’imagination pour se projeter dans un modèle de toute façon.
Le tout est donc assez cohérent, mais chaque créatrice apporte sa propre originalité.

Les portraits :
Il est intéressant de découvrir les parcours respectifs de toutes ces créatrices. Elles nous expliquent comment leur est venue la passion du tricot, quelle est leur démarche à la fois dans la conception d’un patron et dans leur façon d’intégrer le tricot à leur quotidien. On en apprend plus sur leurs goûts et leur façon de travailler.
La lecture de ces portraits a été très plaisante.
Ces créatrices sont plutôt connues dans le petit monde du tricot, mais cela m’a permis de vraiment découvrir le travail de certaines et parfois d’avoir envie de voir d’autres de leurs modèles.

Les modèles :
Ce sont des modèles pour femmes quasi exclusivement.

Vous trouverez dans ce livre :
Sept Pulls, huit gilets/cardigans/vestes, deux paires de chaussettes, trois bonnets, deux bandeaux, un béret, une paire de mitaines, un cabas, un turban, un foulard, une étole, une ceinture et un coussin.
Et beaucoup de mohair dans les fils conseillés.

Chaque créatrice propose deux patrons, un pull ou gilet et un accessoire la plupart du temps assorti.
Là, en revanche, mon avis est mitigé. De mon point de vue, certaines ont fait plus d’efforts que d’autres, mais ça reste un avis très personnel.
Les patrons sont relativement bien expliqués et il en faut pour tous les goûts ainsi que pour tous les niveaux. Cela ne me gêne qu’on propose aussi des ouvrages faciles (même si une ceinture en point mousse dont l’explication tient en une phrase ne devrait pas être considéré comme un patron à part entière.)
En revanche, ce qui me gêne est que certaines ont fait l’effort de proposer beaucoup de tailles, alors que d’autre non.
La plupart des modèles vont du S au L, quelques-uns poussent jusqu’au XL, mais souvent ce sont des tailles intermédiaires, par exemple L/XL. Il n’y a que trois modèles qui proposent du XS et trois (pas exactement les mêmes) qui vont au-delà du XL. Si vous êtes un petit gabarit ou si vous avez une grosse poitrine, j’espère pour vous que vous savez modifier un patron.
Cela vaut aussi pour les accessoires. Il y a deux paires de chaussettes dans ce livre, l’une en deux tailles, l’autre en trois.
Il y aussi une veste en taille unique (la taille unique c’est magique, censée aller à tout le monde, ça ne va à personne) avec une ceinture en point mousse en guise d’accessoire, celle dont l’explication tient en une ligne. Désolée mais là je dis non.
Je suis habituée à mieux. Les patrons que j’achète d’ordinaire proposent plus de tailles et donnent toutes les mesures pour qu’on puisse bien définir celle qui nous correspond. Certes ils sont relativement plus chers, puisque vendus à l’unité la plupart du temps, mais je les trouve aussi plus complets.
Un autre point qui me chiffonne est que la quantité nécessaire est presque toujours donnée en grammes ou en pelotes uniquement dans le fil qui a été utilisé pour réaliser l’ouvrage et pas tout simplement dans le métrage et le calibre de laine qui permettraient de trouver plus facilement une équivalence si vous ne pouvez, ou ne voulez, pas vous procurer la même laine.
Si vous êtes une tricoteuse aguerrie, ça ne vous demandera qu’un petit peu de réflexion, mais si vous débutez c’est tout de suite une autre histoire.
Sur quinze, rares sont celles qui y ont pensé, mais je les en remercie (bizarrement ce sont aussi celles qui ont pensé à proposer une plus grande envergure de tailles).

