mercredi 29 avril 2020

Prodigieuses créatures

Un roman de Tracy Chevalier, publié chez Gallimard.

Présentation de l'éditeur :
Dans les années 1810, à Lyme Regis, sur la côte du Dorset battue par les vents, Mary Anning découvre ses premiers fossiles et se passionne pour ces "prodigieuses créatures" dont l'existence remet en question toutes les théories sur la création du monde. Très vite, la jeune fille issue d'un milieu modeste se heurte aux préjugés de la communauté scientifique, exclusivement composée d'hommes, qui la cantonne dans un rôle de figuration. Mary Anning va trouver heureusement en Elizabeth Philpot, une vieille fille intelligente et acerbe, une alliée inattendue...
Avec une finesse qui rappelle Jane Austen, Tracy Chevalier raconte, dans Prodigieuses créatures, l'histoire d'une femme qui, bravant sa condition et sa classe sociale, fait l'une des plus grandes découvertes du XIXe siècle.
Prodigieuses créatures nous conte de façon romancée les vies de Mary Anning et Elizabeth Philpot. 
Fille d’un artisan pauvre, Mary passe ses journées sur la plage à récupérer les fossiles qu’elle vend ensuite aux touristes. C’est bien entendu une nécessité pour assurer un semblant de bien-être matériel, mais au-delà de ça, Mary a l’œil et une passion pour les fossiles, comme son père. Elle ne sait pas vraiment ce qu’elle cherche avant de l’avoir trouvé : le squelette d’un animal mystérieux qui va réveiller craintes et convoitises.
Mary Anning fut une paléontologue autodidacte dont les découvertes en matière de fossiles furent décisives dans un domaine qui passionnait autant qu’il choquait à son époque. Si les fossiles attisaient la curiosité des savants et nourrissaient leurs conjectures, ils remettaient aussi en cause les croyances religieuses. Ce roman expose parfaitement au lecteur du XXIe siècle ce que ces recherches avaient de blasphématoire deux cents ans plus tôt. Et quand on sait qu’il y a encore de nos jours des créationnistes qui nient l’évolution des espèces, on ne peut que s’interroger sur la façon dont les gens pouvaient envisager de telles découvertes à une époque où la religion était si prégnante.
Toutefois, si cet aspect de l’histoire a son importance, celle-ci traite également de la place des femmes dans bien des domaines. Seul le veuvage pouvait leur octroyer un minimum d’indépendance à l’époque. Leur instruction était limitée, même dans un milieu aisé. On attendait seulement qu’elles sachent jouer du piano, qu’elles aiment dessiner de jolies fleurs et qu’elles se trouvent un mari. Les femmes issues du milieu ouvrier, quant à elles, pouvaient tout juste apprendre à lire au catéchisme, on préférait les mettre au travail très jeunes pour qu’elles ne soient pas un poids mort. Alors des femmes intelligentes qui se mêlent de sciences, c’était tout bonnement impensable. Elles existaient à peine dans l’ombre des hommes, ni reconnues ni respectées.
Si l’autrice fait narrer certains passages de ce roman à Mary, la narratrice principale en est Elizabeth Philpot, femme de sciences encore plus cantonnée dans l’ombre que son amie. Elizabeth était une femme intelligente, issue d’un milieu bourgeois, mais qui n’a pas trouvé à se marier, faute de dot suffisamment conséquente dans une famille qui comptait trop de filles. Avec deux de ses sœurs, elle déménagea de Londres pour le petit village de Lyme Regis, afin de ne pas déranger sa nouvelle belle-sœur et de coûter moins cher… Les trois femmes se consolèrent comme elles purent, Louise donnant libre cours à sa passion pour le jardinage, Margaret se fondant dans la bonne société locale et Elizabeth se découvrant un intérêt pour les fossiles qui lui permis d’exploiter sa grande intelligence.
J’ai été émue par cette femme qui espérait mieux et qui a dû se contenter de ce qu’on offrait à une femme de sa condition : peu de liberté, la quasi impossibilité d’avoir une conversation réellement intéressante puisqu’une femme qui parle de sujets sérieux est bien vite remise à sa place et surtout son espoir inavoué de trouver malgré tout un compagnon qui pourrait la comprendre et l’encourager. Cela devait être terrible de sentir ainsi son esprit se racornir faute de personne avec qui échanger et stimuler son intellect.
Quand Elizabeth rencontre Mary, celle-ci n’est encore qu’une fillette, pourtant elles vont beaucoup s’apporter l’une à l’autre. Mary offre à Elizabeth toutes les informations pratiques qui lui manquent dans  l’art de la chasse aux fossiles et Elizabeth lui enseigne en échange une rigueur toute scientifique pour étiqueter et classer ses découvertes. Mais leur amitié et l’influence qu’elles ont sur la vie de l’autre va bien au-delà de ça. L’une est issue du peuple, l’autre de la bourgeoisie, vingt ans les séparent, pourtant elles seront amies et malgré tous leurs différends, les jalousies et les rancœurs, cette amitié les tirera toujours vers le haut. La médiocrité dans laquelle on maintient les femmes, qu’elles soient pauvres ou riches, est un joug qu’elles ressentent toutes deux et leurs ambitions, à la fois semblables et si différentes, vont les unir. Ce combat contre le mépris qu’on leur renvoie à chaque découverte qu’un homme s’approprie, à chaque conversation éludée ou regard hautain est ce qui rend ce roman si fort et émouvant.
J’ai beaucoup aimé l’image qu’il nous renvoie de ces deux femmes. Tracy Chevalier à su les rendre vivantes à mes yeux, ce qui est somme toute une belle revanche. J’imagine aussi que le fait de l‘écouter plutôt que de le lire a joué. Les récits à la première personne font souvent de très bons livres audio et celui-ci est d’une grande qualité à tous points de vue. Les lectrices ont fait un excellent travail, elles sont toutes deux très expressives, les interludes musicaux mettent dans l’ambiance. Tout cela contribue à rendre l’écoute particulièrement vivante.
Toutefois, il est regrettable que les notes présentes à la fin du livre soit absentes de la version audio. Tracy Chevalier prend la peine d’y exploser des faits historiques et d’expliquer son choix narratif de respecter la chronologie des faits, mais de les condenser sur un laps de temps plus court.
Quoi qu’il en soit, Prodigieuses créatures reste une excellente lecture, un récit à la fois historique et féministe qui permet de connaître deux figures scientifiques intéressantes et de se rendre une fois de plus compte que les femmes ont été spoliées de leurs découvertes et reléguées dans l’ombre trop souvent.

