mardi 29 avril 2014

Pour l'honneur des Mérina

 Une nouvelle d'Alex Evans, publiée chez Voy'El dans la collection e-courts.

Présentation de l'éditeur :

Améyo, fille d’une famille de riches marchands tombée dans la misère, vivote entre une belle-mère alcoolique et deux belles-sœurs. Criblées de dettes, leur jugement tombe : elles doivent tout rembourser dans trois jours, ou bien elles seront vendues comme esclaves.

En désespoir de cause, la jeune fille décide d’invoquer le fantôme de son grand-père. Il pourra peut-être lui dire où se trouve la pieuvre des Mérina. Ce joyau perdu de la famille leur permettrait de payer tous leurs créanciers.

Sauf que ce n’est pas le bon grand-père qui apparaît...

Cette brève nouvelle fut d’une lecture très agréable. J’avais déjà pu apprécier la plume de l’auteur dans un autre texte court, La clé de l’eau (publié sous le nom d’Agnès Evans, dans la collection Micro de chez Walrus). J’ai retrouvé avec plaisir un style délicat et fluide qui, s’accordant à l’ambiance de l’histoire, renforce l’impression que l’on a de découvrir un conte. Pour autant, si le récit en a la saveur et la consistance, il évite toutefois de tomber dans les plus gros poncifs et travers de ce genre. Alors que le thème, celui d’une jeune fille orpheline et sans le sou devant faire face à l’adversité a été maintes fois rebattu, l’auteur a su donner malgré tout une certaine fraîcheur et de l’originalité à sa nouvelle.
Le texte est léger, prête à sourire parfois face aux déconvenues de l’héroïne, et se lit avec entrain. Alex Evans réussit en peu de mots à rendre Améyo, son personnage central, sympathique. La jeune fille, au début pleine de préjugés et d’idées reçues, mais néanmoins digne et fiable, va apprendre quelques vérités et se découvrir plus débrouillarde qu’elle l’aurait cru. La vie n’est clairement pas ce qu’elle pouvait en attendre et certaines choses qu’elle croyait sûres ou acquises vont se révéler sous un nouveau jour, mais est-ce pour autant un mal ?
On est quand même loin du conte de fée et c’est agréable d’en avoir l’essence sans la mièvrerie.
C’est une belle histoire, narrée avec art, qui parle de retrouver ses racines pour mieux se connaître soi-même et aussi, de manière plus triviale, de noblesse d’âme et d’à-propos. Les personnages sont attachants et c’est avec le regret qu’elle soit si courte que j’ai terminé cette lecture.
Comme tous les bons contes, bien que ce récit n’en soit pas tout à fait un, Pour l’honneur des Mérina s’adresse à un large public. Les jeunes comme les adultes y trouveront leur compte.

dimanche 27 avril 2014

Le Cortège des fous

Un "roman-recueil" de Jacques Fuentealba, publié chez Malpertuis en version papier et chez Walrus en numérique.

le cortege des fous - jacques fuentealba
Entre amnésie salvatrice et quête de l’identité et du pouvoir, des dieux déchus traversent les siècles, menant une guerre larvée contre le Ciel et l’Enfer. Certains ont choisi de faire cavalier seul, quelques-uns comme les Juges des Morts se sont aménagé des domaines à leur convenance, d’autres enfin dissimulent leurs activités au sein d’un cirque pour le moins étrange.
Des collines de la Grèce antique aux envoûtantes ruelles de Prague, de la Ville Lumière aux projecteurs d’Hollywood en passant par le cœur d’une tornade, une église reconvertie en boîte de nuit et une station de métro pas si désaffectée que ça, le cycle du Sunset Circus vous invite à suivre la décadence, les vicissitudes et hauts faits de ces survivants d’un autre âge.

