samedi 29 novembre 2014

La Captive du temps perdu

Un roman de Vernor Vinge, publié au Livre de Poche.


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Attention, si vous n'aimez pas trop en savoir avant de commencer une lecture, ne lisez pas le résumé de l'éditeur !


Ils voyagent dans le temps mais à sens unique, vers l'avenir, dans des bulles de stase qui leur permettent de franchir les siècles ou les millions d'années.
Ils ne sont plus que trois cents. Toute l'humanité, qui se cherche un nouveau pays d'années. Et lorsque Marta Korolev meurt, assassinée d'une façon étrange et effrayante, naufragée de la temporalité, ils savent qu'un assassin se cache parmi eux.
Que Wil Brierson, l'unique policier de la communauté doit démasquer.
Avant qu'il n'extermine le reste de l'espèce humaine...


Vernor Vinge, l'un des meilleurs auteurs américains de science-fiction, vient d'obtenir le prix Hugo de l'an 2000 pour son roman A Deepness in the Sky. II l'avait déjà reçu en 1973 pour Un feu sur l'abîme, publié dans la même collection.



Dans La Captive du temps perdu, l’humanité est prise au piège de sa propre science, toute entière propulsée dans une fuite en avant. Elle survit tant bien que mal, avec les vestiges de sa technologie pour seul rempart, tentant de rassembler les derniers membres de l’espèce humaine et de les unir au-delà de leurs querelles pour se donner une meilleure chance de repartir dans la temporalité.
Vers le XXIe siècle, l’homme a maîtrisé la stase et évidemment fait un peu n’importe quoi avec. Certains s’en sont emparés pour fuir vers le futur, d’autres comme arme contre des personnes gênantes. C’est devenu pour eux la meilleure façon de faire un bond dans le temps, quel que soit leur motif de départ. La problématique est traitée de manière très intéressante et les théories de l’auteur m’ont captivée tout au long du roman.
Cependant, le problème majeur de ces voyageurs à sens unique n’est pas des moindres : l’humanité a mystérieusement disparu aux alentours du XXIIIe siècle et ils se sont trouvés piégés, certains sans ressources. Ceux qui l’ont pu sont retournés en stase en espérant du secours. Celui-ci est parfois venu sous la forme de Marta et Yelen Korolev, femmes aussi prévoyantes que dirigistes, qui essaient de sauver l’humanité en recueillant dans leur colonie tous les humains qu’elles peuvent trouver.
Ainsi se voient embarqués dans une même galère des humains venus des deux derniers siècles avant la mystérieuse extinction de leur espèce, devant faire face à leurs différences ou à leurs conflits passés, possédant une technologie avancée pour certains et qu’ils ne partagent pas forcément. Il est passionnant de voir confrontés ainsi et forcés de vivre ensemble des gens si différents et de découvrir cette histoire supposée des conflits mondiaux qui pourrait bien être la nôtre un jour.
On se pose beaucoup de questions au cours de cette lecture… Qu’est-il advenu de l’humanité ? Les survivants pourront-ils sauver leur espèce ? Et, surtout, qui menace la colonie dans l’ombre ?
J’ai adoré ce roman, à la fois mélange de polar et de science-fiction spéculative.
Bien sûr, il est un peu difficile d’accès au départ, quand tout se met en place et que l’on ne sait pas encore où l’auteur nous emmène. Cela fait beaucoup d’informations, assez hachées, et dont les enjeux restent obscurs un bon moment. C’est pour cela que j’ai insisté sur la situation de départ, même si en fait j’en ai très peu raconté. Je pense que si vous décidez de lire La Captive du temps perdu, mon petit résumé vous rendra bien service pour entrer dans l’histoire.