lundi 27 avril 2020

Ninu et la Mère des Vents

Un album pour enfants écrit par Francette Orsoni et illustré par Véronique Joffre, publié chez Syros.


Ce bel album très coloré revisite des motifs connus de l’univers du conte dans une jolie petite histoire pleine de douceur et de poésie. Elle met en avant de belles valeurs comme la ténacité, l’honnêteté et le partage. Dans cette histoire, il est important d’assumer ses fautes et de les réparer au mieux, mais sans culpabiliser à outrance le coupable.
Ninu est un petit garçon courageux qui part demander réparation à la Mère des Vents pour le saccage du champ de blé qui nourrit sa famille. En retour, il recevra un sac magique offrant du pain à volonté en attendant que le blé repousse, aidé par le Vent coupable.
Ce conte corse revisité — il s’inspire de l’un de ceux recueillis par Geneviève Massignon dans son anthologie des contes corses — a l’avantage de présenter aux enfants trois grands vents qui rythment les saisons sur l’île. La Mère des Vents, déesse tutélaire et bienveillante, est une figure positive garante d’équilibre. Le sac qu’elle offre à Ninu est un objet magique que l’on rencontre souvent dans les contes. Son pouvoir dépend d’une formule qui doit rester secrète et qui sera bien entendu éventée. Toutefois, Francette Orsoni a choisi une autre morale pour son conte que celles qui accompagnent d’ordinaire les récits de ce type. C’est une morale qui met en valeur une richesse immatérielle et une autre forme de partage.
C’est une bien belle histoire, une des préférées de mon filleul qui a aujourd’hui cinq ans.
Les illustrations sont superbes, rondes, tout en texture et couleurs vibrantes ou douces selon les pages.
Quelques formules magiques et chansonnettes en corse émaillent le texte, mais elles sont toujours suivies de leur traduction et, si cela vous intéresse, il y a la fin un petit guide de prononciation. Vous pouvez cependant tout à fait lire cette histoire à vos enfants sans être corsophone. Elle est destinée à un jeune public, je dirais entre trois et sept ans.

mercredi 22 avril 2020

Les Chambres inquiètes

Un recueil de Lisa Tuttle, publié chez Dystopia.


