lundi 22 mars 2021

Unorthodox

Une autobiographie de Déborah Feldman, publiée chez Audiolib en version audio, lue par Charlotte Campana.


Présentation de l'éditeur :

Dès qu’elle a senti ce petit être au creux de ses bras, si fragile, Deborah Feldman a su ce qu’elle devait faire. A peine âgée de 19 ans, elle a toujours vécu au sein de la communauté hassidique Satmar. Elle a toujours suivi les principes implacables qui régissent les moindres détails de sa vie : ce qu’elle peut porter, à qui elle peut parler... Tous les principes sauf celui de ne pas lire de littérature. Les moments de lecture volés de son enfance, passés à découvrir les êtres de papier indépendants et fiers de Jane Austen et Louisa May Alcott, lui ont donné envie de découvrir une autre vie, au milieu des gratte-ciel de Manhattan.
Elle sait qu'il est temps d’échapper à son mariage dysfonctionnel avec un homme qu’elle connait à peine, d’abandonner ses responsabilités de bonne fille Satmar et de laisser cours à ses désirs. Indépendamment des obstacles, il est temps, pour elle et son fils, de trouver le chemin du bonheur et de la liberté.

Le récit autobiographique de Deborah Feldman, jeune femme juive qui a fui son milieu religieux et qui a inspiré la série Netflix Unorthodox.

Je suis tombée sur cet audiolivre en compulsant le catalogue d’Audible. Bien qu’ayant entendu parler de la série éponyme, je ne l’ai pas encore vue. J’hésitais à commencer le livre en premier, mais en écoutant l’extrait j’ai eu envie de continuer. Il faut dire que la lectrice fait un très bon travail. Son agréable voix porte à merveille les confidences de l’autrice, la candeur de son enfance aussi bien que ses incompréhensions d’adolescente et ses révoltes d’adulte. On s’attache vite à Devoireh et on souhaite le meilleur pour elle.
Unorthodox est un roman autobiographique. Deborah Feldman y retrace son enfance et son entrée dans l’âge adulte au cœur d’une communauté juive hassidique. Elle nous parle de sa famille et de sa communauté, de leurs traditions, de sa façon d’envisager la religion, de son amour de la lecture et de son besoin de liberté. Intelligente, elle passe son temps à s’interroger sur le monde. Elle explique comment ses aspirations ont fini par la couper de ses racines sans rejeter pour autant ces dernières.

« En vérité, toutes ces certitudes résident dans l’esprit, et le mien ne peut pas être entravé : si personne ne peut réduire mes rêves, alors aucune accumulation de contraintes ne pourra garantir une paisible soumission de ma part. »