Un roman flamboyant qui développe un univers de fantasy moderne habité par un panthéon baroque, et dont l’imagination mythologique évoque Neil Gaiman et Roger Zelazny.
Sommaire :
  • Étoile du matin, sombre destin
  • Sur les traces d’Arcimboldo
  • L’Avaleur de sabres
  • Être de taille
  • Rise and fall of Bianca Nera
  • Le cortège des fous
  • Araf
  • Dimanche, jour du Seigneur
Le Cortège des fous est un recueil de nouvelles que son auteur qualifie lui-même de « roman éclaté ». On ne saurait trouver meilleure façon de décrire cet ouvrage. Ces nouvelles, parmi lesquelles se trouve une novella, sont toutes liées entre elles et se suivent chronologiquement (il est important de le préciser car cela a une incidence sur la façon dont elles sont perçues). Elles s’inscrivent dans le cycle du Sunset Circus, univers cher à l’auteur et qu’il polit avec passion depuis longtemps.
Les histoires dans lesquelles il nous plonge sont pétries de mythologie. Ce monde est proche du nôtre, donc les récits oscillent entre fantastique et fantasy urbaine, dans une ambiance inimitable, à la fois trouble et poétique.
J’avais déjà lu ce recueil il y a quelques années et c’est avec un certain plaisir que j’ai retrouvé son atmosphère sombre et ses personnages que leurs origines mythiques et la vision qu’en donne l’auteur rendent à la fois très familiers et originaux. Pourtant, malgré une seconde lecture, je ne sais toujours pas comment faire passer toute la complexité de l’univers mis en place par Jacques Fuentealba.
Avant tout, il nous conte par touches plus ou moins sibyllines l’histoire d’un affrontement séculaire entre les religions polythéistes et la chrétienté. La première nouvelle Étoile du matin, sombre destin est en quelque sorte la genèse de tout le cycle du Sunset Circus, comment cette guerre s’est déclarée, ses enjeux, les implications de certains personnages et leurs allégeances.
Fuentealba nous offre un regard neuf sur toutes ces histoires que nous connaissons déjà et les bases qu’il pose ne sont pas dues au hasard mais à une savante construction, très logique et argumentée.
Ce que les anciens dieux, surtout ceux de la mythologie grecque mais aussi certains autres issus de divers panthéons, sont devenus est également un des enjeux importants de ce cycle. Ce recueil met en scène, de façon imagée, ce qu’on étudie en littérature comme étant l’opposition du mythos et du logos, mais je ne vais pas vous embêter avec ça. Retenons juste que les mythes étaient une expression de la vérité, pas en tant que récits s’étant déroulés, mais en tant que vision symbolique de cette vérité, d’où la naissance d’archétypes.
Ces dieux dont nous parle Fuentealba sont à la fois la résurgence de leurs propres mythologies, mais en outre de ces archétypes, de ce que l’on sait d’eux ainsi que de nos propres croyances. Ils sont figés dans l’expression de leur nature, mais s’y opposent parfois, et cela fait partie de toute la richesse de cet univers.
Les factions en présence se combattent rarement de front, cette croisade est menée en toute subtilité, avec ruse et sans manichéisme. En effet, les choses ne sont pas aussi simples qu’une opposition entre une ancienne religion et une nouvelle, les choix, allégeances et parfois trahisons des uns et des autres alimentent le conflit comme ils peuvent le freiner. C’est un combat tout en tensions, parfois figé dans le statu quo, mais toujours voué à reprendre.
Pour ce qui est de chaque texte plus précisément, il serait difficile de développer sans trop en dire, si ce n’est que tous mettent en scène des personnages très intéressants. Je suis moins sensible aux textes liés à Eurydice et Orphée, notamment Araf que l’on peut aussi lire dans la très bonne anthologie des Sombres romantiques produite par les éditions du Riez. Par contre, j’aurais peine à choisir ma préférée parmi les autres.
La novella Le cortège des fous est vraiment excellente car elle fait le pari de nous attacher à un personnage monstrueux par nature. On l’apprécie, on se range à son côté et on le soutient malgré tout. On approche sa nature monstrueuse et néfaste d’une autre manière et c’est sans doute au final le plus humain de tous ces anciens dieux. Cependant, au-delà de ça, ce texte réussit surtout le tour de force d’élever le paradoxe au rang de Mystère divin. C’est une histoire tourbillonnante, comme le Typhon. Le style s’adapte parfaitement au personnage. C’est le cas pour toutes les nouvelles du recueil, mais c’est particulièrement évident pour celle-ci.
De par sa construction même, Sur les traces d’Arcimboldo est un excellent texte, très prenant. On y retrouve les prémices de la série d’Émile Delcroix. Les mythes y croisent des légendes et des motifs littéraires, mais également l’Histoire. L’ambiance, surtout, a su me charmer.
Être de taille est une histoire aussi émouvante qu’intelligemment menée. Elle met en scène un Loki superbement réussi. Le personnage est fascinant en soi et l’interprétation qu’en fait Fuentealba est tout à fait digne de dieu rusé, elle montre qu’il peut se révéler plus nuancé qu’on le croit. Et le récit lui-même est passionnant.
L’avaleur de sabres est une nouvelle fort sympathique et celle-ci vous présentera mon personnage préféré, quoique j’aime aussi énormément son frère que vous rencontrerez plus tard dans le recueil. En tant que l’un des premiers textes de l’ouvrage, elle revient sur la naissance du Sunset Circus et la façon dont les dieux ont évolué.
Enfin le dernier récit et pas des moindres, Dimanche, jour du Seigneur, est très drôle et vous donnera envie de vous procurer très vite l’Antre du diable, où vous retrouverez l’un des personnages présents dans ce texte.
Le cortège des fous est un excellent recueil, atypique et pas forcément toujours facile d’accès, mais d’une grande qualité dans son fond comme sa forme. Fuentealba fait une utilisation très intéressante de la mythologie. Ces histoires recherchées, à l’ambiance floue et un peu désenchantée, sont contées avec finesse et poésie. Elles plairont aux lecteurs exigeants, amoureux de fantastique (bien que cela n’en soit pas vraiment) et surtout de mythologie.