Sommaire :

  • Préface de Nathalie SERVAL
  • Un nid d'insectes (Bug House)
  • Sans regrets (No Regrets)
  • En pièces détachées (Bits and Pieces)
  • La tombe de Jamie (Jamie's grave)
  • Lézard du désir (Lizard Lust)
  • Vol pour Byzance (Flying to Byzantium)
  • L'autre chambre (The Other Room)
  • Oiseaux de lune (Birds of the moon)
  • Propriété commune (Community Property)
  • Une amie en détresse (A Friend in Need)
  • L'autre mère (The Other Mother)
  • Les mains de Mr. Elphinstone (Mr. Elphinstone's Hands)
  • La plaie (The wound)
  • Le nid (The Nest)

Lisa Tuttle a nourri d’angoisses et de songes inquiets toute une génération d’amateurs de fantastique. Qui connaît ses écrits entre avec réticence dans ses univers à la frontière du cauchemar. Mais quand on a tourné les premières pages de l'une de ses nouvelles, on ne la lâche pas avant de l'avoir terminée et qu’importe le malaise qui nous noue l’estomac. 
Ce n’est pas de l’horreur au sens strict du terme, mais une plongée dans l’étrange, un piège plus ou moins horrible qui se referme sur le lecteur et le personnage. Les nouvelles de Lisa Tuttle sont de ce fantastique fébrile, dérangeant et diffus qui gratte discrètement à la lisière de votre raison. Le malaise vient petit à petit et le lecteur cherche de tous côtés la menace sans toujours l’identifier à temps.
Les femmes sont au cœur de ce recueil et je suppose qu’en tant que telle je me sens particulièrement proche de tous ces personnages qui cristallisent des angoisses somme toute très féminines. La maternité est notamment un thème récurrent dans ces textes, mais elle est toujours traitée sous un angle différent. Le fait de voir tous ces récits réunis — alors que vous les avez peut-être lus auparavant dans des publications disparates — donne une perspective intéressante sur le travail et l’imaginaire de leur autrice.
Dans Sans regrets on rencontre Miranda qui a décidé de ne pas être mère pour vivre de son art et qui se retrouve confrontée à la vie qu’elle aurait eue si elle n’avait pas fait ce choix. Il y a eu, dans nos vies à tous, un moment de bascule de ce type et un choix qui a tout changé. Ainsi cette nouvelle peut parler à tout le monde. Dans L’autre mère, en revanche, on découvre le choix inverse et on suit Sara qui croit voir sa créativité se dissoudre dans les exigences de la vie de mère. Ce tiraillement perpétuel entre l’accomplissement professionnel, surtout dans un domaine artistique, et les sacrifices qu’implique la maternité est parfaitement décrit et donne à réfléchir. Il m’a ramenée à des problématiques très personnelles. Ces deux nouvelles sont parmi mes préférées.
Toutefois l’exploration de l’univers parental ne s’arrête pas là et l’on trouve entre ces pages une mère qui souffre de voir son enfant grandir et se détacher d’elle, une autre en proie à la folie et à l’obsession dans Oiseaux de lune. Dans Propriété commune c’est l’aspect destructeur de la possessivité qui est traité, mais pas uniquement par le biais de la paternité.
Pour autant, on trouve bien d’autres thèmes et pistes dans ce recueil. Les femmes de ces histoires ont fui des cauchemars pour mieux s’y retrouver prises au piège. Enfermement, fantômes et folie, abus en tous genres, nos peurs, irrationnelles ou non, rythment leur plongée au cœur de l’étrange.
Dans Vol pour Byzance, une jeune femme qui pensait s’être libérée de son passé s’y trouve de nouveau confrontée. Ce texte explore la créativité, la liberté qu’elle procure mais aussi les déchets dont elle se nourrit. Il nous parle aussi de confiance en soi et des barrières qu’on laisse les autres, ou parfois soi-même, nous imposer. C’est un très beau texte, perturbant, mais inspirant.
Souvent dans ce recueil, c’est la condition de femme qui fait la victime, comme dans Lézard du désir ou Les mains de  Mr. Elphinstone, sans parler de cet étrange et néanmoins très significatif texte qu’est La Plaie. On explore dans ces récits la féminité, ses contraintes et ses failles. Cependant certaines femmes refusent d’être des victimes, comme on peut le voir dans En pièces détachées. Cela ne veut pas dire qu’elles s’en sortent bien pour autant. Et on s’aperçoit que les réactions de toutes ces femmes sont très différentes. Aucun schéma ne se répète deux fois, c’est là toute la richesse de l’imaginaire de l’autrice.
Certaines nouvelles sont poisseuses et vous les fuirez avec horreur quand d’autres, comme L’autre chambre — qui a des allures de conte obscur — ou la très belle et poétique Une amie en détresse — véritable bijou du genre — vous empliront d’une nostalgie chagrine.
Un nid d’insectes est en revanche une des nouvelles les plus poisseuses et je l’ai relue avec dégoût, sachant cependant que c’est un texte très bien écrit et qui ouvre parfaitement ce recueil, puisqu’il figure un piège qui se referme sur le lecteur autant que sur le personnage. Son pendant est le texte qui clôt l’ouvrage : Le nid. Ce dernier, d’une facture assez classique car il ne donne pas un seul indice au lecteur sur sa véritable nature, est aussi l’un de mes préférés. Troublant, ambigu, il est la conclusion parfaite.
Rééditer ces nouvelles a été une excellente initiative des éditions Dystopia. Vous trouverez également un autre recueil de Lisa Tuttle chez cet éditeur : Ainsi naissent les fantômes.
Il est difficile de trouver du fantastique de nos jours et plus encore du fantastique d’une si grande qualité. Aussi le fait que des éditeurs n’abandonnent pas ce genre pour quelque chose de plus rentable et prennent en outre la peine de rééditer des textes, surtout dans un format boudé comme l’est la nouvelle, doit être salué à sa juste valeur. Le fantastique est un genre qui gagne à être découvert et des textes comme ceux-ci, qui sont devenus des classiques du genre, méritent d’être connus d’un plus large public.

