mardi 25 juillet 2023

Meurtres, magie et télé-réalité, Ivy Wilde T2

Un roman d'Helen Harper, en version audio chez Hardigan.

Mon avis sur le premier tome.



Notre sorcière fainéante préférée est bien contente d’avoir repris le cours de sa vie. Pourtant… Est-ce qu’elle ne s’ennuierait pas un peu ? Alors quand on lui propose de se rendre sur le tournage de sa série préférée, elle saute sur l’occasion, même si ça veut dire qu’elle va devoir courir partout. Serait-ce vraiment l’action qui lui manque ou un certain sorcier aux beaux yeux bleus pour lequel elle est prête à oublier un peu sa fainéantise naturelle ?
J’adore Ivy. Elle possède de nombreuses qualités qui en font un personnage attachant, mais c’est sa grande intelligence que je préfère. On nous a trop habitués à des personnages qui se laissent porter par l’intrigue et ne fournissent aucun effort (surtout pas cérébral) pour se sortir d’inextricables situations. Il est toujours extrêmement pénible d’avoir tout compris dès le chapitre 2 et de se traîner à la suite d’un personnage incapable d’établir des connexions pourtant simples ou même de mener une investigation un tant soit peu crédible. Ce n’est pas le cas d’Ivy. Elle a un cerveau et elle sait s’en servir. Cela ne veut pas pour autant dire qu’elle ne fait jamais d’erreur ou qu’elle résout tous les problèmes en deux secondes. Elle enquête de manière méthodique et elle porte attention à ce qui se passe autour d’elle pour rassembler de vraies preuves. Puisqu’elle narre l’histoire, nous avons accès à toutes ses pensées et donc à son raisonnement, ce qui nous permet de mener l’enquête avec elle.
J’ai beaucoup aimé la suivre en Écosse sur le tournage d’une émission de télé-réalité. Les personnages secondaires ne sont pas mémorables et n’ont pas un grand capital sympathie, mais Ivy et Winter sont là pour faire le job alors je n’ai pas vu les pages défiler.
Ce tome est un peu en-dessous du précédent à mon goût, justement à cause des autres personnages et parce qu’on se lasse vite de l’ambiance plateau de télé qui manque de relief. Cependant j’ai quand même passé un excellent moment avec cette lecture.
La fin est intense et laisse présager un intéressant rebondissement pour la suite. J’ai hâte de lire, ou d’écouter, comment cela va tourner.

vendredi 21 juillet 2023

Ça c'est de la tarte ! Sucrée, mais pas trop

Un livre de recettes de Marie et Maud Chioca, publié aux éditions Terre Vivante.

Présentation de l'éditeur :

40 recettes de tartes pour le dessert ou le goûter, délicieuses et saines (moins de beurre, de sucre, de crème), très fruitées, innovantes, appétissantes et inratables…Tout pour se faire plaisir et épater la galerie, sans ruiner sa santé !
Si vous vous intéressez à la cuisine à indice glycémique bas, vous connaissez sans doute déjà les ouvrages de Marie Chioca. Je possède pour ma part un livre de recettes de soupes que j’aime beaucoup car il offre de bonnes astuces pour des soupes plus saines et digestes. Le livre sur les tartes, qu’elle a écrit avec sa fille Maud, est du même acabit. 
On pourrait se poser la question de l’utilité réelle d’un tel ouvrage. Les livres sur le thème des tartes, surtout quand elles ne sont que sucrées, sont souvent redondants. Ce n’est pas le cas ici. La quarantaine de recettes que vous y trouverez est plutôt variée. Les recettes sont simples, pour la plupart, mais gourmandes et les ingrédients relativement faciles à se procurer en supermarché. Bien sûr dans ce genre de recettes on vous proposera d’utiliser des farines complètes et parfois des purées d’oléagineux, différentes sortes d’huile et de sucres ainsi que de l’agar-agar. Tout ces ingrédients sont devenus courants de nos jours, mais ont néanmoins un coût. Si vous ne pouvez ou ne voulez pas en utiliser certains, les autrices ont pensé à vous proposer des alternatives à peu près équivalentes (elles expliquent cela en début d’ouvrage), mais gardez à l’esprit que cela peut apporter des variations au résultat ainsi qu’à l’indice glycémique. Cela étant, plusieurs recettes ne demandent que des ingrédients on ne peut plus traditionnels, donc vous avez quand même du choix.
Marie et Maud ont raison : c’est une bonne pâte qui fait une tarte réussie. Elles en propose plusieurs bases, travaillées pour s’adapter parfaitement à leur garniture. Elles ont aussi pensé aux personnes allergiques. Elles proposent des bases de pâte variées, dont certaines sans gluten et d’autres ne contiennent pas d’œuf ou de produits laitiers. En revanche, elles utilisent aussi souvent de l’huile de coco, dont je ne suis pas fan.
Les autrices vont à l’essentiel, ce qui est une grande qualité pour un livre de cuisine. Après une courte introduction et une liste de très bonnes astuces (mon père étant pâtissier, je sais de quoi je parle), on passe aux recettes classées par saison. Les fiches sont concises mais claires et agrémentées d’autres astuces utiles. Je regrette juste que lesdites astuces soient imprimées en orange, ce n’est pas ce qu’on a fait de plus lisible.
Une petite erreur m’a aussi chiffonnée, la lemongrass, qui est de la citronnelle, est une plante exotique qui n’a rien à voir avec la verveine citronnelle. Mais bon, je chipote… L’une et l’autre sont tout à fait utilisables en cuisine.
J’ai eu de belles surprises en feuilletant ce livre, notamment une tarte au curd de pomelos. J’adore préparer des curds. Parmis mes préférés on trouve bien sûr l’habituel curd au citron, mais aussi celui à la pomme. Je me réjouis donc d’essayer cette nouvelle recette quand reviendra la saison. Ce livre propose des classiques revisités, certes, mais aussi des tartes plus originales et toujours de jolis dressages. Les photos sont d’ailleurs magnifiques. Les recettes sont à la portée de tout le monde, bien que deux ou trois soient ambitieuses, et même ceux qui ne sont pas habitués à pâtisser devraient s’en sortir. C’est un bon livre, je vous le recommande.