D'autres lectures dans l'univers du Sunset Circus :
- Un roman : L'Antre du diable, également disponible chez Malpertuis.
Il existe aussi des nouvelles, je ne les connais sans doute pas toutes, cependant je peux toujours vous en conseiller deux :
- Chien de garde, en numérique chez Walrus et en papier dans l’anthologie Malpertuis I.
- En attendant… elle aussi disponible en numérique chez Walrus dans l’anthologie La boîte de Schrödinger – spéciale Halloween.
- Puis un peu à part, mais dans le même esprit, je vous conseille chaleureusement Émile Delcroix et l'ombre sur Paris.
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mardi 22 avril 2014

La plume de Quetzalcoatl

Un roman de Julien Pinson, publié chez Voy'El.


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la plume de Quetzalcoatl - Julien Pinson

Présentation de l'éditeur :
Après sept années passées au Nouveau Monde, le Pacifieur Impérial Arthorius revient à Rome avec, dans ses bagages, un colis bien embarrassant : une plume étrange qui jette le discrédit sur une des figures majeures de l’Empire Romain Millénaire : La Déesse Athéna, elle même.
Arthorius se trouve alors plongé, malgré lui, au centre des intrigues olympiennes dans une enquête qui le conduira jusqu’à la Frontière, au cœur des Montagnes Rocheuses.
Au fil de son voyage rien ne lui sera épargné, ni les courses poursuites avec les gangs de Néo Rhodes, ni les fusillades avec les tribus indiennes, pas même la compagnie de Dom, un faune vétéran de la légion, adepte du sarcasme à outrance.




