mardi 25 juin 2019

Crimson Peak


Si j’aime beaucoup la littérature gothique, je suis moins portée sur les films du genre. J’apprécie de pouvoir laisser ma propre imagination travailler, investir les lieux et les personnages. Ne nous mentons pas, si j’ai fini par visionner ce film, c’est parce que Tom Hiddleston joue dedans… Ne me jugez pas ! 
Enfant, Edith a vu le fantôme de sa mère, venu lui délivrer un avertissement, et cela l’a profondément marquée. Cela, en plus d’avoir été élevée par un père seul, qui l’a voulue indépendante et cultivée, contribue à la faire se sentir en décalage avec son époque. C’est peut-être aussi la source de ses ennuis… Quand elle rencontre Thomas Sharpe, en qui elle reconnaît un rêveur de la même espèce qu’elle, Edith tombe sous son charme... 
L’histoire est on ne peut plus classique pour une romance gothique. Une jeune femme fortunée s’amourache d’un aristocrate fauché au passé trouble et le suit à l’autre bout du monde pour découvrir un manoir isolé, froid et lugubre, où elle devra vivre avec son mari et sa glaciale belle-sœur… On voit venir le nœud de l’intrigue et Edith, jeune femme intelligente et sensible, qui de surcroît écrit des histoires de fantômes et est une grande lectrice, devrait probablement être un peu plus paranoïaque. Cependant, on se laisse glisser dans ce récit sombre, empli de non-dits et de spectres. 
Parlons-en de ces spectres justement. Guillermo del Toro a choisi de les déshumaniser au maximum, sombres caricatures de leur ancienne existence. C’est l’estampille « film d’horreur » j’imagine. Mais ce n’est pas vraiment un film d‘horreur, sinon je me serais évanouie en le regardant… Je suis une peureuse. Si vous aspirez à du gore, vous serez déçus et soyons francs, les fantômes manquent un peu de subtilité. En revanche, del Toro laisse une grande place à l’imagination du spectateur en ce qui concerne l’intrigue. C’est une bonne ou une mauvaise chose selon les goûts. 
Quoi qu’il en soit, les ambitions horrifiques du réalisateur, même si elles ne tiennent pas leurs promesses, gomment quelque peu la poésie qui doit être inhérente au gothique. Non, des décors décadents, aussi impressionnants soient-ils, ne suffisent pas. Je déplore surtout que l’accent soit mis sur la beauté des décors plus que sur les personnages. Il m’a manqué quelque chose de tout à fait indéfinissable pour adorer ce film. 
D’un point de vue esthétique, le résultat est superbe. Les décors sont délicieusement baroques et magnifiques, les costumes travaillés, c’est un plaisir à regarder, mais le scénario manque de consistance. Outre l’histoire trop prévisible, même pour du gothique qui se veut classique, la psychologie des personnages n’est pas suffisamment développée et c’est le gros point faible du film. On sent qu’ils ont été travaillés en amont, ce n’est pas le problème, mais ce qu’il reste de ce travail à l’écran est moindre. Sans imagination et sensibilité, on peut facilement passer à côté de ce film et ne pas comprendre les motivations des personnages. L’histoire n’est pas plate, mais elle le paraît. La seule empathie que l’on peut ressentir envers les personnages repose uniquement sur le jeu des acteurs. Mia Wasikowska et Tom Hiddleston ont fait un travail remarquable, parvenant à combler les manques et transmettre toute la psychologie et les émotions de leurs personnages à travers des gestes ou des silences. 
C’est moins le cas, de mon point de vue, pour Jessica Chastain qui a pourtant reçu une récompense pour son rôle. Même dans ses moments les plus chargés émotionnellement, je l’ai trouvée à côté de son personnage, je n’y ai pas cru. Mais il faut lui reconnaître qu’elle n’est pas aidée, Lucille ayant la personnalité la moins mise en évidence par le scénario. Je crois que j’aurais apprécié que sa fragilité soit davantage dévoilée. Et puis il y a une scène qui a été coupée et qui selon moi manque cruellement au film. Lucille est toute seule au manoir et on entend la voix de Thomas, lisant le manuscrit d’Edith. Le texte illustre parfaitement la situation de Lucille et aide à mieux la comprendre. 
Chastain nous a offert une belle performance, mais moins que les deux autres. 
Mia Wasikowska, à qui l’on reproche souvent de ne pas être assez expressive, transcende ce personnage auquel le scénario seul ne donne pas assez corps. Cette femme a un petit quelque chose de spécial, une sorte de décalage qui parfois ne fonctionne pas, parfois la rend magique. Dans Crimson Peak, ça marche, elle est éthérée, fragile et forte à la fois. Elle est même parvenue à me faire oublier les incohérences de son personnage (mais pas qu’elle court quand elle pouvait à peine bouger cinq minutes avant, faut pas déconner. L’adrénaline n’est pas la potion de Panoramix non plus…). 
Crimson Peak est visuellement un très beau film et il est plus profond qu’on pourrait le croire de prime abord. Il séduira les amateurs de gothique malgré les quelques défauts scénaristiques évoqués. Et puis il y a Tom Hiddleston, alors…