J’ai grandi dans un environnement si différent de celui de Devoireh et pourtant je me suis sentie très proche d’elle. Nous avons à peu près le même âge et nous avons lu les mêmes livres dans notre enfance, je suppose que cela aide. Ses lectures l’ont construite et sauvée d’une certaine manière. Cela crée une résonance en moi. Je crois à la lecture comme vecteur d’émancipation, d’apprentissage et même comme pilier de soutènement de la santé mentale, pour peu qu’on soit curieux et doté d’un bon esprit critique comme c’était le cas pour Deborah.
Son récit m’a passionnée. Elle évoque ses interrogations incessantes, sa relation avec Dieu, sa façon de se cacher pour lire et de louvoyer pour se procurer des livres, ses réflexions de petite fille qui cherche à appréhender et s’approprier des concepts religieux qu’elle n’est pas censée remettre en question ainsi que des concepts sociaux qui lui sont étrangers. Elle avait envie de voir plus loin que le quartier où elle a grandi, d’apprendre pour mieux choisir son destin. Elle brosse le portrait d’une communauté sévère, engoncée dans ses traditions, dont certaines l’étouffent. Elle parle des mariages arrangés, alliances qui ne peuvent se nouer sans argent, du tout petit monde dans lequel sont cantonnées les filles, de l’inquiétude permanente de n’être pas assez pure, assez modeste, irréprochable...
Je suis passée par toutes sortes d’émotions au cours de mon écoute : tendresse, effroi, colère, inquiétude, solidarité. On a beaucoup reproché ses prises de position à Deborah, pourtant, malgré tout ce qu’elle a pu vivre, j’ai trouvé dans ce récit une certaine indulgence pour sa famille et la volonté d’être juste en ne les accablant pas inutilement.
Ils n’ont jamais voulu lui faire de mal, c’est sans doute ce qui est le plus terrible. Ils l’ont juste éduquée comme ils pensaient qu’elle, ou tout autre enfant, devait l’être. Je suppose que c’est le danger de se replier sur soi, on ne remet que difficilement en cause les traditions. Ils s’y sont accrochés pour se protéger, mais parfois elles les empoisonnent.
J’ai été particulièrement touchée par les passages dans lesquels l’autrice évoque les personnes de son entourage qui souffraient de troubles mentaux (qui découlaient parfois de la pression exercée par la communauté) et qu’on n’aidait ou ne soignait pas. C’est assez perturbant et tellement triste.
J’ai aussi été choquée par la totale absence d’éducation sexuelle et les conséquences terribles que cela peut engendrer. Ces filles ne savent rien de leurs corps. Elles n’ont aucune idée de ce qui leur arrive lors de leurs premières règles et si Deborah ne panique pas elle n’en croit pas moins qu’elle va mourir. Et elle, au moins, ose en parler à sa grand-mère... Combien de filles de sa communauté doivent être terrifiées par ce changement dont elles ignorent la nature ?
Ajoutons à cela que leur ignorance en fait des proies faciles dans ce petit univers clos pas si protégé que ça. Comment se défendre d’une agression sexuelle quand on ne sait pas ce que c’est, quand on n’a même pas les mots pour s’expliquer ou qu’on craint confusément d’être celle qui sera accusée de s’être mal conduite parce qu’on ne sait même pas ce qui est arrivé ? C’est une pensée horrible, une dépossession humiliante de soi-même. La confusion et la détresse de la jeune Devoireh dans certaines situations m’ont fait mal pour elle.

« Peut-être ont-ils raison à propos du monde extérieur, ai-je pensé sur le moment. Quelle existence cauchemardesque que de vivre dans l’ombre d’une telle violence. Quand j’ai grandi, j’ai compris que les dangers que le film montrait existaient aussi dans ma propre communauté. Simplement, on les enveloppait de secret et on les laissait pourrir sur place. Et j’en arriverai à conclure qu’une société honnête vis-à-vis de ses dangers est meilleure que celle qui dénie à ses citoyens la connaissance et la préparation nécessaires pour les repousser s’ils se présentent. »

Dans leur naïveté, ces filles sont à la merci de quiconque souhaitant leur faire croire, ou faire, n’importe quoi. Certes, toutes ces filles ne sont peut-être pas aussi naïves que l’était notre narratrice, mais qu’advient-il de celles qui le sont ? Elles n’ont aucun pouvoir sur leur destinée et sont délibérément tenues à l’écart de connaissances de base afin de les rendre dépendantes des hommes de leur entourage. Cela donne le vertige.
Deborah Feldman nous dépeint des filles isolées, notamment par la barrière linguistique (on fait en sorte qu’elles n’utilisent l’anglais qu’au minimum) mais aussi dans leur propre communauté où leurs interlocuteurs sont restreints. C’était d’autant plus vrai pour elle qui n’était pas élevée par ses parents mais par ses grands-parents, je suppose que la barrière générationnelle n’a fait que l’isoler davantage. Sa force de caractère et son audace n’en sont que plus admirables.
J’ai été fascinée par l’histoire de cette femme, à peine plus jeune que moi, si semblable et si différente. Son récit m’a bouleversée, enragée parfois, amenée jusqu’au bord des larmes, mais je suis heureuse d’avoir pu voir au-delà de la cloison qui existe entre nos deux mondes. Elle m’a offert de nombreuses sources de réflexion.

vendredi 19 mars 2021

La Machine T1

Un roman de Katia Lanero Zamora, publié chez ActuSF.

Présentation de l'éditeur :
Nés dans le confort de la famille noble des Cabayol, Vian et Andrès sont deux frères inséparables. Mais dans un pays où la révolution gronde et où les anciens royalistes fourbissent leurs armes pour renverser la toute jeune République, ils vont devoir choisir leur camp... Grande fresque familiale où les batailles politiques rejoignent les bouillonnements personnels, La Machine est une œuvre forte, absolue et puissante.