La plume de Quetzalcoatl
est à la fois une uchronie mâtinée de steampunk, une fantasy mythique aux inspirations largement détournées, mais aussi un roman d’aventures, voire d’espionnage, un peu à la mode feuilletoniste. Et le mélange fonctionne plutôt bien.
Il semble impossible de déterminer avec certitude à quelle époque se passe cette histoire tant se mêlent des références très diverses. On rencontre par exemple un vieil homme qui porte la toge, mais également un chapeau melon, certains moyens de transport sont très modernes, parfois même futuristes, cependant ils en côtoient d’autres pour le moins archaïques. Le fait que la magie, d’une certaine façon, soit encore présente, concourt sûrement à retarder l’avancée dans certains domaines, alors qu’elle permet de faire un bond en avant dans d’autres.
Dans ce roman, les dieux, de toutes mythologies confondues, prennent part à la vie politique ou commerciale et les créatures mythiques et légendaires vivent parmi les humains. On se rend compte au fur et à mesure que plusieurs faits divergent dans les récits mythiques que l’on connaît qui sont évoqués, mais aussi dans tout ce qui concerne la partie historique qui n’est pas, comme on aurait pu le penser, complètement occultée. Cela va du petit détail comme un caducée à un seul serpent à la guerre de Troie elle-même. Ce sont ces divergences qui expliquent, avec plus ou moins de subtilité selon les cas, comment le monde a dévié.
Même si les dieux intervenaient auparavant dans les affaires humaines, il semblerait que c’est avec la guerre de Troie, à la fois fait historique et mythe fondateur dans ce roman, que l’uchronie a véritablement commencé. Cette guerre apparaît fort différente de celle que nous conte l’Iliade, ce qui peut laisser le lecteur perplexe. Je ne suis pas particulièrement enthousiaste face à cette version de l’histoire, c’est la partie de la réécriture mythologique qui m’a le plus gênée, mais elle sert réellement le roman. On ne nous explique pas tout non plus, néanmoins il est évident que c’est à la guerre de Troie qu’on doit la Convergence qui a fait s’incarner dans le monde des humains les créatures mythiques. Ce n’est pas vraiment un spoiler, ce n’est pas le fait le plus important du roman, mais je trouve que l’explication, aussi bien amenée soit-elle, intervient un peu tard dans le récit et aurait permis de mieux l’apprécier en étant dévoilée un peu avant.
Tout ce qui est mythique dans ce roman a vraiment été détourné, n’attendez pas de retrouver vos repères. La réécriture est harmonieuse, les différentes mythologies qui prennent part au récit se mêlent plutôt bien. Cependant, j’ai pour ma part préféré me concentrer sur l’intrigue elle-même que sur le background, même si je reconnais volontiers que l’auteur a fait preuve de beaucoup d’inventivité.
Dans ce roman, l’Empire romain a perduré et continué de s’étendre, malgré une résistance parfois tenace et de nombreux ennemis. Arthorius, le personnage principal, est un Pacifieur impérial, en d’autres termes un médiateur neutre, bien que mandaté par l’Empire. Son travail est de désamorcer les conflits entre les Natifs du Nouveau Monde et l’Empire ou les négociants du Comptoir international. Par un concours de circonstances, il se retrouve chargé d’une mission périlleuse, autant dans son exécution que dans ses implications politiques et comprend vite qu’il est pris au piège dans un vrai panier de crabes et qu’il aura du mal à en sortir vivant.
C’est le point de départ de notre histoire, mais celle-ci est sous-tendue par de nombreuses ramifications. L’ensemble est cohérent, inventif et très plaisant à découvrir malgré quelques petits bémols, comme par exemple de trop nombreuses coquilles.
Les personnages sont de loin le point fort de ce récit. Si le trait est un peu forcé parfois, ils sont néanmoins attachants, intéressants à voir évoluer et dynamiques. Le duo Arthorius et Dom fonctionne bien. Si le Pacifieur apparaît comme pondéré et rusé, son comparse Satyre apporte quant à lui un peu de piquant, avec son caractère bien particulier.
La plume de Quetzalcoatl est un peu dans l’esprit de la série Jean-Philippe Lasser, détective des dieux pour ceux qui connaissent, mais en moins barré.
C’est drôle, entraînant, plein de retournements de situations, et s’ils sont quelquefois un peu faciles ils marchent quand même étrangement bien. On se demande parfois où on va et pourquoi tant de détours, mais c’est divertissant, comme devrait l’être tout bon roman d’aventures et ça reste aussi bien mené et savoureux que logique. Bien qu’il s’agisse d’un one-shot, la fin reste ouverte et j’ai trouvé ça très bien.
A la fin de l’ouvrage, vous trouverez en plus d’un lexique et d’une table de conversion de mesures, un petit texte dans lequel l’auteur explique ses choix toponymiques, ce qui en soi est une très bonne initiative.

dimanche 20 avril 2014

La brigade des loups, Ep4

La brigade des loups est un feuilleton numérique de Lilian Peschet, publié dans la collection e-courts des éditions Voy’el.


Mes billets concernant les épisodes précédents :
Épisode 1
Épisode 2
Episode 3


La brigade des loups 4


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J’essaie toujours de ne pas spoiler, mais ce n’est pas forcément simple quand on en arrive au quatrième épisode d’un feuilleton. Alors, si vous n’avez pas lu les chapitres précédents (mais qu’attendez-vous ?), vous ne devriez pas lire ma chronique.