mardi 4 juillet 2023

Tous aux abris

 Une anthologie publiée chez Realities Inc.

Présentation de l'éditeur : 
C’est la catastrophe ! Des incendies se déclarent, des guerres font rage, un attentat tourne mal, un volcan entre en éruption, des créatures venues d’ailleurs nous veulent du mal… Neuf auteurs ont pour mission de sauver leurs personnages du désastre imminent. Y parviendront-ils ?
Sommaire :
  • Qui nous abandonne ? De Basile Breyer
  • De Poissons et d’Âmes mortes de Sylwen Norden
  • Et la Lumière fut d’Alexandre Haas
  • Ligne de Fuite d’Antoine Quoc Vinh Tran
  • La Part des Flammes de Fabien Clavel
  • De l'Acide sous la Peau de Xavier Portebois
  • La Lumière des Ombres de Julie Guinebaud
  • La grosse de K.T.
  • La Troisième Guerre des Feys de Tesha Garisaki

La fin du monde, voilà bien un sujet qui a toujours déchaîné l’imagination. En ces temps désenchantés, entre effondrements sociaux et catastrophes naturelles récurrentes, il est aisé de laisser dériver son esprit vers des conjectures apocalyptiques. N’est-ce pas ce qui fait les beaux jours des complotistes ? Point de complots ici cependant, juste des cauchemars et quelques rêves aussi, peut-être, des fins définitives et de nouveaux départs.
Entre ces pages vous trouverez des fuites et des combats, des incendies et des désastres, des extraterrestres débonnaires, des anges et des démons, des catastrophes en tous genres et même l’avènement d’une nouvelle espèce. Les textes de cette anthologie sont variés, dans leur ton aussi bien que dans leur façon d’envisager débâcle et chaos.
Certains textes sont très poétiques. Je pense notamment à Ligne de fuite ainsi que De Poissons et d’Âmes mortes. J’ai particulièrement apprécié ce dernier aussi bien pour son style que sa construction et son thème. Par contraste, J’ai d’autant plus apprécié la nouvelle qui le suit : Et la Lumière fut. Nous avons là une bonne dose de suspense, mais aussi des personnages bien construits. La nature humaine est davantage mise en avant dans ce texte (et ce n’est pas forcément glorieux).
Dans De l'Acide sous la Peau, Xavier Portebois nous offre un texte cyberpunk plein d’action et de réflexion. J’ai beaucoup cette nouvelle, surtout pour sa portée philosophique. Ce texte a plusieurs niveaux de lecture et si vous ne voulez vous attacher qu’à sa dimension épique, vous le pouvez aussi. Vous ne vous ennuierez pas une minute.
La Lumière des Ombres de Julie Guinebaud, mérite également une mention spéciale car non seulement elle parvient à faire quelque chose de mémorable avec un thème pourtant maintes et maintes fois réutilisé en SFFF, mais aussi parce qu’elle nous offre des personnages auxquels on parvient à s’attacher en peu de pages.
Enfin La Troisième Guerre des Feys, nouvelle qui conclut l’anthologie, est mon texte préféré. D’une part parce qu’étant par nature une pessimiste angoissée je préfère les textes plus surnaturels, d’autre part parce que j’ai adoré retourner à Mannaz et j’y serais volontiers restée plus longtemps. Comment ne pas avoir envie d’explorer la cité de toutes les magies ? Les personnages, en outre, sont tous intéressants. Cela donne envie de les connaître davantage. Je vous invite d’ailleurs à lire Ghost Hunter Show, autre nouvelle dans cet univers.
Tous aux abris est une très bonne anthologie. Vous y trouverez des textes profonds, contemplatifs ou déchaînés, pessimistes ou optimistes, drôles ou déprimants, le tout parfaitement agencé pour tirer au mieux parti de cette belle diversité.