lundi 6 avril 2020

Écarlate

Un roman de Philippe Auribeau, publié chez ActuSF.


Polar mâtiné de fantastique, Écarlate est un roman sombre qui fleure le sang et les viscères. L’intrigue tourne autour de La Lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne. Si vous ne l’avez pas lu, je ne pense pas que cela vous empêchera de savourer Écarlate, mais que ce soit l’occasion pour vous de découvrir cet excellent classique de la littérature américaine si bien écrit et passionnant.
L’histoire se déroule pendant la Prohibition juste après la grande crise de 29. Thomas Jefferson, agent fédéral, est chargé d’enquêter sur un crime atroce perpétré dans un théâtre. Les acteurs répétant une adaptation de La Lettre écarlate ont été sauvagement mutilés, une seule d’entre eux a survécu. La police locale n’est guère enthousiaste à l’idée d’enquêter, elle a trouvé un coupable idéal en la personne du gardien, mais c’est compter sans la détermination de Jefferson à découvrir la vérité. Flanqué de ses acolytes, Diane Crane et Caleb Beaufort, il entraîne son lecteur sur des pistes de plus en plus tortueuses.
Dans ce roman on croise anarchistes, mafieux, secte d’illuminés et même Lovecraft, on déterre des secrets comme autant de coffrets qui renferment d’autres énigmes, et il y a cette figure mystérieuse qui semble se diluer plus on la pourchasse… Qui est qui ? Et surtout qui veut tuer qui ?
L’affaire est complexe, cependant les indices que l’on recueille au fur et à mesure brossent petit à petit un tableau plus sinistre encore que celui auquel on s’attendait. De découverte en rebondissement, j’ai suivi cette enquête avec beaucoup d’intérêt et l’ai trouvée particulièrement bien construite. En revanche, je ne me suis pas beaucoup sentie concernée par le sort des personnages, à part peut-être sur la fin. J’ai apprécié Diane néanmoins et j’ai aimé la suivre quand elle enquête en solo. C’est une femme aussi intelligente que consciencieuse.
D’ordinaire, je ne suis pas fan des romans trop sanguinolents, mais cet aspect de l’intrigue ne m’a pas dérangée, sans doute atténué par l’intérêt que je portais à la résolution de l’affaire. Sachez cependant que si vous avez le dégoût facile il va falloir vous blinder.
La fin m’a laissé un peu dubitative et ce n’est pas vraiment la dernière impression que j’espérais garder de cette lecture. Je préfère retenir le plaisir que j’ai eu à démêler cette affaire en compagnie des personnages. Si vous aimez les enquêtes, je pense que vous apprécierez celle-ci.

mercredi 25 mars 2020

Meilleurs ennemis

Un roman de Sally Thorne publié chez Harlequin.