Si l’on fait preuve de patience avec ce récit qui se construit petit à petit, il devient très vite prenant car de nombreux mystères attendent d’être résolus. Pour les éclaircir, nous suivons Wil W. Brierson, ancien flic, expédié dans une bulle vers le futur par quelqu’un qu’il s’apprêtait à démasquer au cours d’une enquête. Vous levez les yeux au ciel, vous trouvez cela terriblement déjà-vu ? Rassurez-vous, c’est bien mieux que cela n’en a l’air. Brierson se trouve face à trois problèmes. Certes il y en a un qui occupe toute la colonie : savoir ce qui a provoqué l’extinction et si c’en est vraiment une, mais pour Brierson, le plus important est surtout de découvrir la personne qui l’a expédié vers le futur et qu’il sait se trouver parmi les rescapés. Cela en soi est source de tension et suffirait à l’occuper, cependant un meurtre, aussi habile qu’odieux, vient mettre en danger toute la colonie et c’est véritablement sur cette affaire-là qu’on lui demande de travailler. La situation dans laquelle s’est trouvé un personnage charismatique, le menant ainsi jusqu’à la mort, est le pivot du récit et, d’une certaine façon, touche aussi de très près Brierson.
J’ai beaucoup aimé le suivre dans ses enquêtes, surtout celle concernant le meurtre qui m’a véritablement entraînée dans l’histoire et fait tourner les pages plus vite. Cette affaire est particulièrement machiavélique et prend un peu le pas sur les autres, même si l’on continue de s’interroger sur le reste. Cela m’a plu de découvrir les théories des uns et des autres, mais surtout de me forger les miennes. L’auteur a très bien su rendre ce huis-clos temporel, étourdissant quand on réfléchit à toutes ses implications. Les personnages peuvent paraître traités de façon un peu superficielle car on entre rarement dans leurs pensées, néanmoins, je les ai trouvés fascinants et bien construits. Je me suis beaucoup attachée à certains : Wil, malgré sa dualité, Marta et sa force de caractère, Yelen qui tente de maintenir debout un château de cartes sans cesse près de l’effondrement et l’étrange Della, mais aussi les frères Dasgupta, que l’on voit pourtant si peu, et tant d’autres encore. Ce sont des personnages crédibles, très humains.
Imaginez ces quelques trois cents personnes, tout ce qui reste de l’humanité, captives des millions d’années après leur ère, ressentez leur solitude face à l’immensité de leur tâche alors qu’elles continuent, presque malgré elles, de fuir vers l’avant à la recherche d’une solution qui ne peut venir que d’elles-mêmes. D’une certaine façon, c’est très poétique et tragique tant cela nous montre à la fois la fragilité et la force de l’humanité.
J’ai échafaudé plein d’hypothèses au cours de ma lecture, sur toutes les questions que l’on peut se poser, mais surtout sur le meurtre car les indices, distillés au fur et à mesure, font indubitablement cogiter le lecteur. À la fin, il m’en restait deux, dont la bonne (l’autre étant le fruit de mon esprit paranoïaque, comme d’habitude). J’ai trouvé que les derniers chapitres s’essoufflaient un peu, mais ça reste un très, très bon roman et la conclusion, qui rappelle en quelque sorte les romans d’Agatha Christie, m’a beaucoup plu. Elle montre toute l’évolution des personnages suite à ces événements traumatisants. C’est une lecture que je recommande aux gens patients, qui aiment résoudre des énigmes en même temps que le personnage principal et apprécient une science-fiction qui pousse à la réflexion.