mardi 27 juin 2023

Fantomatique road trip

Un roman de Mathilde Payen, publié chez Syros.

Présentation de l'éditeur :

Cet été-là, Ninon et June décident de s'éclipser en douce et de partir toutes les deux sur les routes de France. Leur moyen de locomotion ? Un vieux solex et une petite carriole rafistolée, équipée de quelques provisions, deux sacs de couchage, une seule tenue de rechange pour chacune... Leur objectif ? Profiter de l'instant présent, loin des parents, loin du lycée, en oubliant tout projet d'avenir. Elles ignorent encore qu'un troisième larron sera du voyage : le fantôme d'un adolescent de leur âge décédé dans les années 70, qui va les entraîner bien plus loin que prévu, jusqu'à Londres...

Ninon et June rêvent d’un été de liberté et d’aventures, loin de leurs parents, des interrogations sur leur futur et des contraintes. Alors, sur un coup de tête, elles décident de partir en solex avec pour guide un vieux livre annoté par son précédent propriétaire. Bien sûr, leurs parents ne sont pas au courant de ce projet un peu fou…
Ce récit, tout comme les préoccupations de ses protagonistes, semble intemporel.
Je me suis rappelé les étés pleins de promesses qui semblent s’étirer sans fin mais qu’on sait éphémères… La fin de l’adolescence est un peu pareille : on sait que tout va changer bientôt, c’est là, quelque part, en périphérie de la conscience, mais c’est comme l’été, on ne voit pas la bobine du temps se dévider, on n’a pas l’impression d’en profiter assez.
Je me suis presque tout de suite entichée de ces deux filles avec leurs espoirs et leur culture qui ressemble un peu plus à celle de mon époque qu’à celle qui les a vues naître. Si Ninon, avec son enthousiasmes et sa spontanéité, donne son élan et son énergie à cette histoire, June, elle, lui apporte sa sensibilité artistique. J’étais prête à les suivre dans leur périple, mais comme nous le savons tous : rien ne se passe jamais comme prévu. Un troisième personnage entre dans l’équation et les filles vont devoir s’adapter.
J’ai aimé cette histoire pendant sa première moitié, vraiment, j’étais à fond, que ce soit à propos des vacances freestyle ou même quand on bifurque vers le surnaturel. Cependant, le soufflé est retombé. La dynamique qui se met petit à petit en place entre les membres de ce trio m’a déplu. Les petites mesquineries, la jalousie mal placée et les amourettes à deux balles, très peu pour moi. Je veux bien croire aux fantômes le temps d’une lecture, mais je n’ai pas cru à ces personnages ni à leurs décisions et encore moins à leurs sentiments. Pourtant, tout était réuni pour m’offrir une belle lecture d’été.
June est la narratrice et comme on vit le voyage à travers ses notes et autres réflexions, il est plus facile de l’apprécier que sa camarade. Cependant, même en tâchant de rester objective, j’ai eu de plus en plus de mal à supporter Ninon au fil de la lecture. June a ses défauts, mais Ninon ne pense pas à grand-chose d’autre qu’elle même et fait peu de cas de ses amis. C’est le genre de choses que je ne pardonne pas.
Sur la fin, j’avais juste envie que ça se termine pour passer à autre chose. Triste contraste avec les premiers chapitres que j’ai dévorés dans un élan enthousiaste.
La fin douce-amère m’a un peu réconciliée avec ce roman, mais la magie s’était évaporée depuis trop de pages pour que je sorte de ma lecture avec une bonne impression. C’est dommage. Faites-vous votre propre idée, peut-être que ce roman saura vous séduire davantage que moi.


vendredi 23 juin 2023

L'enlèvement de Circé - Witch and God T2

Un roman de Liv Stone, en version audio chez Audiolib.
Lu par Charlotte Campana.