Présentation de l'éditeur :
Le jour où Lucy rencontre son nouveau collègue, Joshua Templeman, elle n’en revient pas : il est à tomber ! Sauf qu’il ne lui faut pas plus de deux secondes pour découvrir qu’il est aussi froid, cynique, impitoyable… absolument détestable ! Alors, quand leurs chefs respectifs les mettent en concurrence pour une promotion, Lucy est prête à tout pour le battre. Car, si elle gagne, elle sera sa boss. S’il gagne… elle démissionnera. Autant dire qu’elle n’a pas le choix : elle doit gagner. Mais lorsque, un soir, dans l’ascenseur, ce traître de Josh l’embrasse fougueusement, elle est complètement déstabilisée. Se serait-elle trompée à son sujet depuis le début ? Ou est-ce une tactique de Josh pour lui faire perdre ses moyens ?
J’ai déjà lu une romance de Sally Thorne, Drague Interdite, qui ne m’a pas vraiment convaincue car l’infantilisation permanente du personnage principal féminin m’exaspérait. Cependant, comme les commentaires sur le net disaient combien Drague interdite était inférieur à son précédent roman, j’ai rangé le titre dans un coin de ma tête pour redonner une chance à cette autrice. 
Meilleurs ennemis part sur un postulat on ne peut plus classique de la romance : deux personnages qui se détestent vont finir par tomber amoureux. Bien qu’elle soit rebattue, je n’ai rien contre cette approche. J’aime bien voir des personnages s’apprivoiser. En revanche, je ne pense pas, au contraire de l’autrice, que la haine et l’amour soient interchangeables, loin de là. Des gens peuvent apprendre à se connaître et aller au-delà de leurs désastreuses premières impressions ou maladresses, mais quand on va trop loin dans la mesquinerie, les coups bas et les injures ou que les sentiments changent d’un coup sans qu’on sache vraiment pourquoi, ça n’est plus crédible. Pire, ça devient ridicule.
Ici, nous avons Lucy et Josh, tous deux assistants de direction dans une maison d’édition. Si on en croit ce que raconte Lucy, ce sont eux qui font tout le boulot, pourtant ils semblent passer leurs journées à se provoquer et à jouer à des jeux débiles plutôt que de travailler. Par exemple, au début du roman, Josh imite Lucy, il reproduit chaque geste qu’elle fait… Oui, on est en maternelle. Ceci dit, ça semble idiot mais pas bien méchant. Cependant, on apprend que Josh se montre régulièrement méprisant et moqueur envers Lucy que tout le monde aime. D’ailleurs c’est ce qu’elle ne supporte pas. Tout le monde l’aime, bordel ! Alors pourquoi pas lui ? Parce que Lucy est charmante, il faut que ça rentre dans votre petite tête, l’autrice y tient. Même ses défauts sont des qualités. Faites avec !
Ce genre de niaiseries est un peu saoulant, néanmoins le problème majeur de cette romance est surtout l’incohérence. Ni les mots ni les actes ne semblent avoir de valeur pour Sally Thorne. Par exemple, on nous dit que Lucy est tout à fait apte à se défendre toute seule, on l’encense pour cela, pourtant elle se laisse marcher dessus tout au long du roman. Ses rares colères contre Josh sont suivies d’une capitulation. Au mieux elle pleure auprès de sa patronne parce que Josh l’a détruite. Oui, elle utilise bien ce mot. Ce n’est pas un terme anodin, pourtant il semble l’être dans ces pages.