Après son roman très remarqué Les Ombres d’Esver, Katia Lanero Zamora nous y dessine des destins inoubliables.

La Machine nous conte un pays en pleine révolution sociale qui se trouve à un carrefour de son histoire,  mais aussi le destin de deux frères qui s’adorent tout en ayant choisi des voies diamétralement opposées. Andrès et Vian Cabayol ont grandi dans le confort malgré une origine roturière qui peine à se faire oublier dans un monde où les aristocrates et membres du clergé sont très jaloux de leurs privilèges. Le grand-père des garçons, s’étant illustré pendant la guerre, a reçu en récompense un domaine et un titre dont il a tiré parti au mieux, reniant en bloc ses origines paysannes. Il a tenu d’une main de fer aussi bien sa famille que ses affaires. Pour autant, les deux derniers héritiers de sa lignée ne sont pas ce qu’il espérait et s’il n’est plus là pour tenter de diriger leur vie, il n’en a pas moins une certaine influence sur leur destinée.
Andrès, l’aîné, semble avoir un profond complexe quant à ses origines. Il peine à trouver sa place dans la hiérarchie sociale. Il n’est ni d’un monde ni de l’autre, mais depuis toujours il a préféré tenter de s’intégrer parmi les paysans, même si ceux-ci le considèrent avec méfiance ou circonspection. Il se jette alors à corps perdu dans les idées machinistes, idéal politique qui s’apparente au communisme, à la fois pour s’intégrer et pour s’opposer à son père, mais aussi parce qu’il finit par croire à cet idéal.
Son frère Vian, quant à lui, est plus désireux de plaire à son père que de s’émanciper. Il a grandi dans l’ombre de son aîné et il cache avec plus ou moins de réussite une part importante de lui-même qui ferait scandale si ses pairs la découvraient. Dans cette société dévote et répressive, qui cherche à contrôler les gens, voire à les réifier, Vian a choisi d’être un soldat, ce qui fait de lui une marionnette dans des jeux de pouvoir. Si son but est de protéger sa famille, il ne s’en est pas moins mis dans une situation très délicate qui peut vriller à tout moment.
Si j’apprécie Andrès pour sa fougue et son caractère, j’ai néanmoins préféré les passages consacrés à Vian. Le fait qu’il soit tenaillé entre ses différentes allégeances et ses propres aspirations en fait un personnage complexe et attachant. Contrairement à son frère, il a conscience qu’aucun choix ne le mènera au bonheur et qu’il n’est qu’un pion sur l’échiquier des puissants. Je trouve cela terrible. Pourtant, ses choix le portent toujours vers ce qu’il croit être la meilleure manière de protéger ceux qu’il aime, peu importe si c’est à son détriment.
J’ai aussi beaucoup aimé Lea, la compagne d’Andrès, pour son courage et sa foi en ses convictions. Elle est très émouvante.
Le roman fait quelques bonds dans le passé pour nous montrer comment tous ces personnages se sont construits, ce qui justifie leurs choix dans le temps présent. J’ai aimé ces passages qui sonnent très vrai et apportent du relief à leur personnalité.
Lea, Andrès et Vian vivent sur des braises, la question n’est pas de savoir si l’incendie partira, mais quand. Entre les royalistes, qui veulent étouffer la toute jeune république, et les machinistes qui réclament la fin des privilèges, il ne peut naître qu’une guerre sanglante et fratricide. Cela, bien sûr, vous rappellera la guerre civile espagnole et ce roman s’en inspire largement. D’ailleurs, bien qu’il soit publié chez un éditeur de SFFF, la seule partie qui est imaginaire est la localisation de cette histoire. Je regarde toujours avec une certaine circonspection ces romans qui sont historiques sans l’être. Je cherche une justification à ce choix qui me paraît souvent être de la paresse intellectuelle servant uniquement à éviter la rigueur que demande l’écriture d’un roman historique. En l’occurrence, ce n’est pas le cas. L’autrice a donné une vraie cohérence à son récit et à ses choix. On croit à son monde et à ses personnages. Elle utilise bien la liberté qu’elle a pris de sortir du cadre historique pour nous offrir un de ces grands romans pour lesquels on se passionne d’un bout à l’autre. Elle a écrit cette histoire avec vivacité et élégance et quand on arrive à la fin, on se sent frustré de ne pas pouvoir lire la suite immédiatement.

mercredi 10 mars 2021

La Magie du foyer

 Un ouvrage de Rachel Patterson publié chez Danaé.