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Féelure

Une novella de Silène Edgar parue en numérique dans la collection Snark de Bragelonne.


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Présentation de l'éditeur :


Le jour, Gwen est une personne tout ce qu’il y a de plus ordinaire : elle a un emploi précaire à la bibliothèque de la ville, un mari aimant et deux beaux enfants.


Mais chaque nuit, elle est fée et travaille à la BAKF, la Brigade anti-kidnapping de fées. Et justement, de récentes disparitions leur donnent du fil à retordre... Avec son coéquipier et ami Arthur, elle va vite découvrir que cette nouvelle affaire pourrait être plus sensible que prévu.


Pourtant, si dangereuse que soit cette nouvelle enquête, ce n’est qu’une épine parmi d’autres dans le pied de Gwen. Car au prochain solstice, elle va devoir faire un choix : rester humaine avec son mari et ses enfants, ou abandonner son ancienne existence et devenir fée pour toujours aux côtés d'Arthur...



J’ai un faible pour les récits féeriques, Féelure a donc immanquablement ferré ma curiosité rien qu’avec son titre. Il s’agit d’une novella (dans les 75 pages de texte sur ma liseuse), parue uniquement en numérique pour l’instant. Elle se lit extrêmement vite et a le mérite de posséder une idée de départ plutôt originale.
Gwen a deux vies. En journée, elle est une femme tout ce qu’il y a de plus banale, elle mène une existence agréable, mais pas parfaite, auprès de son mari et de ses deux enfants. La nuit, dans ses rêves, elle devient fée et traque ceux qui s’en prennent au peuple féerique. Le problème de Gwen est que ces deux vies si différentes ne peuvent coexister qu’une année, ensuite elle devra faire un choix.
L’idée de fond est singulière et change un peu, cependant la façon dont elle est traitée reste assez basique. Malgré une intrigue secondaire simple, mais qui amène un peu d‘énergie, le tout s’essouffle malheureusement assez vite. Les jeux de mots filés à travers le récit deviennent vraiment lassants au bout d’un moment, même si l’on en trouve des fins aussi bien que de très lourds.
Les personnages sont relativement sympathiques, mais manquent de profondeur, de même l’intrigue se veut une distraction plus qu’une réflexion sur le sujet. C’est un choix, il n’est pas mauvais en soi, mais j’aurais préféré quelque chose de plus consistant.
La fin, beaucoup trop facile à mon goût, m’a un peu déçue, cependant cela reste une chouette lecture pour qui est amateur d’histoires de fées.


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vendredi 28 novembre 2014

L'héritière

Un roman de Jeanne-A Debats publié chez ActuSF.
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Présentation de l'éditeur :
Je m'appelle Agnès Cleyre et je suis orpheline. De ma mère sorcière, j’ai hérité du don de voir les fantômes. Plutôt une malédiction qui m’a obligée à vivre recluse, à l’abri de la violence des sentiments des morts. Mais depuis le jour où mon oncle notaire m’a prise sous son aile, ma vie a changé. Contrairement aux apparences, le quotidien de l’étude qu’il dirige n’est pas de tout repos : vampires, loups-garous, sirènes… À croire que tout l’AlterMonde a une succession à gérer ! Moi qui voulais de l’action, je ne suis pas déçue… Et le beau Navarre n'y est peut-être pas étranger.

Romancière, nouvelliste et anthologiste, Jeanne-A Debats a convoqué les figures les plus flamboyantes du fantastique pour une romance douce-amère dans la Ville Lumière. Plume reconnue de l'imaginaire français, sa novella La Vieille Anglaise et le continent a été lauréate du Grand Prix de l'imaginaire, des prix Julia Verlanger et Rosny aîné.
Enfin un peu d’originalité en urban fantasy ! Vous en avez marre des bombasses bipolaires qui pourchassent des gros méchants criminels surnaturels en ayant pourtant toujours peur de se casser un ongle ? Alors lisez L’Héritière !
Dans ce roman, pas d’héroïne flic ou détective. Notre narratrice est Agnès, jeune femme banale en apparence mais néanmoins fille de sorcière. Son père étant humain, Agnès n’a pas hérité des talents de sa mère, cependant elle possède tout de même un don bien encombrant. Elle est médium, mais ne contrôle pas son pouvoir. Toute émotion résiduelle peut créer un fantôme et elle les voit tous : les angoisses des gens, les morts qui s’attardent, etc. Sa vie est un cauchemar et elle se tient recluse, jusqu’à ce qu’un événement tragique la sorte de sa retraite.
Malgré son pouvoir, Agnès est un personnage un peu plus proche de la lectrice lambda que les femmes que l’on croise d’habitude en urban et cela la rend vite attachante. Ceci dit, tous les personnages de ce récit le sont, même les plus tordus ont leur charme. Ils sont originaux, mystérieux, ont une histoire personnelle intéressante et évoluent dans un monde tout aussi bien construit. L’idée de situer l’intrigue autour d’une étude notariale est vraiment bien trouvée. Plutôt que de toujours chasser les surnaturels rebelles, on s’intéresse pour une fois aux stratagèmes qu’ils ont imaginés pour vivre parmi les humains sans se faire repérer depuis des siècles. J’ai apprécié la façon dont Jeanne-A Debats envisage le fonctionnement des cénacles de vampires et des meutes de loups ainsi que la façon dont ceux-ci s’inscrivent dans notre histoire. Son univers est basé sur une bonne connaissance du folklore, mais avec sa touche personnelle qui, bien entendu, donne à réfléchir tout en étant ludique. J’ai hâte de lire d’autres histoires de la même trempe reprenant ces personnages.
L’Héritière peut se lire indépendamment, mais s’inscrit dans une toile que l’auteur va développer dans d’autres ouvrages et qu’elle nomme Testaments. On a déjà pu voir par-ci par-là certains personnages dans des nouvelles et l’un d’eux, Navarre, est aussi le narrateur d’un roman paru chez Ad Astra : Métaphysique du vampire. On peut lire L’Héritière sans connaître le personnage, mais Navarre fait partie de mes vampires préférés tous genres confondus et je ne peux que vous encourager à découvrir l’excellent roman qui lui est consacré.
L’Héritière est une pépite dans un genre dont les parutions se ressemblent malheureusement de plus en plus. Ce récit est drôle, agréable à lire et l’auteur y fracasse allègrement les clichés. Il y a quelques passages un peu longuets, parce qu’Agnès, toute sympathique et humaine qu’elle soit, se montre aussi parfois un peu gourde, ce qui se ressent doublement puisqu’elle est la narratrice de cette histoire. Toutefois, ce n’est qu’un inconvénient mineur et l’ensemble, très réussi, m’a offert une excellente lecture.