Pour illustrer cette chronique, j’ai voulu tenter le patron de béret d’Alice Hammer parce que je pensais avoir une laine qui pourrait convenir en stock, mais sans information pour l’échantillon (bon, ça doit être pareil que pour le pull assorti en fait) et sans métrage, débrouille-toi ma fille pour savoir si tu vas tomber juste.
J’ai dû détricoter ma première tentative, l’ouvrage était beaucoup trop grand. Je suis descendue de taille d’aiguilles et cela aurait convenu, si j’avais correctement lu la grille…
Mon ouvrage est terminé, mais il ne ressemble absolument pas au modèle. C’est dû à une incompréhension de ma part et j’aurais dû être plus attentive. Je savais que quelque chose clochait, mais j’ai continué quand même. Ce n’était pourtant pas ma première grille, loin de là. Seulement toutes les créatrices ne fonctionnent pas de la même façon et j’ai pris des habitudes…
Tant pis. J’avais vraiment envie d’un béret gris. Ce n’est que partie remise. Je ne l’ai pas détricoté. Ma mère trouve le motif joli, elle en a donc hérité.
Le modèle est censé être facile et il l’est, mais pour être honnête des explications supplémentaires n’auraient pas été du luxe pour les débutants.
Cela ne m’empêchera toutefois pas d’essayer d’autres patrons de ce livre, notamment ceux de Solène Le Roux.

mardi 9 juillet 2019

Les Filles du Nord

Un roman de Mélody Gornet publié chez Thierry Magnier.


Madison est dans un état psychologique préoccupant. Elle essaie tant bien que mal de se maintenir à flot. Pour s’éloigner de sa douleur et tenter de se reconstruire, elle a décidé de changer d’environnement et de partir étudier en Écosse. Là-bas, elle fait la rencontre de Fern, une jeune femme pleine de joie de vivre et d’idées farfelues, ainsi que d’Arbor, son placide meilleur ami. 
J’ai adoré ce roman si touchant, poétique à sa manière, et tellement sincère. Il m’a rappelé ce moment difficile où l’on sort de l’adolescence, mais où l’on n’est pas encore pleinement adulte. On se cherche encore, on se construit en permanence dans un champ de possibilités qui semble infini. C’est à la fois grisant et épuisant. 
À mesure que s’organise la nouvelle vie de Madison, on parcourt ses failles et ses peurs du bout des doigts. On la sent terriblement réelle. Et brisée. J’ai aimé la découvrir, apprendre à connaître Fern et Arbor avec elle. Ce sont tous de très beaux personnages. C’est leur fragilité mais aussi leurs espoirs qui les rendent si réels. 
On voit Madison chanceler, essayer de grandir et de se reconstruire. On comprend petit à petit ce qui lui est arrivé. J’ai beaucoup aimé les interludes réservés à ses rêveries. Madison s’est créé un monde, basé sur le jeu de cartes traditionnel. Il renvoie le reflet de son état d’esprit. C’est quelque chose qui me parle et l’autrice est très subtile dans sa façon d’utiliser l’imaginaire de la jeune fille. 
J’ai aimé la sensibilité avec laquelle elle raconte cette histoire, sa façon d’évoquer des sujets graves, comme le suicide, avec honnêteté, sans tenter d’apitoyer son lecteur ou de jouer avec ses sentiments. Ce n’est jamais mièvre ou surfait. 
Pour autant, malgré les sujets abordés, ce n’est pas du tout un roman triste. C’est celui d’une reconstruction, de la fin de l’adolescence et de l’entrée dans l’âge adulte, de l’amitié et de la résilience. L’autrice évoque avec pudeur et sensibilité la difficulté de trouver sa place, d’accepter sa sexualité ou encore de gérer les fêlures et les traumatismes de l’adolescence. Mais au final il y a toujours de l’espoir. 
J’avais déjà pu remarquer que les récits young adult publiés chez Thierry Magnier sont de qualité et abordent des sujets sérieux sans prendre les jeunes pour des abrutis. Les Filles du Nord ne déroge pas à la règle. Il est intelligent, très bien écrit et agréable à lire. Il m’a donné envie d’en découvrir d’autres.