Présentation de l'éditeur :

La tension règne toujours parmi les dieux et les sorcières.

Véritable pilier de sa communauté, Circé n'a pas le temps de penser à sa vie sentimentale... et encore moins à Hermès, le dieu des voleurs, aussi insaisissable qu'irrésistible. Qu'importe ce baiser qu'ils ont échangé il y a quelques semaines. Hermès est l'un des Douze, le cercle des dieux les plus puissants de l'Olympe, et un flirt entre eux serait une très mauvaise idée.

Mais lorsque la jeune sorcière est prise d'une vive douleur à la poitrine, son âme se détache de son corps et elle assiste, impuissante, à sa propre mort. Stupéfaite, Circé se retrouve face à Hermès, chargé de la guider jusqu'au royaume d'Hadès et de Perséphone.

Commence alors un voyage sur le chemin brumeux et sombre des Enfers. Dans ce monde aussi surprenant qu'impitoyable, le dieu est le seul allié de Circé. Cette proximité ne fait que renforcer des sentiments que chacun voudrait garder secrets... en particulier dans un royaume où la loi interdit toute relation entre les vivants et les morts.

Les titres des romans qui composent cette série prêtent à sourire. Ils rappellent une longue tradition de romances kitsch et cela aurait pu m’encourager à passer mon chemin si je n’avais été attirée, sans trop d’espoir non plus, par les racines mythologiques du récit. J’avais été agréablement surprise à l’écoute d’Ella la promise. J’y avais trouvé une base mythologique solide et intelligemment développée. L’autrice a su s’inspirer des mythes en profondeur et leur apporter sa propre originalité tout en restant fidèle à leur esprit. Elle ne s’est pas contentée des histoires et personnages les plus connus, bien au contraire et a fourni un beau travail de ravaudage en élaborant son univers. Oui, j’ai écrit ravaudage car c’est l’image qui me semble appropriée. Imaginez un tissage ancien, usé par le temps et troué par les mites. Imaginez une personne avec une aiguille et du fil qui tente de combler les vides, de renforcer la trame aux endroits où elle est devenue trop fine et presque transparente, mais aussi de sublimer l’ouvrage. Certaines de ces réparations se fondent dans le tissu, presque invisibles, et d’autres sont volontairement ornementales afin de donner du caractère à l’ensemble. C’est ce qu’a fait Liv Stone et ce que j’ai aimé dans l’histoire d’Ella ainsi que dans celle de Circé.
Ce deuxième tome avait tout pour éveiller mon intérêt. J’étais plutôt enthousiaste à l’idée d’écouter cette suite, d’autant plus que le volume précédent se terminait sur une révélation très prometteuse, mais surtout j’avais vraiment envie de mieux connaître l’aînée des trois sœurs. Circée est puissante, pragmatique et déterminée, cependant cela ne l’empêche pas de douter, d’avoir des faiblesses et des regrets. Cela change beaucoup de la gentille Ella et j’avoue avoir préféré Circé. En tant que future guide de sa communauté, elle a beaucoup de responsabilités et s’interroge sans cesse à ce sujet. En outre, elle sait que la paix entre les sorcières et les dieux est fragile. Circé, comme le lecteur, brûle de voir les choses changer. Pour autant, tout n’est pas si simple et elle en a conscience.
J’ai aimé ce personnage, même si certains de ses choix (et sa méconnaissance d’une monde qui est pourtant le sien) m’ont parfois étonnée. Elle m’a beaucoup émue lors de certains passages, ce qui a aisément contrebalancé les quelques moments durant lesquels elle m’a fait lever les yeux au ciel. J’ai aimé la suivre et découvrir les Enfers à ses côtés. 
Son histoire d’amour ne m’a pas emballée plus que ça, même si son prétendant ne manque pas de charme.  J’ai aimé les personnages, mais pas vraiment la dynamique de leur relation. Ils badinent, ils se cherchent, et c’est plaisant, néanmoins j’ai eu du mal à croire à leur histoire, même si je voulais les voir ensemble. Enfin, Circé est très attachante et crédible, on veut qu’elle triomphe des aléas de l’existence et c’est le principal.
Avec elle on en apprend beaucoup sur son monde, sans que cela ne sonne comme une leçon d’histoire ou un guide touristique (ce que j’ai pu reprocher souvent à des romans SFFF). J’ai particulièrement apprécié la balade au cœur des Enfers qui nous montre bien l’étendue des connaissances de l’autrice en matière de mythologie grecque. 
Liv Stone a pris plus de liberté avec la mythologie dans ce tome, mais toujours avec avec intelligence. Cela n’est pas à l’avantage de certains personnages et c’est ce que j’ai trouvé intéressant. Elle ne les magnifie pas et laisse de l’ampleur à ce qui en a fait les archétypes que nous connaissons tous.
Je prévois d’écouter la suite dès que le besoin d’une lecture distrayante se fera sentir.