La brigade des loups est toujours un de mes feuilletons préférés, tout en intensité et en émotions. L’intrigue, complexe, est passionnante et prend tant de détours qu’on est précipité dans l’action au même titre que les personnages et qu’on ne peut deviner comment tout cela finira.
Cette fois le récit est centré sur Mikaï et Vasile, qui sont deux personnages que j’aime beaucoup, pour ne pas dire mes préférés. On en apprend un peu plus sur leur passé, sur la façon dont Mikaï s’est échappé du labo dans lequel il a servi de cobaye et sur la jeunesse de Vasile et ce qui l’a amené à devenir capitaine de brigade. C’est très intéressant et bien aussi de voir l’alpha prendre soudain un peu plus part à l’histoire.
Petit à petit, de nouveaux personnages s’insèrent dans l’histoire et je me demande si l’auteur leur laissera la parole ou si la narration sera réservée, comme cela semble logique, aux seuls membres de la brigade. Certains personnages absents de ce chapitre manquent beaucoup. Quand on voit ce qui arrive aux autres, on ne peut que s’inquiéter de leur sort. Je suis impatiente de savoir ce qui leur est arrivé.
Cet épisode m’a bouleversée et mise sur les nerfs. À mesure que feuilleton avance, la tension, déjà bien présente dans les premiers chapitres, ne cesse de s’accroître et la situation semble de plus en plus inextricable. L’espoir qui maintient les personnages en vie et leur laisse la volonté de combattre s’amenuise quant à lui, jusqu’à ne plus tenir qu’à un fil par moment. Or on s’attache à ces personnages malgré la dureté du récit et la froideur dont ils font quelquefois preuve. On veut les voir s’en tirer.
Le style lui-même est froid, on pourrait même parfois le qualifier de chirurgical tant il est précis et taille dans le vif. Il est parfaitement adapté aux narrateurs et à l’histoire. Les membres de la brigade sont pris dans l’action, d’où la concision du récit, pas de temps pour de grandes descriptions et de toute façon il n’y a pas lieu d’en faire, tout se vit dans l’instant. En outre, comme ils sont toujours en plein combat avec eux-mêmes, l’équilibre est difficile à maintenir entre leurs parts humaine et bestiale, d’où cette façon un peu mécanique de relater les événements. Face à l’horreur de leur situation, ils n’ont pas grand choix, ils doivent survivre, mais leur humanité n’en est que davantage mise en valeur.
Ils sont de plus en plus malmenés au fil des épisodes et cela devient quasiment douloureux de voir ça, pour peu qu’on ressente une certaine empathie à leur égard (et on n’arrive pas au quatrième épisode si ce n’est pas le cas). Il y a une grande barbarie dans ce feuilleton, sans pour autant que ce soit gore ou raconté de façon à devenir insoutenable. Cela participe à l’intensité du récit.
Ce feuilleton est toujours passionnant et j’ai hâte de pouvoir lire la suite et d’enfin connaître le dénouement, même si malheureusement ce n’est pas pour tout de suite.


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mercredi 16 avril 2014

Aya de Yopougon T1 et 2

Une BD de Marguerite Abouet et Clément Oubrerie, publiée chez Gallimard jeunesse dans la collection Bayou.
Elle existe aussi en poche chez Folio.


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Parce que j’ai beaucoup aimé le premier volume d’une autre série de l’auteur, j’ai décidé de me pencher sur cette bande dessinée en six tomes.
Comme son titre l’indique, le personnage central se nomme Aya. C’est une jeune fille de 19 ans qui vit à Yopougon, quartier populaire d’Abidjan, à la toute fin des années 70. Si Aya est sérieuse et ne rêve que de continuer ses études pour devenir médecin, ses amies sont quant à elles un peu plus délurées et Aya se retrouve souvent, bien malgré elle, mêlée à leurs déboires amoureux, alors qu’elle a déjà fort affaire avec son père qui voudrait la marier avec le fils de son patron.
Au final, dans ces deux premiers tomes, Aya n’a pas un très grand rôle, néanmoins c’est elle qui centralise les différentes intrigues qui touchent ses proches. On fait ici la connaissance de ses deux meilleures amies, Adjoua et Bintou, de leurs familles respectives ainsi que de celle d’Aya, puis plus généralement des autres gens du quartier, les voisins, le patron du père d’Aya et sa famille, les dragueurs invétérés... Il y a beaucoup de personnages, mais on s’y retrouve assez vite car l’auteur sait s’y prendre pour nous présenter tout ce beau monde.
C’est une série sous forme de chronique, la vie quotidienne d’un quartier, d’adultes parfois un peu dépassés par les événements et de jeunes gens qui se cherchent, s’interrogent, ou pas, sur leur avenir, tombent amoureux et vivent leur vie en somme. C’est ce qui fait tout le charme de cette BD. C’est réaliste, mais optimiste, drôle et touchant. Les personnages sont très attachants, ce qui est pourtant assez difficile à rendre dans une BD et surtout pour un premier tome. On les suit avec plaisir et on a envie de savoir ce qui va leur arriver. Ils sont tous terriblement vivants et leurs traits de caractère, souvent très marqués, rendent particulièrement savoureuses leurs aventures tour à tour cocasses ou émouvantes. Ils sont indubitablement le point fort de cette série.
Il y a de l’humour et de la tendresse dans ces pages, c’est une BD à découvrir. Elle est publiée dans une collection dévolue aux adolescents, mais conviendra aussi bien à des adultes.
Le dessin ne m’a pas marquée outre mesure, ce n’est pas mon style de prédilection, mais il s’adapte bien à l’esprit et à l’ambiance de la série. C’est coloré, vibrant de joie de vivre, agréable tout en n’étant pas forcément très recherché, ça fait un peu carnet de croquis jetés vite fait alors qu’en fait ça demande du travail, c’est bien dans l’esprit désinvolte, bon enfant et optimiste, malgré les aléas de la vie, des intrigues mises en scène.
Autre point sympathique à préciser : à la fin de chaque tome se trouve une section bonus, avec des crayonnés, des recettes, des réflexions et anecdotes sur la façon de vivre en Côte d’Ivoire portées par la bouche des personnages et bien sûr l’indispensable lexique pour mieux comprendre les expressions qui jalonnent le récit.
Grâce à cette partie, vous apprendrez notamment comment faire une sauce arachide, recette que j’ai moi-même goûtée il y a longtemps et refait bien souvent depuis, à ma manière. C’est très, très bon. Vous verrez en outre la façon de nouer un pagne pour porter son bébé dans son dos, les traditions familiales lors des naissances, etc. C’est vraiment très sympa et ça aide à s’immerger dans cette culture ainsi que dans l’histoire. On sent la tendresse de l’auteur vis-à-vis de son pays et son envie de la partager.
Il existe un film d’animation qui porte sur l’histoire de ces deux premiers tomes et qui est vraiment fidèle à la BD en plus d’être très bien fait. Il est agréable à regarder, d’ailleurs je vous le conseille, vous passerez un bon moment en compagnie des personnages et serez facilement immergé dans l’esprit de la série dont il est imprégné. J’espère que la suite sera également mise en animation.
La BD est publiée en six volumes et semble terminée. Elle commence à sortir en poche à un prix très abordable. Les deux premiers tomes, que j’ai lus séparément, sont également disponibles en un seul volume en grand format depuis la sortie du film.
Il existe aussi un spin-off pour les plus jeunes, Akissi, dont le personnage principal est la petite sœur d’Aya. Quant à moi, je vais continuer de lire Aya de Yopougon parce que c’est vraiment très, très sympa et qu’il me tarde de voir ce que deviennent les personnages.