tous les livres sur Babelio.com

mardi 25 juin 2019

Crimson Peak


Si j’aime beaucoup la littérature gothique, je suis moins portée sur les films du genre. J’apprécie de pouvoir laisser ma propre imagination travailler, investir les lieux et les personnages. Ne nous mentons pas, si j’ai fini par visionner ce film, c’est parce que Tom Hiddleston joue dedans… Ne me jugez pas ! 
Enfant, Edith a vu le fantôme de sa mère, venu lui délivrer un avertissement, et cela l’a profondément marquée. Cela, en plus d’avoir été élevée par un père seul, qui l’a voulue indépendante et cultivée, contribue à la faire se sentir en décalage avec son époque. C’est peut-être aussi la source de ses ennuis… Quand elle rencontre Thomas Sharpe, en qui elle reconnaît un rêveur de la même espèce qu’elle, Edith tombe sous son charme... 
L’histoire est on ne peut plus classique pour une romance gothique. Une jeune femme fortunée s’amourache d’un aristocrate fauché au passé trouble et le suit à l’autre bout du monde pour découvrir un manoir isolé, froid et lugubre, où elle devra vivre avec son mari et sa glaciale belle-sœur… On voit venir le nœud de l’intrigue et Edith, jeune femme intelligente et sensible, qui de surcroît écrit des histoires de fantômes et est une grande lectrice, devrait probablement être un peu plus paranoïaque. Cependant, on se laisse glisser dans ce récit sombre, empli de non-dits et de spectres. 
Parlons-en de ces spectres justement. Guillermo del Toro a choisi de les déshumaniser au maximum, sombres caricatures de leur ancienne existence. C’est l’estampille « film d’horreur » j’imagine. Mais ce n’est pas vraiment un film d‘horreur, sinon je me serais évanouie en le regardant… Je suis une peureuse. Si vous aspirez à du gore, vous serez déçus et soyons francs, les fantômes manquent un peu de subtilité. En revanche, del Toro laisse une grande place à l’imagination du spectateur en ce qui concerne l’intrigue. C’est une bonne ou une mauvaise chose selon les goûts. 
Quoi qu’il en soit, les ambitions horrifiques du réalisateur, même si elles ne tiennent pas leurs promesses, gomment quelque peu la poésie qui doit être inhérente au gothique. Non, des décors décadents, aussi impressionnants soient-ils, ne suffisent pas. Je déplore surtout que l’accent soit mis sur la beauté des décors plus que sur les personnages. Il m’a manqué quelque chose de tout à fait indéfinissable pour adorer ce film. 
D’un point de vue esthétique, le résultat est superbe. Les décors sont délicieusement baroques et magnifiques, les costumes travaillés, c’est un plaisir à regarder, mais le scénario manque de consistance. Outre l’histoire trop prévisible, même pour du gothique qui se veut classique, la psychologie des personnages n’est pas suffisamment développée et c’est le gros point faible du film. On sent qu’ils ont été travaillés en amont, ce n’est pas le problème, mais ce qu’il reste de ce travail à l’écran est moindre. Sans imagination et sensibilité, on peut facilement passer à côté de ce film et ne pas comprendre les motivations des personnages. L’histoire n’est pas plate, mais elle le paraît. La seule empathie que l’on peut ressentir envers les personnages repose uniquement sur le jeu des acteurs. Mia Wasikowska et Tom Hiddleston ont fait un travail remarquable, parvenant à combler les manques et transmettre toute la psychologie et les émotions de leurs personnages à travers des gestes ou des silences. 
C’est moins le cas, de mon point de vue, pour Jessica Chastain qui a pourtant reçu une récompense pour son rôle. Même dans ses moments les plus chargés émotionnellement, je l’ai trouvée à côté de son personnage, je n’y ai pas cru. Mais il faut lui reconnaître qu’elle n’est pas aidée, Lucille ayant la personnalité la moins mise en évidence par le scénario. Je crois que j’aurais apprécié que sa fragilité soit davantage dévoilée. Et puis il y a une scène qui a été coupée et qui selon moi manque cruellement au film. Lucille est toute seule au manoir et on entend la voix de Thomas, lisant le manuscrit d’Edith. Le texte illustre parfaitement la situation de Lucille et aide à mieux la comprendre. 
Chastain nous a offert une belle performance, mais moins que les deux autres. 
Mia Wasikowska, à qui l’on reproche souvent de ne pas être assez expressive, transcende ce personnage auquel le scénario seul ne donne pas assez corps. Cette femme a un petit quelque chose de spécial, une sorte de décalage qui parfois ne fonctionne pas, parfois la rend magique. Dans Crimson Peak, ça marche, elle est éthérée, fragile et forte à la fois. Elle est même parvenue à me faire oublier les incohérences de son personnage (mais pas qu’elle court quand elle pouvait à peine bouger cinq minutes avant, faut pas déconner. L’adrénaline n’est pas la potion de Panoramix non plus…). 
Crimson Peak est visuellement un très beau film et il est plus profond qu’on pourrait le croire de prime abord. Il séduira les amateurs de gothique malgré les quelques défauts scénaristiques évoqués. Et puis il y a Tom Hiddleston, alors…