jeudi 15 juin 2023

Monsieur Apothéoz

Une BD de Julien Frey et Dawid, publiée chez Vents d'Ouest.



Chez les Apothéoz, on se plante toujours en beauté. C’est ce que pense Théo, le dernier de la lignée, au point qu’il est bien décidé à ne rien entreprendre pour ne rien rater. De toute façon sa fin sera exceptionnellement navrante, il en a la certitude. 
Alors qu’il nous conte les déboires de ses ancêtres, on se rend bien compte qu’il a des raisons de broyer du noir, mais de là à croire en une malédiction familiale… Malgré sa morosité et son attitude placide, Théo est un personnage attachant qu’on voudrait voir se secouer pour enfin prendre sa vie en main. Il semble las de tout, passionné par rien, il n’a ni ambition ni rêve secret, à part peut-être le souvenir d’un amour de jeunesse qu’il n’a pas osé concrétiser. Ce n’est pas un mauvais gars, mais il se contente de vivoter.
En général, je déteste ce genre de personnages qui se laisse vivre en chouinant par intermittence, pourtant j’ai aimé Théo. Il n’en fait jamais trop, même quand il se plaint. On pourrait le croire ennuyeux, cependant il n’en est rien. J’ai aimé le suivre et apprendre à le connaître. En peu de pages, on s’en fait un ami. Un ami un peu relou, mais ce n’est pas grave. On peut même s’identifier, en partie, à sa peur d’avancer dans la vie, même en sachant que ses craintes sont ridicules car personne n’a une vie parfaite. 
Cette BD, avec son charme désuet et ses personnages en roue libre, nous rappelle que la réussite s’appuie sur des échecs, que la vie est de toute façon une succession de mésaventures et qu’au final peu importe si on se plante, le tout est de continuer car on n’en a qu’une. Cette histoire n’est pas pour autant un parangon d’optimisme. Elle est pétrie d’humour grinçant et de petits arrangements avec soi-même. L’échec fait partie de la vie, la réussite peut n’être qu’une façade et ce n’est pas grave. Ce qui importe est le voyage, pas la destination, car tout a une fin. Nos personnages ont choisi de se laisser porter, à tort ou à raison. Néanmoins, on peut toujours changer de cap si on se décide, mais à quel prix ?
J’ai bien aimé cette lecture. Les personnages et leurs failles, Théo bien sûr, mais aussi Camille et Pépin, sont sympathiques malgré (ou grâce à) leurs très gros défauts. La dynamique qui se met en place entre eux est intéressante. Ils ne se tirent pas vers le haut, mais se poussent tout de même vers l’avant, et c’est déjà ça.
Et surtout, j’ai adoré les dessins. Ils donnent une ambiance un peu vieillotte à l’histoire, bien qu’elle ne le soit pas. Leurs tons chauds atténuent la morosité du récit mais pas la nostalgie qu’ils dégagent.
Ce fut une belle découverte.


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lundi 17 avril 2023

Le Silence des carillons

Un roman d'Édouard H. Blaes, publié chez ActuSF.