Chien de garde

Une nouvelle numérique de Jacques Fuentealba, publiée chez Walrus.

Présentation de l'éditeur :

Ah, l'amour... qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour gagner le cœur d'une beauté ? Surtout quand, comme dans le cas présent, l'objet de la passion est une jeune starlette à la plastique parfaite, mais aux mœurs pour le moins... douteuses. Prêt à subir pour elle toutes les humiliations, le héros se retrouve à jouer les chiens dociles, dormant parmi ses congénères non-humains pour satisfaire sa belle. Mais à Sunset Circus, les rumeurs vont vite. Cette situation est-elle tenable ? Et qui est vraiment cette mystérieuse jeune femme ?

Chien de Garde est une courte et indépendante introduction à l'univers du Cortège des Fous. Le texte de Jacques Fuentealba (environ 40 pages) fait partie de la collection Micro des éditions Walrus.
Cette nouvelle peut tout à fait être lue indépendamment, mais se situe toutefois dans le cycle du Sunset Circus. Il ne s’y produit rien de significatif dans l’avancée de l’intrigue centrale du cycle lui-même, néanmoins on y apprend des choses sur des personnages secondaires, sur ce que sont devenus de nos jours ces héros très connus de la Grèce antique et malgré tout déchus.
Fuentealba use toujours avec subtilité et intelligence de la mythologie et pour peu que vous vous y connaissiez un brin, vous apprécierez forcément les références et la réflexion qui sous-tend cette histoire.
Le personnage que nous suivons ici est extrêmement pathétique, on a envie de le secouer, voire même de le frapper, ce qui est un peu pénible à force, d’autant qu’on a pitié de lui. À l’opposé, le propos est intéressant, bien mis en scène et surtout conté avec art.
Malgré tous ces mérites, la chute est largement prévisible, bien que tout à fait dans l’esprit du mythe comme de la nouvelle. C’est à la fois un défaut et une qualité. Chien de garde est en tout cas un très bon texte, ne serait-ce que pour son idée de départ.

Cette nouvelle est publiée en numérique chez Walrus, mais est néanmoins disponible en version papier dans l’anthologie Malpertuis I.

mardi 8 avril 2014

Saletés de pubs...