vendredi 14 juin 2019

Vox

Un roman de Christina Dalcher, publié chez Nil pour la version papier et Lizzie pour la version audio.
Présentation de l'éditeur :
Jean McClellan est docteure en neurosciences. Elle a passé sa vie dans un laboratoire de recherches, loin des mouvements protestataires qui ont enflammé son pays. Mais, désormais, même si elle le voulait, impossible de s'exprimer : comme toutes les femmes, elle est condamnée à un silence forcé, limitée à un quota de 100 mots par jour. En effet, le nouveau gouvernement en place, constitué d'un groupe fondamentaliste, a décidé d'abattre la figure de la femme moderne. Pourtant, quand le frère du Président fait une attaque, Jean est appelée à la rescousse. La récompense ? La possibilité de s'affranchir – et sa fille avec elle – de son quota de mots. Mais ce qu'elle va découvrir alors qu'elle recouvre la parole pourrait bien la laisser définitivement sans voix...
Christina Dalcher nous offre avec Vox un roman dystopique glaçant qui rend hommage au pouvoir des mots et du langage.
Jean est une scientifique. Elle travaillait dans la recherche médicale. Son domaine d'étude était l'aphasie. Elle espérait rendre le langage à ceux l'ayant perdu à la suite d'une attaque ou d'un traumatisme crânien. Mais aujourd'hui Jean n'a plus le droit de prononcer plus de cent mots par jour. Comme toute femme vivant aux USA, enfants incluses, elle porte un dispositif qui décompte ses paroles. Si elle ne respecte pas la règle, elle reçoit une décharge électrique plus violente à mesure qu’elle dépasse le quota. 
Cent mots par jour… Ce n’est rien du tout. Imaginez donc toutes les interactions langagières réduites au minimum. Ne plus raconter d’histoires à vos enfants, ne plus pouvoir parler avec votre mère, ne plus pouvoir exprimer douleur ou colère… Toujours peser avec soin chaque mot utilisé. 
Et vous pensez bien que cette société misogyne ne s’arrête pas là… Les femmes n’ont plus le droit de travailler, elles n’ont plus de droits du tout en fait. Elles sont réduites à leur rôle de mère et à la tenue du foyer. Et encore, elles n’ont pas même le droit de lire des livres de cuisine... Mais ça c’est juste pour les hétéros cisgenres… Vous imaginez bien que c’est pire pour les autres. 
Jean est la narratrice de ce roman. Elle nous explique comment tout a dérapé. Le mot d'ordre qui résonne derrière les paroles de Jean est : exercez vos droits tant que vous en avez. On a tôt fait de les grignoter petit bout par petit bout, sans que vous en ayez conscience, et vous vous retrouvez muselée du jour au lendemain, abasourdie. 
Le fait que l’histoire soit racontée du point de vue de quelqu’un qui la vit la rend encore plus glaçante. La détermination de Jean à protéger sa fille de cinq ans, son incompréhension face à ce qu’est devenu son fils aîné, la révolte qui bout en elle la rendent si proche, si réelle, qu’on ne peut que dévorer son récit. 
J’ai opté pour le livre audio, qui est de bonne qualité, et j’ai eu beaucoup de mal à le lâcher tant je me sentais impliquée dans ce récit. Celui-ci est d’autant plus terrible qu’on n’a pas beaucoup de mal à y croire. 
Cependant, malgré sa qualité narrative, ce roman n’est pas exempt de défauts et de quelques petites invraisemblances. Ces dernières passent plus souvent à l’as au début, quand on est pris dans l’histoire, que vers la fin quand on commence à se dire que l’autrice en fait trop. 
Certains personnages sont trop caricaturaux, je pense notamment à Steven et Lorenzo, mais cela touche davantage encore les méchants, en particulier Morgan, et là c’est plus ennuyeux. Le propos aurait gagné à les rendre plus nuancés, il n’en serait que plus glaçant et porteur. 
La comparaison permanente que fait Jean entre les deux hommes de sa vie a fini par m’ennuyer tant elle se répète. Je ne trouvais pas cela très utile à l’histoire. En outre, certains propos de Jean sonnent très sexistes à mon oreille. C’est censé ne pas compter parce que ça concerne les hommes ? Les a priori sur ce que doit être la masculinité, dans ce contexte qui cantonne les femmes dans leur foyer, n’en paraissent que plus outranciers. 
Entendons-nous bien. Je semble très critique, mais j’ai aimé ce livre. Il est intéressant dans sa construction, ses réflexions et leur développement, même si les rebondissements m’ont semblé plutôt prévisibles. Le fait que ce soit bien raconté change la donne et fait oublier les défauts que j’ai cités. 
Ma seule réelle déception est la fin hasardeuse. Elle se tient quand on n’y regarde pas de trop près, mais c’est quand même un peu facile. Je suis du style à me poser des questions, alors forcément… Les événements s’enchaînent, souvent fort à propos… Notamment en ce qui concerne la présence de gens qui n’ont pourtant rien à faire là. Et puis j’ai eu un peu de mal à croire aux réactions des personnages, surtout les enfants. 
Ce que je crois, c’est que l’autrice a peiné à conclure son récit. Elle ne savait pas comment retomber sur ses pattes de façon crédible. La différence entre les premiers chapitres, très inspirés, et les derniers qui semblent bricolés est flagrante. 
C’est vraiment dommage car l’idée de base est intéressante. Il manque un petit quelque chose à ce bon roman pour qu’il soit excellent, mais je ne doute pas qu’il marquera ses lecteurs.