vendredi 14 juin 2019

Vox

Un roman de Christina Dalcher, publié chez Nil pour la version papier et Lizzie pour la version audio.
Présentation de l'éditeur :
Jean McClellan est docteure en neurosciences. Elle a passé sa vie dans un laboratoire de recherches, loin des mouvements protestataires qui ont enflammé son pays. Mais, désormais, même si elle le voulait, impossible de s'exprimer : comme toutes les femmes, elle est condamnée à un silence forcé, limitée à un quota de 100 mots par jour. En effet, le nouveau gouvernement en place, constitué d'un groupe fondamentaliste, a décidé d'abattre la figure de la femme moderne. Pourtant, quand le frère du Président fait une attaque, Jean est appelée à la rescousse. La récompense ? La possibilité de s'affranchir – et sa fille avec elle – de son quota de mots. Mais ce qu'elle va découvrir alors qu'elle recouvre la parole pourrait bien la laisser définitivement sans voix...
Christina Dalcher nous offre avec Vox un roman dystopique glaçant qui rend hommage au pouvoir des mots et du langage.
Jean est une scientifique. Elle travaillait dans la recherche médicale. Son domaine d'étude était l'aphasie. Elle espérait rendre le langage à ceux l'ayant perdu à la suite d'une attaque ou d'un traumatisme crânien. Mais aujourd'hui Jean n'a plus le droit de prononcer plus de cent mots par jour. Comme toute femme vivant aux USA, enfants incluses, elle porte un dispositif qui décompte ses paroles. Si elle ne respecte pas la règle, elle reçoit une décharge électrique plus violente à mesure qu’elle dépasse le quota. 
Cent mots par jour… Ce n’est rien du tout. Imaginez donc toutes les interactions langagières réduites au minimum. Ne plus raconter d’histoires à vos enfants, ne plus pouvoir parler avec votre mère, ne plus pouvoir exprimer douleur ou colère… Toujours peser avec soin chaque mot utilisé. 
Et vous pensez bien que cette société misogyne ne s’arrête pas là… Les femmes n’ont plus le droit de travailler, elles n’ont plus de droits du tout en fait. Elles sont réduites à leur rôle de mère et à la tenue du foyer. Et encore, elles n’ont pas même le droit de lire des livres de cuisine... Mais ça c’est juste pour les hétéros cisgenres… Vous imaginez bien que c’est pire pour les autres. 
Jean est la narratrice de ce roman. Elle nous explique comment tout a dérapé. Le mot d'ordre qui résonne derrière les paroles de Jean est : exercez vos droits tant que vous en avez. On a tôt fait de les grignoter petit bout par petit bout, sans que vous en ayez conscience, et vous vous retrouvez muselée du jour au lendemain, abasourdie. 
Le fait que l’histoire soit racontée du point de vue de quelqu’un qui la vit la rend encore plus glaçante. La détermination de Jean à protéger sa fille de cinq ans, son incompréhension face à ce qu’est devenu son fils aîné, la révolte qui bout en elle la rendent si proche, si réelle, qu’on ne peut que dévorer son récit. 
J’ai opté pour le livre audio, qui est de bonne qualité, et j’ai eu beaucoup de mal à le lâcher tant je me sentais impliquée dans ce récit. Celui-ci est d’autant plus terrible qu’on n’a pas beaucoup de mal à y croire. 
Cependant, malgré sa qualité narrative, ce roman n’est pas exempt de défauts et de quelques petites invraisemblances. Ces dernières passent plus souvent à l’as au début, quand on est pris dans l’histoire, que vers la fin quand on commence à se dire que l’autrice en fait trop. 
Certains personnages sont trop caricaturaux, je pense notamment à Steven et Lorenzo, mais cela touche davantage encore les méchants, en particulier Morgan, et là c’est plus ennuyeux. Le propos aurait gagné à les rendre plus nuancés, il n’en serait que plus glaçant et porteur. 
La comparaison permanente que fait Jean entre les deux hommes de sa vie a fini par m’ennuyer tant elle se répète. Je ne trouvais pas cela très utile à l’histoire. En outre, certains propos de Jean sonnent très sexistes à mon oreille. C’est censé ne pas compter parce que ça concerne les hommes ? Les a priori sur ce que doit être la masculinité, dans ce contexte qui cantonne les femmes dans leur foyer, n’en paraissent que plus outranciers. 
Entendons-nous bien. Je semble très critique, mais j’ai aimé ce livre. Il est intéressant dans sa construction, ses réflexions et leur développement, même si les rebondissements m’ont semblé plutôt prévisibles. Le fait que ce soit bien raconté change la donne et fait oublier les défauts que j’ai cités. 
Ma seule réelle déception est la fin hasardeuse. Elle se tient quand on n’y regarde pas de trop près, mais c’est quand même un peu facile. Je suis du style à me poser des questions, alors forcément… Les événements s’enchaînent, souvent fort à propos… Notamment en ce qui concerne la présence de gens qui n’ont pourtant rien à faire là. Et puis j’ai eu un peu de mal à croire aux réactions des personnages, surtout les enfants. 
Ce que je crois, c’est que l’autrice a peiné à conclure son récit. Elle ne savait pas comment retomber sur ses pattes de façon crédible. La différence entre les premiers chapitres, très inspirés, et les derniers qui semblent bricolés est flagrante. 
C’est vraiment dommage car l’idée de base est intéressante. Il manque un petit quelque chose à ce bon roman pour qu’il soit excellent, mais je ne doute pas qu’il marquera ses lecteurs.