Tinkleham est un vestige du vieux monde, une ville sous globe bien qu’elle soit entourée de brume et non de verre, assiégée par les spectres qui désagrègent tout être humain qu’ils touchent. La population de cette ville et de la campagne qui l’environne ne survit que grâce au Beffroi. Sur la plateforme, des mages se relaient pour chanter, accompagnés de cloches et de carillons, afin de repousser les spectres sans relâche. Cela fait bien longtemps que les gens ont oublié la chaleur du soleil et à quoi ressemblait le monde d’avant. Tout ce qui leur en reste vient des livres.
Ermeline a dix-huit ans, vit en bordure et entretient depuis toujours le rêve de devenir la plus grande magicienne qu’aura connu le Beffroi, quoi qu’il puisse lui en coûter.
Qui est Ermeline Mainterre ? La question rythme notre lecture et de toutes les personnes pouvant se la poser, lecteur compris, c’est Ermeline elle-même la plus acharnée à trouver une réponse. Elle est ambitieuse, à n’en pas douter, mais a-t-elle réellement les moyens de ses ambitions ? Et si elle réussit, que fera-t-elle du pouvoir ?
Il faut toujours prendre garde à ce que l’on souhaite.
Ermeline est égocentrique, susceptible, envieuse, naïve au début et un peu puérile aussi. Elle est loin de l’héroïne qu’on rencontre souvent dans un roman de fantasy. Elle n’est pas une élue, même si elle croit qu’elle aimerait en être une. De prime abord, elle n’est pas sympathique et le récit avançant elle l'est encore moins. Pourtant, je l’ai appréciée. Cela peut sembler étrange et je me doute que ce n’est pas une opinion populaire parmi les lecteurs. En plus d’être focalisée sur elle-même et de manquer d’empathie, Ermeline peut se montrer assez pénible quand elle ressasse (ce qui se révèle être l’une de ses activités préférées). Si je l’ai aimée, je crois, c’est justement pour tous ses défauts. Elle n’est pas quelqu’un de bien, tout en n’étant pas foncièrement mauvaise non plus. Elle veut juste survivre et si elle est amenée à devenir une héroïne, ce sera forcément discutable. Ermeline est loin d’avoir le profil d’une sauveuse aimée de tous, animée par le goût du sacrifice et la compassion. Elle est une pragmatique et elle doit vivre avec ses choix, ses petites et ses grandes lâchetés. Elle doit avancer ou perdre la raison. Pour tout cela, elle est plus humaine et réaliste que la grande majorité des héroïnes de fantasy que j’ai pu croiser.
Le Silence des carillons est un roman sombre, tissé des sentiments les moins glorieux qui animent l’humanité. On y fait des choix par défaut, on s’arrange avec la vérité, avec la peur et avec sa conscience. Est-ce que seule importe la survie ? En vaut-elle la peine passé un certain point ? Cette lecture m’aura fait me poser de nombreuses questions.
La magie que nous décrit l’auteur, entre chant et métaphore océanique, m’a beaucoup plu. Ça me parlait et j’ai aimé le début du roman, apprendre ce monde, apprendre Ermeline, apprendre le Beffroi surtout, ce labyrinthe de faux-semblants, d’illusions et de secrets. J’aurais toutefois souhaité en apprendre davantage sur la nature de cette magie et sur son lien avec les spectres. De manière générale, j’aurais voulu plus d’informations concernant les origines de Tinkleham, mais je comprends bien que ce n’était pas le propos.
Dans la première moitié du roman, j’ai surtout été motivée par la découverte de l’univers et des personnages et j’admets avoir un peu décroché quand l’histoire s’est centrée sur la jalousie et un triangle amoureux peu engageant. Certaines rivalités poussent les êtres à donner le meilleur d’eux-mêmes, celle qui couve sous l’amitié fragile entre Justine et Ermeline est délétère. En outre, elle n’apporte pas grand-chose à l’histoire, si ce n’est démontrer qu’Ermeline semble vouée à entretenir des relations malsaines, ou à tout le moins déséquilibrées.
La deuxième partie en revanche m’a fascinée. L’histoire devient plus sombre, plus sale, les enjeux sont importants et l’intrigue se précipite vers un dénouement dont on sait qu’il sera douloureux. On se demande juste à quel point.
Pendant son apprentissage, Ermeline se posait de bonnes questions, dont certaines à haute portée philosophique, même si elle ne se montrait pas toujours très empressée à leur trouver des réponses. C’est à nous, lecteurs, qu’il incombe de le faire. Ce n’est pas un mal, mais j’aurais aimé davantage de matière, pouvoir voir plus loin. 
Enfermer une cité après une catastrophe, peu importe l’origine de celle-ci, est un postulat classique, bien que davantage en SF qu’en fantasy, c’est grâce à son personnage principal que ce roman tire son épingle du jeu, mais il est aussi sa plus grande faiblesse. Pas parce qu’Ermeline est antipathique, mais parce qu’elle nous prive d’informations complémentaires et surtout de cet « après » dont j’étais très curieuse. L’épilogue sonne juste, toutefois il ne m’a pas suffit. Cette histoire recèle encore trop de mystères pour moi. J’ai apprécié ma lecture, cependant ma vision de cet univers est restée trop cloisonnée à mon goût.