Présentation de l'éditeur :

Plongez au cœur de la cuisine (presque !) ordinaire d'une sorcière extraordinaire...

Préparez-vous une tasse de thé, installez-vous confortablement et entrez dans le monde merveilleux de la cuisine sorcière.

Eaux de lavage, bâtons de fumigation pour votre corps et votre maison, bouteilles sorcières, sacs médecine, poudres magiques et offrandes, ce livre vous donnera une vue d'ensemble sur ce qu'est une sorcière de cuisine, sur ce qu'elle fait et sur la manière dont elle s'y prend.

La pertinence de cet ouvrage réside dans la façon dont Rachel Patterson parvient à retranscrire l'essence même de la magie, en la mêlant savamment au quotidien. Traitant des saisons aux éléments en passant par les célébrations, le jardinage, la confection de lotions, le travail avec les bougies, la Lune et les cristaux, mais aussi les recettes de potions et d'encens, ce livre plaira à tous les païens car c'est une véritable mine d'informations.

Un ouvrage léger et amusant à lire !

La première chose que j’ai pensé en feuilletant ce livre est qu’il est joli. Un papier moucheté pour donner l’impression d’un cahier qui a passé l’épreuve du temps et les aléas d’un usage dans une cuisine, de belles photos en couleur, une mise en page soignée avec des frises et des petits dessins dans les marges rendent cet ouvrage agréable à feuilleter. Cependant, si l’emballage est charmant, le contenu est très léger et, comme son contenant, il fait dans l’esthétique plus que dans le substantiel.
Je ne doute pas que ce livre ait été écrit avec amour et sincérité, mais il n’a pas grand-chose d’autre à offrir que de bonnes intentions et de la déco. Sachez aussi que cet ouvrage s’inscrit dans la mouvance wiccane (tout le monde n’associant pas forcément sorcellerie et Wicca, donc si ce n’est pas votre truc, vous êtes prévenus).
Je devrais d’ailleurs commencer par dire que je n’ai rien contre la Wicca, le new age et la spiritualité en général. Je me considère moi-même comme une sorcière de cuisine, bien que plus pragmatique que spirituelle, plus magicienne que prêtresse. Je garde le chaudron et laisse le calice à qui le veut. Pour autant, mon esprit n’est pas fermé aux aspects spirituels de l’Art. S’il est clair que j’attendais autre chose de cet ouvrage (comme explorer la magie au quotidien de manière plus intuitive et moins ritualisée qu’elle est présentée en général), je pense pouvoir être objective. On peut avoir différentes opinions sur ce qui fait une sorcière, envisager cela comme une philosophie de vie ou alors comme un chemin spirituel menant vers le divin, sans que ce soit un problème.
Cela étant dit, revenons au livre qui est un condensé très superficiel de tout ce que vous pourrez lire sur le net de « trucs de base » pour jouer à la sorcière. Dit comme ça, ça semble méchant, mais je ne crois pas que ce soit de dessiner des spirales sur ses placards ou d’avoir un tablier spécial qui fait la sorcière, désolée. Si cela vous amuse et si cela vous permet de vous connecter à la sorcière en vous, tant mieux, mais c’est de la déco, pas de la spiritualité. Sans rire, qui a besoin qu’on lui dise qu’il a le droit de décorer sa cuisine comme il veut et qu’il doit la nettoyer (en chantant pour rendre la tâche moins rébarbative… Sérieusement, j’ai pensé aux sept nains en lisant ça...) ? On est quand même au ras des pâquerettes et on va y rester. 
L’autrice nous explique ainsi le symbolisme des couleurs, ce qui n’est pas inintéressant en soi quand on n’oublie pas que cela peut varier, parfois de façon radicale, selon les cultures et qu’il vaut mieux encourager les gens à utiliser leur propre symbolique. La magie est comme un langage fait d’images et de correspondances, autant parler une langue que vous maîtrisez, sinon vous risquez de baragouiner pas mal de conneries… Ce que vous faites doit avoir du sens pour vous. En cela, l’autrice vous encourage à utiliser votre intuition, mais ça ne veut pas dire qu’on peut faire n’importe quoi non plus.