mardi 25 novembre 2014

L'étrange cabaret des fées désenchantées

Un très bel album de 146 pages, écrit et illustré par Hélène Larbaigt et publié chez Mnémos dans la collection Ourobores.
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Présentation de l'éditeur :

Préface de Claudine Glot, postface de Pierre Dubois

Grouillant et grinçant, tel un concert de voix dissonantes, il s’avance.
L’Étrange Cabaret, le cirque des curiosités, le spectacle de monstres chimériques, le music-hall des fées désenchantées.

Oserez-vous franchir ses lourdes tentures pourpres pour assister au plus dangereux et déli­cieux des spectacles ?
Voyagez avec les fées de la Belle Époque, dans les cités du Vieux et du Nouveau Monde, mais méfiez-vous, le Cabaret recèle des secrets qui vous envoûteront… Que s’est-il passé dans la loge 633 que l’on dit hantée, où une fée fut assassinée ? Que cherche réellement Morte Vanité, elle qui fait errer le Cabaret à travers le monde entier ?

Dans une ambiance steampunk, Art nouveau et burlesque, Hélène Larbaigt nous livre une œuvre étonnante entre Lewis Caroll et Tim Burton.
À la fois récits, portraits et contes, ce livre dévoile 12 fées sombres et mystérieuses au travers de plus de 80 magnifiques illustrations, affiches, menus et documents facsimilés.

Helène Larbaigt nous montre son immense talent dans ce très beau livre enchanteur. Une prouesse et la révélation d’une artiste complète qu’ont immédiatement salués dans leurs préface et postface, Claudine Glot et Pierre Dubois, les deux grands spécialistes des fées.

L’Étrange cabaret est un magnifique livre illustré, cartonné.

« Mortels, entendez-vous cet écho lointain ? C’est la maléficiante mélopée d’un mélancolique cabaret. »