Dans un paragraphe elle a peur de lui, vraiment peur (elle pense qu’il est capable de la tuer), le paragraphe suivant parce qu’il la coince dans l’ascenseur et lui roule la pelle de sa vie, elle est folle de lui. Et quand je dis folle… Une vraie junkie, soudain elle n’arrive plus à se passer de lui alors qu’il la dégoûtait. Elle rôde en bas de chez lui, s’accroche à lui comme un bébé koala (ce n’est pas une métaphore, elle fait vraiment ça) et elle a juste peur qu’il la largue. Là je ne comprends plus… Il suffit qu’un homme soit beau et embrasse bien pour qu’on lui pardonne tout ? Cinq minutes avant tu avais peur qu’il te frappe, cocotte !
Lucy est un personnage tout en contradictions, mais des contradictions qui ne veulent pas dire grand-chose. Elles sont là juste pour remplir les pages… Elle harcèle Josh pour l’accompagner à un événement et ensuite elle tente de se défiler, sans vraie raison d’un bout à l’autre de cette partie de l’intrigue. Ce personnage n’a aucune logique. Mais on s’en fout, c’est une femme, on sait qu’elles sont comme les chats...
Quant à lui, c’est un cliché sur pattes. Il est canon, il passe sa vie à faire du sport pour être bien foutu, mais justement le pauvre chéri n’est apprécié que pour son corps. Et puis il a des problèmes avec son père… Alors il n’a pas confiance en lui. Cela est censé justifier le fait qu’il agisse comme un connard. Mais en vrai c’est un pervers narcissique. Il passe ton temps à « éduquer » Lucy. Il lui montre combien son style de vie est merdique parce que lui est parfait en comparaison et qu’une femme ne sait pas vivre toute seule, genre ne serait-ce que s’alimenter correctement. Voilà, voilà…
C’est tout à fait normal de menacer les hommes avec qui elle parle et de lui arracher son téléphone des mains. C’est très romantique (non, ça ne l’est pas, c’est un comportement de taré qui ne doit pas être encouragé !) Je ne cherche pas à transformer les romances en essais féministes, mais personne ne voit le problème ?
Je sais bien que les romances ne sont pas connues pour leur valorisation de la femme, mais quand même, à partir du moment où elles se modernisent, ne peut-on espérer une petite évolution et au moins qu’on n’infantilise pas autant les femmes ? Je sais aussi qu’il y a bien pire dans la description d’une relation malsaine (hello dark romance, plaie de la société), mais c’est d’autant plus perturbant que la façon dont se comporte Josh est présentée comme normale et romantique alors qu’elle est dangereuse.
Sally Thorne a un vrai problème avec ses personnages féminins. Elle nous présente ces femmes comme étant indépendantes alors qu’elles sont tout le contraire. Il n’y a pas de mal à s’appuyer sur quelqu’un, qu’on soit une femme ou un homme d’ailleurs, mais ici cela franchit une limite de manière très insidieuse. C’est malsain et destructeur de normaliser ainsi ce qui n’est rien d’autre que de la maltraitance psychologique. Toutes les déclarations d’amour du monde n’y changeront rien.
Meilleurs ennemis a eu tant de succès qu’il est en cours d’adaptation cinématographique. Cela me laisse perplexe.