Comme on me l'a fait remarquer (faut savoir que moi je ne les vois pas, donc je ne me rends pas forcément compte), il y a de plus en plus de pubs à la fin des articles sur les blogs wordpress gratuits comme celui-ci. Je suis navrée de cet inconvénient, mais pour l'instant il faudra faire avec car à moins que je ne me décide à raquer (ce qui ne risque pas d'arriver, soyons sérieux) ou à changer de plateforme (je suis fainéante, mais j'y réfléchis) il n'y a guère de solution.

Une page se tourne...

C'est le moment de dire adieu aux éditions Argemmios, de remercier l'éditrice, les auteurs et les directeurs d'ouvrages grâce à qui j'ai eu, et ai offert à mes amis, de belles heures de lecture.
C'est très triste, mais c'est ainsi.
Sachez donc, si vous voulez profiter de la dernière chance qui vous est offerte d'acquérir leurs livres, qu'ils sont en ce moment soldés.
N'hésitez pas une seconde, ce sont d'excellents bouquins.
C'est par ici.

lundi 7 avril 2014

Sous l'emprise du désir

Un roman de Lisa Kleypas, publié chez J'ai lu.


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sous lemprise du desir kleypas


Amanda, écrivain en plein essor, est une vieille fille de trente ans à Londres en 1836. Bien décidée à ne pas rester vierge toute sa vie (elle a bien raison), elle décide de se payer un gigolo pour sa nuit d’anniversaire. Mais il se pourrait que son invité ne soit pas celui qu’elle espérait.
Jusque-là, tout va bien, et ensuite…


Chaque fois que j’ai lu une romance, même si j’admets qu’il n’y en a pas eu des masses, j’y ai trouvé :
- Une jeune femme pas à l’aise dans ses escarpins. Les raisons pour lesquelles elles n’étaient pas dans la norme importent peu au final, il faut juste qu’elles soient plus ou moins décriées pour qu’un beau mâle qui se fout de l’opinion des autres vienne leur démontrer qu’en fait elles sont bien supérieures à tous ceux qui leur jettent des pierres.
- Une homme riche, beau, tourmenté par un passé douloureux qui l’empêche de s’engager ou de faire confiance, exaspérant en façade mais ayant un bon fond et une nature chevaleresque. Evidemment c’est aussi le coup du siècle… Il arrive pour sauver la gentille héroïne de ses démons et, parce qu’il a de la chance, elle le sauve aussi.
C’est beau, c’est bisounoursland à tous les étages, avec un peu de cul en plus.
Je suppose donc que c’est la norme pour n’importe quelle autre romance et ici ben on n’échappe pas à la norme. Je m’y suis faite, je peux gérer, même si ce n’est définitivement pas mon délire.


Vous me direz que je ne suis pas romantique, vous aurez sans doute raison, mais désolée, ce n’est pas de ma faute, je ne crois jamais à ce genre d’histoires et pour apprécier ma lecture, j’ai vraiment besoin d’y croire.
Ça se lit très vite, ce n’est pas désagréable, mais je n’ai pas réussi à me détacher de tous ces petits détails auxquels je ne croyais pas. Je suis restée bloquée sur le contexte historique qui ne collait pas. Je me suis focalisée sur la façon de servir le thé et autres trucs sans importance alors que sincèrement on s’en fout, ce n’est pas pour ça qu’on lit une romance…
Je n’ai rien contre les histoires d’amour, mais je veux une intrigue, une vraie, qui soit consistante et qui ne suive pas toujours le même sempiternel schéma. Est-ce qu’il existe l’équivalent du schéma de Propp pour la romance ? Si c’est le cas, les auteurs devraient le brûler…
Enfin bref, revenons à cette histoire-ci en particulier. Je ne me suis pas attachée aux personnages, en fait ils m’ont même exaspérée. Je suis restée très dubitative sur l’évolution de leur relation, aussi bien dans sa dimension affective que charnelle. Et j’ai quand même trouvé ce roman assez insultant pour la gent féminine malgré quelques choix assez progressistes pour l’époque à laquelle se déroule le récit. Si vous voulez mon avis, tous les aspects qui peuvent sembler féministes sont en fait l’arbre fruitier qui cache la forêt d’épineux carnivores (il y a bien un quelconque univers de fantasy dans lequel on peut trouver des épineux carnivores).
Alors non ça ne l’a pas fait, ni l’histoire d’amour ni le contexte ne m’ont convaincue.


Je suis désolée Chani, mais en fait j’ai préféré l’autre.


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Challenge mauvaise influence

dimanche 6 avril 2014

Deux nouvelles de Christian Léourier

Ça fait un moment que je dois vous poster ces chroniques, mais bon le temps, les trucs à faire qui s'additionnent, tout ça, tout ça... Bref. C'est le jour du court, profitons-en !


