mercredi 27 juin 2018

Le Peuple de la brume

Un roman de José Eduardo Agualusa publié chez La joie de lire dans la collection Encrage.


Présentation de l'éditeur :
Lorsque tous les continents ont été recouverts par les eaux, des hommes ingénieux ont sauvé leur peau en construisant d'immenses villes volantes. Deux millions de rescapés ont appris à vivre différemment dans ce monde des airs. Mais pour Carlos et Aimée, la terre n'est pas seulement une histoire ancienne... Une aventure haletante dans un monde futuriste !


Sous cette couverture assez froide et, à mon humble avis, peu engageante pour les adolescents qui constituent le public cible, se cache en fait un roman de rêveur. Un vent d’aventure, doux et rafraîchissant, souffle sur Le Peuple de la brume, si bien qu’on se laisse vite entraîner. Les chapitres sont courts, le style vivant et fantasque, en outre l’auteur prend le parti de ne pas laisser les situations problématiques s’étirer à l’infini, ce qui fait que l’on ne peut pas s’ennuyer ni avoir l’impression de piétiner.
Agualusa nous décrit un monde post-apocalyptique, sans pour autant en faire quelque chose de sombre. La majeure partie de la population, des végétaux et des animaux a péri, la terre est engloutie sous des eaux brûlantes qui génèrent une brume permanente et les quelques rares survivants ont dû s’enfuir vers les cieux à bord de dirigeables. Les grandes villes en ont construit d’immenses très luxueux, tandis que ce qu’on appelle les villages sont en fait des radeaux reliés les uns aux autres par des câbles et en proie aux éléments. Une nouvelle façon de vivre ainsi que de commercer s’est développée et des jeunes comme Carlos, le narrateur, sont nés dans le ciel. Ils ne connaissent de la terre de leurs ancêtres que les films, les livres et ce qu’en racontent leurs parents. Au début du roman, Carlos part à la recherche de son père, porté disparu lors d’une tempête. Cet événement est pour nous l’occasion d’explorer ce monde céleste, de croiser des pirates, une sorcière, et de poursuivre une légende.
Vous me direz peut-être que ces villes volantes et leurs peuples voyageurs sont très à la mode en ce moment… C’est vrai, mais ce n’est pas si dérangeant. Je pense que ce petit roman sans prétention parvient à tirer son épingle du jeu.
Agualusa est un conteur, on peut ressentir son amour des mots et des livres. Si le scénario souffre de quelques faiblesses et facilités — tout se résout toujours si vite et le hasard fait si bien les choses — on le pardonne volontiers tant le style est agréable, la pensée poétique et la promenade exotique.
Pour autant, une petite chose m’a désappointée. Le roman semble se suffire à lui-même et possède une vraie fin, cependant je m’interroge. Au cours de leur périple Aimée et Carlos découvrent une enfant seule sur un radeau. On ne sait qui elle est, ni qui sont ses parents et ce qu’elle fait là toute seule. Puis l’enfant est escamotée en cours de récit et on ne saura absolument rien de plus sur celle-ci. C’est assez agaçant, d’autant que quelques indices laissaient présager quelque chose d’intéressant.
Cette incompréhension mise à part, j’ai apprécié ma lecture. Plus dans les moments de flottement, durant lesquels Calos parle de son monde et de la vision qu’il en a, que pendant les scènes d’action, je dois bien l’avouer. Mais je le répète, Le Peuple de la brume est un roman de rêveur… c’est ce qui m’a parlé en lui et qui parlera aussi aux ados et adultes qui partagent avec moi cette envie de laisser courir leur imagination en toute liberté.



lundi 25 juin 2018

Le Prestige

Un roman de Christopher Priest, publié en poche dans la collection Folio SF.


Présentation de l'éditeur :
Alfred Borden et Rupert Angier, deux prestidigitateurs hors du commun, s'affrontent dans un duel sans merci. Trois générations plus tard, au cours d'une enquête sur une secte, le journaliste Andrew Wesley fait la connaissance de Kate Angier. Elle lui révèle qu'il s'appelle en fait Andrew Borden et qu'une guerre oppose leurs deux familles depuis la fin du XXe siècle. Quand Andrew découvre le rôle exact joué par le scientifique Tesla dans toute cette affaire, sa vie en est bouleversée à jamais...