lundi 10 juin 2019

Chroniques verticales - Saison 1

Un feuilleton de Laurent Copet, publié chez Realities Inc.


Chroniques Verticales est un feuilleton numérique. La première saison compte six épisodes et vous pouvez télécharger les deux premiers gratuitement pour vous faire une idée. 
C’est en quelque sorte un récit d’aventures, assez difficile à classer. Il pourrait être de la science fiction autant que de la fantasy à ce stade et cela importe peu. Ce qui compte, c’est qu’il s’agit d’un coup de cœur. 
Laurent Copet nous conte l’histoire d’un clan qui gravit une falaise qui semble sans fin. Dans ce monde vertical il n’y a que deux choix : grimper ou se laisser rattraper par le néant qui poursuit le clan sans relâche. Ces gens ont appris à vivre sur la falaise, à cueillir ses fruits et à chasser les dangereuses créatures qu’elle abrite. Tout ce qu’ils espèrent est atteindre un jour le sommet. 
Je ne pensais pas me passionner autant pour ce type de récit. Que pourrait-il y avoir à raconter sur un clan d’alpinistes perdu sur une immense falaise ? Eh bien plus que je n’aurais cru. Les regarder vivre et évoluer était fascinant. La part de moi qui a le vertige à deux mètres du sol est restée vaguement nauséeuse longtemps tant je visualisais leur ascension. Mais il fallait que je sache la suite ! 
Si l’on s’attache plus particulièrement à certains personnages, on apprend aussi à connaître le mode de fonctionnement du clan, ses lignées, ses coutumes et rites de passage, ses interdits et son quotidien. Tout tourne autour de la survie et des sacrifices qu’il faut lui consentir. Cette partie m’a beaucoup plu. J’aime les histoires bien construites. 
Je me suis aussi beaucoup attachée aux personnages, Chilam Balam, Ombre du Néant, Vol Parfait et Petit Chat, Salto Angel… J’ai tremblé pour eux et espéré leur survie dans ce monde sans concession. 
Vol Parfait est le personnage central. On le voit grandir, de la prise de son autonomie, quand il commence à grimper seul, à l’âge adulte. Son ascension rythme le récit. On veut le voir survivre, fonder sa propre cordée, vaincre les épreuves. 
Ces Chroniques Verticales sont, au-delà de l’aspect très distrayant de l’histoire, une belle métaphore de la vie elle-même, une réflexion sur la jeunesse et la vieillesse, sur le bien commun face aux désirs individuels, sur la mémoire et la construction des mythes. 
La saison 2 est prévue pour juin/juillet et j’ai hâte de la lire.