Magnifiques, envoûtants, sombres, déliquescents, marqués du sceau de la fatalité à tous les égards, ainsi se présentent à vos yeux ébahis l’Étrange Cabaret et ses fées désenchantées ! Morte Vanité, la sublime, avec sa troupe de fées écorchées, ses insolites serviteurs et son Cabaret qui change de forme et de lieu à l’envi, vient pour enchanter les humains ou les perdre, allez savoir…
Dans notre monde désenchanté, où la magie se fait rare et se paie au prix fort, le Cabaret apparaît comme l’un des derniers vestiges, à la fois désuet et résistant, d’une autre époque, plus féerique, plus vivante. Il est le refuge des fées perdues, malmenées, désavouées autant que désabusées et les âmes humaines viennent s’y brûler comme de fragiles papillons attirés par la lumière.
Le goût du détail d’Hélène Larbaigt, dans le dessin comme dans le texte, est acéré et ravira le lecteur exigeant. Le vocabulaire est recherché, précis et précieux à la fois, tout en finesse, pour affermir l’aspect suranné des histoires qui nous sont ici contées et rehausser leur écrin de couleurs.
Élégant, raffiné, l’Étrange Cabaret a été poli avec soin par son auteur qui en a fait une vraie merveille, délicieuse à feuilleter, mais également à lire. Suçant la moelle des légendes qui sont elles-mêmes des mythes tronqués, le cabaret se nourrit de notre imaginaire et nous le restitue de manière forte et évocatrice, faisant ainsi revivre à sa façon de vieilles histoires, éveillant des échos dans nos mémoires de rêveurs engourdis.
Des affiches, programmes, menus jalonnent les pages et renforcent l’ambiance ainsi que la cohérence de cet univers, tout en lui ajoutant une esthétique élégante. L’auteur nous présente certaines des fées, les têtes d’affiche pourrait-on dire, nous raconte leur naissance, ce qui les a amenées au cabaret ou d’autres mésaventures qui leurs sont arrivées en cours de route. Toutefois, prenez garde, aucun détail n’est laissé au hasard, il y a des strates dans ces récits et il ne tient qu’à vous de les explorer.
J’ai particulièrement aimé le conte de Noël et la magie, si bien retranscrite, de la ville de Prague qui y est dépeinte. Cependant, toutes ces histoires, ces belles et tristes vies de fées, sont magnifiques et émouvantes. Toutes m’ont séduite et passionnée. Vous aussi, venez à la rencontre d’Ona Oknata et de sa destinée aussi remarquable que cruelle, de Bast la rugissante, de Morte Vanité et du fantôme aux mains rouges qui hante le blanc d’entre les lignes, compatissez aux peines de cœur de Rosie la veuve noire et aux amours maudites de Sa’di… Venez réchauffer votre imagination au brasier de leur féerie !
Je me suis attachée à toutes ces fées bigarrées, abîmées et néanmoins fortes, victimes autant que nous du désenchantement, mais qui se battent pour rester vivantes. En outre se trouve, caché entre les pages, un magnifique hommage à un auteur que j’adore et qui m’a exquisément ravie. Je ne saurais dire quel conte a ma préférence, car tous sont liés et tissent la mélopée, aussi mélancolique soit-elle, de ce fabuleux cabaret.
Petit à petit, entre ces portraits et ces histoires pleines de cachettes et de recoins l’on découvre en filigrane le cabaret lui-même, personnage à part entière, se mouvant comme le château de Hurle pour paraître dans le lieu qui sied à son humeur — ou serait-ce à celle de la mystérieuse fée aux bottines parfumées ? Fantasque, burlesque, peuplé de créatures singulières et fascinantes, il donne envie au lecteur de se perdre dans son univers inquiétant, de suivre la cohorte des Jack pour explorer ses corridors et rencontrer ses fatales pensionnaires.
Comme une enseigne qui brille à l’attention des amateurs qui se reconnaîtront immédiatement, l’ouvrage est préfacé par Claudine Glot, qui donne le ton, et postfacé par Pierre Dubois qui nous reconduit gentiment vers la porte, bien qu’avec une gouaille un peu grimaçante pour la forme.
Une fois la dernière page tournée, l’histoire bue jusqu’à la lie, je me suis sentie bien seule et nostalgique, loin des lumières de ce cabaret brinquebalant et de ses fées tant aimées. Alors dans la nuit je vais guetter l’écho lointain, la maléficiante mélopée d’un mélancolique cabaret et j’invite tous les rêveurs à faire de même.

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Je vous présente Morte Vanité. N'est-elle pas magnifique ?

dimanche 23 novembre 2014

Le boudoir aux souvenirs

Une nouvelle de Cécile Guillot, disponible sur The book edition.


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Le boudoir aux souvenirs -Cécile Guillot




Passez les portes du Boudoir...
Rencontrez sa singulière vendeuse et laissez-vous conter l'histoire de ces robes fabuleuses...



Le boudoir aux souvenirs est un petit livret dont la jolie couverture aux teintes roses et beiges, à l’image de la boutique dont il est question dans la nouvelle, fait délicieusement vintage et met tout de suite le lecteur dans l’ambiance.
La nouvelle est assez courte, une trentaine de pages, mais c’est un très beau texte. Elle est auto-éditée et vous trouverez peut-être le prix un peu élevé, mais cela vaut le coût aussi bien que le coup.
Il s’agit de fantastique, un genre que j’affectionne tout particulièrement. C’est un texte d’ambiance, dont le rendu est excellent, cependant l’histoire elle-même est consistante. La littérature se mêle à la mode et aux souvenirs d’un personnage qui semble froid de prime abord et qui se révèle attachant, voire fascinant, en pourtant peu de pages. Les robes présentes dans la boutique et les anecdotes qui leurs sont liées à travers les époques sont le fil rouge du récit. J’ai beaucoup apprécié cela, d’autant que l’auteur a eu la bonne idée d’ajouter en bonus des images de ces robes à la fin du livret, ce qui permet de les visualiser au mieux.
S’attacher à ce qui peut sembler de l’ordre du détail est une excellente façon de voyager à travers les souvenirs du personnage et surtout de suivre son évolution personnelle en même temps que celle de la mode ou de la pensée humaine. Je ne vous dirai pas quels sont les éléments fantastiques de cette nouvelle, mais le choix n’est pas étonnant quand on connaît les écrits de l’auteur et j’en ai été ravie.
Le boudoir aux souvenirs est avant tout le récit d’une émancipation, une très belle histoire douce-amère, très féminine et, pour moi, un petit coup de cœur.