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Les deux nouvelles dont je vais vous parler s’inscrivent dans le Cycle de Lanmeur.
Si vous n’avez encore jamais lu aucun roman s’y rattachant, je vous invite à le faire. C’est un de mes plus grands coups de cœur (de toute ma vie, certes courte mais bien remplie, de lectrice).
Si vous souhaitez vous faire une idée, vous pouvez lire mes avis sur les deux premières intégrales ici et .


Il est tout à fait possible de lire et d’apprécier ces deux nouvelles sans connaître les romans.
Cependant, si vous préférez, voici un très léger topo sur Lanmeur :
A la base, il s’agit d’une planète, devenue empire. En découvrant le voyage spatial, les Lanmeuriens ont pu constater qu’il existait d’autres planètes peuplées d’êtres humains. Comment ? Pourquoi ? C’est encore un mystère, mais de cette découverte est née l’idée du Rassemblement qui, au fil des siècles, a pris de nombreux tours, plus ou moins bien intentionnés.


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Le réveil des hommes blancs


Cette nouvelle a été publiée dans le n°72 de Bifrost.


Il y a quelque chose dans l’écriture de Christian Léourier, qui me bouleverse immanquablement. C’est le style, bien sûr, aussi précis que poétique, cette façon d’amener les émotions avec des mots jusqu’à l’âme du lecteur, mais c’est surtout cette manière de décrire l’humanité, dans ses pires attitudes comme ses meilleures, sans jamais tomber dans la caricature ou le manichéisme et encore moins dans la facilité.
Dans cette nouvelle, les Lanmeuriens se sont installés sur une planète qu’ils pensaient inhabitée et la préparent pour sa renaissance. Si vous avez lu L’homme qui tua l’hiver, vous vous souvenez de Nédim, cette planète si excentrée que son hiver semble interminable. Ici, Teirnstern, la planète dont il est question, s’approche à l’inverse tellement de son soleil qu’elle brûle littéralement et devient inhabitable durant de nombreuses années.
Au cours de ma lecture des romans lanmeuriens, j’ai pu explorer, plus ou moins longuement, de nombreuses planètes par les récits si évocateurs de l’auteur et découvrir chaque fois avec un certain émerveillement leurs particularités et l’humanité, à la fois autre et semblable, qui toujours s’y adapte. Cette nouvelle, aussi courte soit-elle, ne fait pas exception et elle a beaucoup à offrir.
C’est une histoire très émouvante, mais il est toutefois difficile d’en expliquer les raisons. Elle parle de naissance, dans toute la beauté et dureté que cela peut comporter, puis elle parle de choix, comme souvent dans ce cycle, et de ce qui fait de nous des humains.
J’ai beaucoup aimé la chute, mais déploré de ne pas avoir une suite à lire.


Je vous invite également à lire l’avis de Lune qui s’est bien mieux débrouillée que moi pour parler de ce magnifique texte.


Ajout du 19/10/2014 : Vous pouvez aussi lire l'avis de Lhisbei.


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La Source


Cette nouvelle a été publiée dans le n°65 de Bifrost qui est d’ailleurs consacré à Christian Léourier.
Lisez-le !


La Source a la saveur d’une légende. C’est une histoire fragmentée qui m’a laissé l’image persistante des éclats du miroir de la Reine des neiges répandus devant moi, comparaison parfaitement en accord avec ce paysage sur lequel l’hiver s’apprête à plonger.
Alors que le froid semble vivant, presque prédateur, et qu’il aiguise ses griffes, nous assistons à un moment d’attente et surtout de réminiscences, un entre-deux riche de possibilités.
Comme toujours en ce qui concerne les récits lanmeuriens, c’est extrêmement poétique et raconté avec une grande sensibilité. Le style de Léourier s’adapte au récit, au propos comme à la planète et l’humanité qu’il va évoquer. C’est à chaque fois une nouvelle facette d’une même écriture. Ici le récit prend l’apparence d’un chant à plusieurs voix. C’est ce qui donne à la fois cette image de fragmentation, mais également de parfaite harmonie polyphonique quand s’accordent, à mesure qu’ils se rassemblent, les différents points de vue et récits.
La Source, titre aux implications aussi diverses qu’évocatrices au cours de la lecture, nous murmure des interrogations sur la conscience des êtres et des choses, sur l’art, sur la générosité et le don véritable.
Il s’agit vraiment pour moi d’une chanson en prose et elle est magnifique.


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