Outre les couleurs et les outils de base, Rachel Patterson nous donne le symbolisme de certains légumes et épices, avec des mots-clés sur leur sphère d’influence, rien de plus, sans jamais préciser d’où elle sort ces informations et au final ça ne veut pas dire grand-chose. Le thé noir, par exemple, représente la force, la richesse et le courage. Vous êtes contents de le savoir, non ? Je ne dis pas que tout doit toujours être développé en profondeur et justifié, mais certaines associations laissent perplexe, surtout quand elles sont contradictoires.
Elle nous parle aussi des sabbats, de la lune, des éléments et de leurs correspondances, soit des informations que vous pouvez trouver sur n’importe quel site consacré à la Wicca. Vous découvrirez aussi dans ce livre une double page sur les runes, avec leurs noms et une fois de plus deux ou trois mots-clés, et pas même le dessin des runes elles-mêmes... Ce qui est quand même assez ridicule, vous en conviendrez.
Vous l’aurez compris, c’est le genre de livre qui effleure beaucoup de sujets, mais jamais de manière substantielle.
Il y a bien quelques idées à retenir, surtout quand on débute et qu’on n’a jamais entendu parler de sachets, nouets ou autres bouteilles sorcières, mais rien de transcendant. Ceci dit je dois admettre que les sorts présentés sont accessibles, même si leur symbolisme laisse souvent à désirer (je le répète le symbolisme est important). Rachel Patterson vous offre une méthode simple pour concevoir vos propres sortilèges, à vous d’aller chercher plus loin que de mettre des paillettes dans vos poudres…
Et ne prenez pas pour argent comptant tout ce qu’elle raconte… Il y a de bonnes idées, mais aussi d’autres beaucoup moins bonnes. NE DONNEZ PAS DU PAIN AUX OISEAUX !!! Vous leur feriez plus de mal que de bien. Si vous voulez les aider durant l’hiver, achetez des graines et confectionnez des boules de graisse. Et ne nettoyez pas vos pierres avec de l’eau et du sel comme elle le préconise ! Selon la nature de la pierre, vous pourriez l’abîmer irrémédiablement. De même, ne gaspillez pas vos huiles essentielles. Quand elle vous suggère de créer des sprays avec de l’eau distillée et de l’huile essentielle, outre le fait que ça ne se mélangera pas, vingt-et-une gouttes pour 15cl d’eau est un gâchis aberrant. Bref, je ne doute pas des bonnes intentions de Rachel Patterson, mais je doute de la profondeur de sa réflexion sur le sujet...
À la fin du livre, elle propose des méditations guidées (on appelle aussi cela des visualisations créatives). Bien entendu, elle ne perd pas de temps à vous expliquer à quoi elles servent ni comment en user au mieux… Ce qui est assez dommage, la visualisation est un bel outil de développement personnel.
L’ouvrage se termine là-dessus et je dois avouer mon étonnement à ne pas trouver de conclusion, mais bon, c’est raccord avec l’aspect brouillon du livre qui ne semble pas suivre d’organisation particulière...
Si vous vous intéressez de loin à la Wicca, que vous souhaitez découvrir des informations de base sans avoir à lire d’interminables articles et que vous voulez mettre un peu de spiritualité dans votre quotidien, alors sans doute ce livre répondra à vos attentes. Cependant, je ne vous le conseille pas. Il propose une magie simple, faite de petites choses du quotidien (ce qui est plaisant), mais vide de sens. De nombreux sites vous offriront des informations beaucoup plus complètes et fouillées, vous permettant ainsi de mieux comprendre ce que représente la magie pour les sorcières (non ce n’est pas une façon d’obtenir tout ce qu’on veut juste en vidant ses pots d’épices et en faisant brûler une bougie) afin de l’appliquer à votre vie.

mercredi 3 mars 2021

L'Odyssée du Marsouin

Un roman de Mark Haddon, publié chez Nil.