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dimanche 16 novembre 2014

Premier sang, Ladainian Abernaker Ep6

Une nouvelle de Lydie Blaizot, publiée en numérique aux éditions du Petit Caveau.


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Résumé de l'éditeur :
Des loups-garous débarquent à Chicago avec un objectif précis : déclarer la guerre aux vampires de la ville. Abraham O'Leary est chargé de verser le Premier Sang et sa cible, malheureusement pour lui, n'est autre que Ladainian. Son échec cuisant l'amène à douter des véritables motivations de son Alpha et, aidé par le vieux vampire, il va tenter de découvrir la vérité. Abernaker, de son côté, compte bien mettre de l'ordre dans ce foutoir, à sa manière, avec une arrière-pensée égoïste : ramener un peu de paix dans sa ville.



Le vieux vampire est de retour ! Toujours aussi revêche et calculateur, il a une façon bien à lui de régler le sort des inconscients qui viennent l’enquiquiner. Depuis le temps, j’ai du mal à comprendre qu’ils n’aient pas appris à le laisser tranquille dans son bar à écouter du blues… Mais que voulez-vous, les créatures surnaturelles aiment chercher les ennuis ! Et puis il faut également reconnaître qu’un si vieux vampire, avec autant de pouvoir, ne peut qu’attirer les convoitises…
Si vous suivez ce blog, vous savez qu’Abernaker est l’un de mes vampires préférés, principalement parce qu’il est tel que je les imagine, loin des paillettes et de la séduction, et surtout qu’il a ce caractère bien particulier qui amène tant de peps à ses aventures. Cependant, je dois bien l’avouer, celle-ci est loin d’être ma préférée. L’histoire est distrayante, mais un peu plate et répétitive dans son déroulement.
L’idée de confronter le vieux grincheux à des loups-garous me plaisait beaucoup mais reste assez peu développée. Les personnages interagissent à peine les uns avec les autres, le récit est très visuel, sans grand suspense. Cette nouvelle vaut surtout pour ce qu’elle amorce dans sa conclusion et qui pourrait se révéler très intéressant dans les prochaines aventures d’Abernaker.
Ce feuilleton reste néanmoins l’un de mes préférés, j’aime la façon dont les nouvelles se font écho, tout en restant indépendantes les unes des autres. On apprend ainsi à connaître les personnages secondaires par touches et on ne sait jamais lesquels on va retrouver ni comment la situation va évoluer. La suite est annoncée pour le mois de mars 2015 et, comme d’habitude, je me jetterai dessus dès sa sortie.


Vous pouvez retrouver mes billets concernant les épisodes précédents en suivant ce lien.


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dimanche 2 novembre 2014

À Argol il n'y a pas de château

De Philippe Le Guillou, publié chez Pierre-Guillaume de Roux Éditions.

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Présentation de l'éditeur :
De l'amitié, nouée dès 1931, avec Quéffelec, le finistérien, compagnon de Normale Sup ; naîtront voyages et promenades, émaillées de conversations mais aussi de silences... C'est au gré de cette exploration inlassable, à l'embouchure soudaine des paysages marins de Bretagne, que Julien Gracq, l'homme de la Loire, bâtira son château intérieur, pierre angulaire d'une oeuvre vouée au mystère et à la re-création permanente. Le lumineux hommage, en forme de pèlerinage secret, de Philippe Le Guillou à l'auteur mythique du Château d'Argol et du Rivage des Syrtes.