lundi 10 juin 2019

Chroniques verticales - Saison 1

Un feuilleton de Laurent Copet, publié chez Realities Inc.


Chroniques Verticales est un feuilleton numérique. La première saison compte six épisodes et vous pouvez télécharger les deux premiers gratuitement pour vous faire une idée. 
C’est en quelque sorte un récit d’aventures, assez difficile à classer. Il pourrait être de la science fiction autant que de la fantasy à ce stade et cela importe peu. Ce qui compte, c’est qu’il s’agit d’un coup de cœur. 
Laurent Copet nous conte l’histoire d’un clan qui gravit une falaise qui semble sans fin. Dans ce monde vertical il n’y a que deux choix : grimper ou se laisser rattraper par le néant qui poursuit le clan sans relâche. Ces gens ont appris à vivre sur la falaise, à cueillir ses fruits et à chasser les dangereuses créatures qu’elle abrite. Tout ce qu’ils espèrent est atteindre un jour le sommet. 
Je ne pensais pas me passionner autant pour ce type de récit. Que pourrait-il y avoir à raconter sur un clan d’alpinistes perdu sur une immense falaise ? Eh bien plus que je n’aurais cru. Les regarder vivre et évoluer était fascinant. La part de moi qui a le vertige à deux mètres du sol est restée vaguement nauséeuse longtemps tant je visualisais leur ascension. Mais il fallait que je sache la suite ! 
Si l’on s’attache plus particulièrement à certains personnages, on apprend aussi à connaître le mode de fonctionnement du clan, ses lignées, ses coutumes et rites de passage, ses interdits et son quotidien. Tout tourne autour de la survie et des sacrifices qu’il faut lui consentir. Cette partie m’a beaucoup plu. J’aime les histoires bien construites. 
Je me suis aussi beaucoup attachée aux personnages, Chilam Balam, Ombre du Néant, Vol Parfait et Petit Chat, Salto Angel… J’ai tremblé pour eux et espéré leur survie dans ce monde sans concession. 
Vol Parfait est le personnage central. On le voit grandir, de la prise de son autonomie, quand il commence à grimper seul, à l’âge adulte. Son ascension rythme le récit. On veut le voir survivre, fonder sa propre cordée, vaincre les épreuves. 
Ces Chroniques Verticales sont, au-delà de l’aspect très distrayant de l’histoire, une belle métaphore de la vie elle-même, une réflexion sur la jeunesse et la vieillesse, sur le bien commun face aux désirs individuels, sur la mémoire et la construction des mythes. 
La saison 2 est prévue pour juin/juillet et j’ai hâte de la lire.