Présentation de l'éditeur :
Il était une fois, dans l’Angleterre du XXIe siècle, un homme qui, rendu fou de douleur par la mort de son épouse, tomba éperdument amoureux de leur fille.
Il était une fois une jeune fille qui rêvait du prince charmant qui viendrait l’arracher à l’emprise délétère de son père.
Il était une fois un jeune homme obligé de fuir pour échapper à la fureur meurtrière du père incestueux.
C’est alors que les époques se télescopent, que le présent bascule dans le passé, que l’Angleterre actuelle s’efface devant la Grèce antique et que la réalité rejoint le mythe.
En s’inspirant très librement de la pièce Périclès, prince de Tyr de Shakespeare, Mark Haddon nous offre un roman d’aventures ambitieux porté par des personnages inoubliables et déchirants.

Quand j’ai lu le résumé de l’éditeur, j’ai été intéressée par la mention de Périclès, Prince de Tyr, pièce de Shakespeare que j’ai lue durant mes années universitaires quand je préparais un exposé sur le roman médiéval Apollonius de Tyr. J’avais apprécié ce roman, davantage que la pièce, et je vous encourage vivement à le lire, ne serait-ce que pour découvrir un peu de littérature médiévale si vous n’en avez jamais eu l’occasion. Riche de motifs, largement héritière de l’antiquité mais néanmoins porteuse de sa propre originalité, cette œuvre gagne à être connue.
Enfin bref, revenons à L’Odyssée du Marsouin, cet étrange roman tissé de plusieurs brins de fils qui ne semblent pas voués à se rejoindre mais à coexister et qui, je dois l’avouer, m’a laissée perplexe.
Une première partie se déroule à notre époque. Elle nous conte l’histoire de Maja, actrice Suédoise, et de son accident d’avion, puis de sa fille Angelica, grandissant sous la coupe d’un père incestueux. Je ne vous dévoile rien que ne raconte le résumé de l’éditeur, bien qu’il présente cette histoire comme un conte, une sorte de Peau d’Âne moderne, alors qu’elle en est bien loin.
Rassurez-vous, si vous craignez les détails glauques que peut receler ce genre de récit, l’auteur n’insiste pas au sujet de l’inceste. Il est plus prolixe sur l’accident d’avion, qui est très pénible à lire dans ses détails et la froideur avec laquelle il décrit le sort des passagers, dont un enfant. Pour être honnête, la mort de Maja m’a laissée froide. La jeune femme est aussi profonde qu’un verre à liqueur, le pilote présente aussi peu d’intérêt. Le seul méritant ma compassion est Rudy, l’enfant qui se trouve à bord et qui est bien loin des bassesses et autres mesquineries des adultes. Sinon, ce passage était surtout horrible dans ses descriptions et cela augurait du reste du roman. On en oublierait presque le sort de la pauvre Angelica, toute entière à la merci de son horrible père qui n’a vraiment rien d’un être humain et qui, ça me semble clair, n’aurait pas été moins immoral si sa femme avait vécu.
L’écriture est froide et chirurgicale. L’auteur découpe des morceaux de narration et les étale devant le lecteur comme autant de pièces de chair morte. Je pense qu’il l’a fait sciemment, mais cela a freiné mon intérêt pour son récit. J’avais l’impression de lire un rapport et cela a rendu d’autant plus pénible ma progression.
La première partie s’efface vite, à la suite d’un événement traumatisant, et l’histoire d’Angelica n’apparaît plus qu’en pointillés. Elle nous entraîne dans une fantasmagorie antique et l’auteur nous offre alors une écriture plus élégante mais toujours désincarnée, descriptive, coupée des sentiments de ses protagonistes. Le fait que la grande majorité des personnages soient détestables, ou à tout le moins pas attachants du tout (même Angelica), n’aide pas. Ce sont des figures sans relief, pas des humains, pas même des archétypes.
Ce n’est pas une lecture agréable et la plupart du temps j’avais juste envie que ça se termine, même si certains passages, plus dans l’action, parviennent à réveiller l’intérêt. Je pense notamment à ceux réservés à Chloé ou aux pointillés d’Angelica.