Christopher Priest est l’un des quelques auteurs dont j’admire toujours, avec un certain émerveillement, la façon de gérer un scénario. La précision de son écriture et l’intelligence de son propos tiennent l’esprit du lecteur en éveil permanent sans que le récit perde en fluidité. Il entretient l’attente juste ce qu’il faut et ne se perd pas en explications superflues, il fait confiance à votre intelligence et cela devient de plus en plus rare à l’heure actuelle. Il fait partie de ces auteurs qu’on ne peut lire sans s’investir.
Il parvient à garder mon attention intacte du premier mot jusqu’au dernier. Pourtant je lis toujours très lentement ses écrits, je les savoure. J’ai gardé Le Prestige très longtemps dans ma pile à lire. Peut-être craignais-je d’en attendre un peu trop. Par bonheur, cette lecture a toutefois comblé mes espérances. Je me suis passionnée pour cette histoire.
Le roman est divisé en cinq parties. Deux sont constituées des journaux intimes de deux illusionnistes de la fin du XIXe siècle, deux autres sont les récits de leurs descendants, la dernière fait office de conclusion. La diversité des points de vue est particulièrement bienvenue dans ce récit complexe où la vérité possède de nombreuses facettes et des ramifications inattendues.
On entre avec une certaine circonspection dans cette histoire aux côtés d’Andrew Westley qui, ayant été adopté à un très jeune âge, ne connaît rien de son ascendance et n’a pas du tout envie d’en savoir davantage, si ce n’est concernant un point précis : il est persuadé d’avoir eu un frère jumeau, mais n’en a trouvé nulle trace. Kate Angier, quant à elle, porte seule tout le poids de son histoire familiale, mais aussi de celle d’Andrew. C’est par elle qu’il sera forcé de s’y plonger.
Si j’ai été intéressée par les impressions et événements décrits par les descendants des deux prestidigitateurs, ce sont surtout les journaux de leurs ancêtres qui m’ont fascinée. Je ne me suis pas tant passionnée pour la querelle et la rivalité qui ont animé toute leur existence, que pour leur quête de l’excellence. J’ai regardé avec effroi les conséquences de leurs actes empoisonner leur vie et celle de leur progéniture pour les générations à venir.
Borden, tout d’abord, m’a semblé un personnage tout aussi nerveux et arrogant qu’il est grandiose. Il est magicien jusque dans ses écrits. Il trompe, il déguise, il attire ailleurs votre regard, il éclaire les faits de manière à les faire paraître sous un autre jour. Il sait nous égarer et s’il sème des indices n’est-ce pas pour nous éloigner davantage de la vérité ? Pourtant, il fait — peut-être — preuve d’une certaine honnêteté. J’ai vu grandir, à mesure que je le lisais, à la fois mes soupçons et ma consternation. Comment peut-on à ce point façonner toute son existence autour d’une obsession ?
Ma rencontre avec Angier, le grand rival de Borden, a forcément été conditionnée par les écrits de ce dernier. J’avais bien entendu conscience que Borden avait sans nul doute présenté les choses à son avantage et fait preuve d’une mauvaise foi sans borne, mais il m’a fallu un certain temps pour ne plus être déconcertée par la personnalité que Rupert Angier nous présente. Il y a une certaine innocence chez ce personnage, une capacité à s’émerveiller et à persévérer, qui malgré son entêtement, son manque de discernement et ses défauts, ont forcé mon affection. Je me suis très vite plus souciée de son sort que de celui de tous les autres…
Néanmoins, aucun personnage ne prend vraiment le dessus, pour ne pas dire le beau rôle. L’auteur a exposé la vérité de chacun, avec les fards et les petits arrangements, conscients ou non, dont nous usons tous, mais aussi d’inattendues zones de lumière. Cela rend le récit très crédible, les personnages très humains.
Priest a très bien décrit le monde de la prestidigitation du XIXe, pour ce que j’en sais, et a émaillé son texte de réflexions très intéressantes sur le sujet qui sont aussi plaisantes à lire que l’histoire elle-même. Ce roman a eu l’effet bienvenu de dégourdir mon esprit autant que de le distraire, même si j’ai trouvé la fin un peu frustrante.
Maintenant je vais enfin pouvoir découvrir le film (ce que je me refusais à faire avant d’avoir lu le roman).



Ce roman compte pour la lettre P du Challenge ABC imaginaire 2018.