mercredi 5 juin 2019

Good Omens


Il était une fois une sorcière qui voyait loin, sa descendante à l’esprit très pragmatique, et une poignée d’inquisiteurs maladroits. 
Il était une fois un ange et un démon qui appréciaient leur vie parmi les humains et n’avaient pas très envie de voir arriver l’Apocalypse. 
Il était une fois un petit garçon d’apparence tout à fait normale et sa bande de copains. 
Ce sont ces histoires entremêlées que vous découvrirez dans Good Omens, série complètement barrée, drôle et un chouia irrévérencieuse. 

Pour tous les fans de Pratchett et Gaiman, cette fameuse adaptation du roman a longtemps été comme un mirage, disparaissant à chaque fois qu’on pensait s’en approcher. Beaucoup d’entre nous avaient fini par croire qu’elle n’arriverait jamais. Et pour cause, le roman a presque trente ans et cela fait des décennies qu’on parle d’une éventuelle série télévisée. 
Après une si longue attente, on craint forcément la déception. Pourtant, avec toute l’objectivité dont je peux faire preuve à ce sujet, la série est une réussite. Elle n’est pas parfaite, certes, mais j’ai redécouvert cette histoire, lue et relue, avec un grand plaisir. 
Presque tout y est, avec juste assez de fun et de petits aménagements pour offrir un peu de nouveauté même aux plus grands fans. Gaiman a occulté quelques personnages secondaires et raccourci des passages afin d’en développer d’autres qui étaient plus anecdotiques dans le roman. Il fallait s’y attendre avec seulement six heures de show. Et puis c’est aussi pour nous offrir un peu plus de Crowley et Aziraphale, alors on peut bien lui pardonner. Leur duo est probablement la plus grande réussite de la série. Je reconnais toutefois que la fin est un peu expédiée. J’ai plus apprécié la première moitié de la série. 
Je n’étais pas spécialement enchantée d’apprendre que Michael Sheen devait camper Aziraphale et en fin de compte il est à mes yeux celui qui incarne le mieux son personnage de tout le casting. Je ne pourrai plus jamais voir Aziraphale autrement que sous ses traits. Tennant, quant à lui, nous a interprété un Crowley très Bill Nighy, ce qui est plutôt cohérent pour moi. Tous les deux s’accordent à la perfection. J’ai adoré leurs scènes, mais tout le casting est excellent. 
Et je dois bien sûr une mention spéciale aux nonnes sataniques. Regardez les vidéos de promo, si ce n’est déjà fait. Elles sont géniales. 
Si vous n’avez pas lu le roman, il y a des choses qui vous passeront au-dessus de la tête, comme des répliques cultes ou l’omniprésence de Queen en fond sonore, mais ce n’est pas grave, vous aurez d’autres raisons d’apprécier cette série. Vous ne pourrez que vous attacher aux personnages (bon là je manque sans aucun doute d’objectivité...) 
Regarder ces six épisodes m’a donné envie de relire le livre et de réécouter le feuilleton radiophonique. Je suis incurable. Je ne me lasserai jamais de cette histoire.