Au début, je pensais que l’auteur, en transposant ces deux histoires, souhaitait nous démontrer quelque chose ou je ne sais, je croyais qu’il y avait une autre finalité que de simplement les mettre en regard. Mais non, ou alors je n’ai rien compris. J’y ai juste vu des fils tressés ensemble, les dernières pensées d’une fille en grande souffrance qui a supporté plus qu’elle ne pouvait, et un auteur qui s’écoute parler sans avoir rien à dire de substantiel.
Il y avait tant à faire et à montrer, pourtant, en puisant dans ce récit si riche de symboles. Il a juste emprunté ce petit côté empesé, très classique, pour des descriptions imagées vides de tout autre chose que du souci de l’esthétique. D’Angelica on passe à Périclès, dans le récit duquel elle se laisse absorber. Puis l’histoire de Périclès elle-même se scinde, on fait un détour par Londres, on laisse Chloé dériver, Angelica n’apparaît qu’en échos de plus en plus sourds… Les liens se distendent et chaque histoire existe par elle-même. De mon point de vue, Mark Haddon avait juste envie de raconter le blanc d’entre les lignes de ces illustres versions d’un périple qui a su traverser les époques. Il le fait bien, je dois le reconnaître, c’est cohérent, cependant il manque quelque chose d’essentiel. Il n’y a pas d’âme dans son roman.
Les personnages se laissent ballotter par la vie, même quand ils semblent tisser leur destin, ils sont en fait à la merci de celui-ci, ou peut-être de celle qui se cache derrière. Peu importe, on ne les aime pas. On les regarde juste s’agiter en vain et c’est un peu déprimant.
Souvent le récit prend la consistance d’un songe sans logique dont les symboles seraient muets car coupés de leur correspondant. Un symbole, à l’origine, est un signe de reconnaissance, une poterie brisée en deux dont les morceaux sont séparés pour mieux se retrouver plus tard et attester de l’identité de leur porteur ou des droits de celui-ci relatifs à un contrat passé. Ici c’est comme si le symbole correspondant n’existait pas, n’avait jamais existé, ne sert à donc à rien. Pourtant les mythes et histoires antiques sont composés de symboles. On en a souvent oublié le sens, néanmoins ils racontent une histoire dans l’histoire, l’autre morceau du symbole que l’on devine en reflet, c’est là tout leur intérêt. Périclès, aussi divertissante que soit la pièce, est symboliquement plus pauvre qu’Apollonius, qui peut-être était plus pauvre — ou pas, car nous n‘en savons rien — que des récits précédents. Compléter les blancs de l’histoire est une bonne idée, mais encore faut-il y apporter quelque chose de consistant et Mark Haddon avait la possibilité d’étoffer un personnage qui y aurait gagné. Il a choisi de ne pas le faire.
À la fin de L’Odyssée du Marsouin, l’auteur évoque dans une note la personne oubliée de cette histoire : la fille du roi, celle qui subit l’inceste et qui n’est au final qu’un personnage très secondaire dans toutes ces versions. Dans Périclès elle n’a même pas de nom et si elle en a un dans Apollonius, je dois avouer que je ne m’en souviens pas. Elle n’est qu’une ombre, éternelle oubliée, parfois même diabolisée car considérée coupable. Sachant cela, le constatant même dans ses notes, je me serais attendue à ce qu’il lui offre plus d’espace au lieu de l’effacer derrière des chimères. Je n’ai vraiment pas compris l’idée… Et j’ai du mal à lui pardonner ce énième manque de respect au personnage. Cela est, je crois, ma plus grande déception. J’aurais pu pardonner tout le reste s’il avait laissé à Angelica la possibilité d’être, tout simplement.
S’il y avait un sens caché à tout cela, il m’a échappé, et je me suis surtout beaucoup ennuyée au cours de cette lecture. Si je n’avais pas reçu ce roman via Masse Critique, je ne l’aurais sans doute pas terminé et je n’aurais rien perdu. Lisez plutôt Périclès si vous avez deux heures ou, mieux encore, Le Roman d’Apollonius de Tyr.

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