À Argol il n’y a pas de château se révèle à la fois essai et carnet de notes, souvenirs en vrac, pensées éparses, tous tenus ensemble par le fil rouge de l’amitié et d’une admiration sans borne. Philippe Le Guillou nous parle de l’homme tel qu’il l’a connu : Louis Poirier le professeur discret, fuyant les honneurs et Julien Gracq de son nom de plume, le conteur tant aimé de ses lecteurs, cartographe de l’attente et inlassable écrivain d’une Onirie à la frontière de l’éveil, toujours prête à basculer.
Cet essai fragmenté, dont la forme aurait sans nul doute beaucoup plu à Gracq, est composé de courts chapitres, des feuillets arrachés aux souvenirs. L’homme et l’auteur sont dessinés par touches, la plume effleurant les contours d’une silhouette qui s’échappe. Comme j’ai aimé deviner Louis et Gracq dans ces pages !
L’auteur nous parle des amitiés de Gracq, du surréalisme, de la magie particulière qui se dégage de ses écrits, de sa façon de concevoir l’écriture, de la marche et de l’attente, d’Argol et de la forêt ardennaise… Tout cela au gré de ses remembrances.
Je suis pour ma part persuadée que Gracq est de ces auteurs qu’on vénère d’emblée, et qu’alors on aimera toujours, ou que l’on délaisse à jamais si l’on n’est pas aussitôt happé par ses récits.
Ce fut lors de ma première année à l’université que je lus pour la première fois les écrits de Julien Gracq. J’avais pris, pour diverses raisons triviales, la très mauvaise habitude de sécher le cours de littérature comparée malgré l’intérêt que j’avais pour les œuvres étudiées au premier semestre et que je connaissais déjà. Néanmoins, en fille sérieuse, j’acquis les deux lectures du second semestre : Au château d’Argol et Le rivage des Syrtes. Pour quelle obscure raison choisis-je de commencer par Au château d’Argol ? Je n’en sais rien, mais une fois les pages soigneusement coupées et la première d’entre elles nonchalamment tournée, je fus prise dans les rets de l’écriture de Gracq et je tombai immédiatement amoureuse de ce roman. Aurai-je eu le même coup de foudre si j’avais commencé par Le rivage des Syrtes ? Je suis persuadée que non, bien que ce roman soit tout aussi remarquable.
Le fait est que je n’ai plus, sans doute au grand étonnement de mon professeur, jamais séché un cours de littérature comparée durant les quelques années que j’ai passées à regarder le temps filer à l’université. Qu’ils aient parlé de Gracq ou non, ces cours sont de loin mon meilleur souvenir de cette époque, ils m’ont beaucoup appris, tout en étant ma récréation de la semaine.
J’ai beaucoup digressé, je le crains. Je ne suis pas coutumière des anecdotes personnelles, chaque ouvrage que je lis mérite que je m’oublie pour mieux parler de lui, mais c’était à l’aube de ma vingtaine et Gracq m’a vraiment aidée à me construire. Il y a quelque part dans ma cartographie intérieure un château, un cimetière, une forêt, une chapelle…
Tel est l‘incipit de mon histoire d’amour avec Au château d’Argol, roman qui n’a cessé depuis d’exercer sur moi une certaine fascination et est devenu une sorte de Mystère personnel. Il fallait que je vous raconte cela pour que vous compreniez mon attachement à son auteur.
C’est avec une grande nostalgie que je repense toujours à cette première rencontre avec Gracq et à ces pages découpées durant ce moment à part qui précède la lecture. Couper les pages pour libérer les mots. Prisonniers, ils n’aspirent qu’à s’échapper. C’est un rituel désuet que je regrette pourtant, quelle mélancolie s’est emparée de moi quand j’ai acquis, il y a peu de temps, un roman de Gracq dont les pages lisses, massicotées, étaient déjà prêtes à être tournées…
Je n’ai connu Gracq qu’en tant que lectrice admirative et pourtant je ressens la justesse des mots de Philippe Le Guillou quand il trace d’une plume tendre et nostalgique les contours de la silhouette de Julien Gracq. Il n’analyse pas l’homme, il l’esquisse, il ne raconte pas ses écrits, il les évoque.
Cet essai est un chant d’amour pour Gracq à l’usage de ceux qui l’ont lu ou non. Il pourrait vous montrer comment approcher l’ombre de l’homme cachée derrière ses œuvres. C’est une excellente lecture pour mieux connaître Gracq et effleurer ses écrits, pour ceux qui l’aiment déjà et ceux qui aspirent à trouver une porte dérobée vers sa littérature.
Cela m’a donné envie de lire Le dernier veilleur de Bretagne et j’ai dans ma bibliothèque, comme je le disais, un roman de Gracq aux pages soigneusement massicotées que je ne connais pas encore et que je compte déguster.
Je remercie chaleureusement l’auteur et l’éditeur pour ce pèlerinage en terre gracquienne.

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