jeudi 12 mars 2020

Seul un homme

Un roman de Vanessa Arraven, publié chez Pygmalion.

Présentation de l'éditeur :
La colère du peuple gronde à nouveau. Après les indignés et les Gilets jaunes, un troisième mouvement s'est levé : les envoltés. A Nantes, So Yun est une jeune femme issue d'une famille de militaires. Elle ne supporte pas les violences policières. Face à la faiblesse des institutions, elle se saisit d'un bokken, se masque et va dans la foule défendre les participants. Mais, prise entre deux feux, elle se refuse à frapper et se contente de dévier les tirs. Sirin est une envoltée de la première heure. Avec l'apparition de ce protecteur fantomatique, elle trouve un symbole qui lui donne de l'espoir. La jeune femme décide de le soutenir à sa manière : en en parlant sur les réseaux sociaux. Pourtant, comme tout le monde, elle est convaincue que leur mystérieux défenseur est un homme... Lors d'une manifestation, avant que So Yun ait eu le temps de s'équiper, un jeune homme est gravement blessé. Alors, tout bascule. Et la colère grandit, qui devient rage.
Vanessa Terral nous revient sous son nouveau nom de plume — Vanessa Arraven — avec un roman très actuel. C’est un plaisir de retrouver la plume de cette autrice qui fait toujours preuve d’intelligence et d’une grande sensibilité dans tous les sujets qu’elle choisit de traiter.
Seul un homme est à la fois un récit très différent – de l’anticipation avec juste une légère pointe de fantastique — et très cohérent avec tout ce que j’ai pu lire d’elle. J’y ai retrouvé son humanisme et sa façon si particulière de présenter toutes les nuances de gris. Elle ne choisit jamais la facilité.
Ce roman fait écho à notre situation actuelle et exprime le ras-le-bol d’un peuple en quête de changements, de justice et d’équité. La difficulté de se faire entendre et l’horreur des affrontements entre les militants et la police — des gens qui ne sont que des êtres humains, faillibles, dressés les uns contre les autres par un pouvoir injuste et cynique — sont parfaitement décrites. Comme quoi, on peut être une autrice engagée sans faire de propagande. C’est à notre bons sens que s’adresse l’autrice, à notre humanité.
Elle a créé des personnages à la personnalité subtile, à la fois forts et fragiles, qui essaient juste de rendre ce monde meilleur. Et ce fut un plaisir de les suivre (et de boire une tasse de kukicha avec eux. Ça faisait longtemps que je n’avais plus bu ce type de thé...)
Seul un homme est un roman qui se lit vite, il ne m’a duré qu’une journée, lu petit à petit dans les creux de mon emploi du temps, mais c’est un récit fort, humaniste plus que féministe, et engagé à côté duquel on ne peut passer. Il éveillera, je l’espère, un peu plus les consciences et aidera ceux qui cherchent désespérément leur équilibre dans le contexte actuel à retrouver un peu de sérénité.

mercredi 4 mars 2020

Mon cahier de recettes personnalisable

Un cahier pré-rempli, publié chez Évidence éditions.


En ces temps où les carnets et autres journaux créatifs sont à la mode, on trouve beaucoup de cahiers pré-formatés tels que celui-ci. Cela n’est pas un mal. C’est bien pratique pour les gens comme moi qui n’ont pas spécialement la fibre artistique ni de goût pour la déco. Enfin, vous pouvez toujours le décorer si ça vous tente, mais si vous n’avez pas de temps à perdre avec la mise en page, ce cahier comblera vos attentes.
Il est au format A5, ce qui selon moi est pile ce qu’il faut pour un cahier de recettes. Il est ligné, la présentation est soignée, sobre mais jolie et surtout il est pratique.
Les fiches de recettes sont évidemment le point fort de ce cahier. Il y en a plus d’une centaine et leur mise en page permet d’écrire de manière lisible. Mon problème avec ce genre de cahiers est en général le manque de place. Ici, les fiches sont suffisamment spacieuses et bien organisées. Sur le haut de la page on peut noter la difficulté, le coût de la recette, le nombre de personnes, etc. De petites choses utiles qui ne doivent pas prendre trop de place mais qu’on est content de voir en un coup d’œil. Les ingrédients sont du côté gauche, la préparation du droit. On a en emplacement pour l’évaluation de la recette et un autre pour des notes. Ce sont des fiches très bien pensées, on peut y mettre un maximum d’informations tout en privilégiant la lisibilité.
Si évidemment les fiches à remplir sont le plus important dans ce cahier, on trouve quand même d’autres petites choses. Il y a un lexique culinaire assez concis, une liste d’épices et une autres d’herbes aromatiques avec leurs utilisations habituelles. On trouve aussi un calendrier des fruits et légumes de saison bien pratique, même si selon votre région cela peut être sujet à de légères variations.
Enfin, vous trouverez des pages de notes en fin d’ouvrage et un sommaire au début. Malheureusement, il n’y a pas assez de place dans ce sommaire à compléter pour y répertorier toutes vos recettes. Oui, j’ai compté. Et on sait tous qu’un index est indispensable dans ce genre d’ouvrage. On peut toujours en coller un replié, mais ce n’est pas très pratique. C’est le seul défaut majeur que j’ai relevé. Cela mis à part, ce cahier est tout de même bien fait et il me sera fort utile.
Si on n’a pas envie d’un carnet libre, c’est une bonne alternative pour avoir quelque chose de carré et homogène sans trop se fatiguer.