samedi 21 avril 2018

Cyberland

Un ouvrage de Li-Cam, publié chez Mü éditions.

Présentation de l'éditeur : 
Ici le destin se décide œil pour œil, dent pour dent.
Tu ne te copieras point en dehors des Terres Parallèles.
Tu ne convoiteras pas le fichier d'autrui.
Tu ne formateras pas hormis pour sauver le système.

< Saïd in Cyberland
Asulon
Simulation Love />

Cyberland est composé de trois récits suivant un axe chronologique.
Tous tournent autour du Chronocryte, une intelligence artificielle créée par l’homme pour le sauver de lui-même. Cette IA lui est à ce point supérieure qu’elle apparaît presque divine. De fait, elle est soit crainte, soit vénérée.
Le Chronocryte a fait évoluer internet en infosphère, véritable monde parallèle à la réalité, aussi appelé Cyberland. Pour profiter de cet espace en quatre dimensions, certains humains se sont fait poser des implants cérébraux. On les appelle des Humods. Mais dans ce monde post-singularité, un parti extrémiste, le Diktrans, qui exploite la crainte des machines et de cette IA toute-puissante, prend le pouvoir.
Sous prétexte de recenser les Humods, on les oblige à se déclarer auprès des autorités. Ils sont alors déportés vers une prison créée pour eux : Asulon.
Les Humods clandestins sont traqués et des brouilleurs empêchent la connexion à l’infosphère. Le Diktrans entre en guerre contre le Chronocryte et fait exécuter son créateur.

Saïd in Cyberland est le plus long des trois récits. Il pose les bases de cet univers cyberpunk pour nous permettre d’y entrer avec quelques repères.
Le Diktrans a envoyé des militaires dans Cyberland qui ne sont jamais revenus. Pour tenter une nouvelle approche, il a choisi des adolescents : Louise, une Humod libérée d’Asulon pour l’occasion qui leur servira de guide ; Saïd et Lu-Pan, deux jeunes prodiges, l’un en mathématiques, l‘autre en informatique ; Alyson, toute entière dévouée au Diktrans et iNNoKeNTi un étrange clone de dix ans.
Lâchés dans Cyberland, ces jeunes gens doivent découvrir ce que sont devenus les militaires, ramener des informations et, s’ils y parviennent, trouver de quoi faire tomber le Chronocryte. Mais se laisseront-ils tenter par les merveilles de Cyberland ? Et puis, quelles sont les réelles intentions de l’IA ?
L’idée de départ est très intéressante, mais je dois reconnaître que j’ai peiné lors de cette lecture. Les personnages, même dans leurs failles et blessures, n’ont que très peu suscité ma sympathie. Particulièrement Saïd qui malgré la profondeur de son personnage et sa grandeur d’âme reste un merdeux qui ne sait parler qu’en jurant la plupart du temps, ce qui le rend pénible. Intelligent mais irréfléchi, sensible mais geignard… J'ai du mal avec ce genre de personnage. À la rigueur, j’ai préféré l’émissaire du Chronocryte, qui est le narrateur de cette histoire.
À partir du moment où les tâtonnements des adolescents dans le monde virtuel sont remplacés par un jeu, une simulation créée par l’IA pour les « éduquer » le récit commence à piétiner. C’est dommage car le propos est vraiment intéressant.
Ierofan.th, envoyé par le Chronocryte pour guider les adolescents, apparaît presque plus humain que certains humains. Il met les jeunes face à leurs blessures pour leur permettre, ou non, de s’accepter et de se réaliser. Le choix leur appartient toujours. Tout l’intérêt de ce texte réside dans la finesse de son analyse des rouages de l’âme humaine et dans son appel à la tolérance.

Asulon suit le même chemin dans ses bons comme ses mauvais côtés. Dans cette novella qui a connu une précédente publication chez les regrettées éditions Griffe d’encre, on voit les conséquences des événements de Saïd in Cyberland. On retrouve un personnage du précédent récit enfermé à Asulon où une graine révolutionnaire va ou non s’enraciner.
Le récit est dense, la réflexion profonde. La nature divine du Chronocryte y est longuement évoquée. Les implications philosophiques, éthiques et métaphysiques de cette histoire feront turbiner votre cerveau à toute allure. Mais il faut aussi les digérer.
Peut-être que je n’étais pas d’humeur pour apprécier à leur juste valeur ces deux textes. Je leur reconnais toutefois de nombreuses qualités, mais la fluidité n’en fait partie. Il faut le savoir avant de commencer, Cyberland est une lecture très exigeante, qui demande une totale disponibilité d’esprit et une profonde implication intellectuelle. On a besoin de ce genre d’ouvrages, mais pour moi il a un peu manqué d’âme.

L’ouvrage se clôt sur Simulation Love une nouvelle que j’ai déjà lue dans une autre publication de Griffe d’encre : Chasseurs de fantasmes.
Cette anthologie avait pour intention de donner à l’érotisme une place centrale, sans toutefois que la trame narrative des nouvelles soit un prétexte ou un décor pour justifier le sexe.
Je me souvenais de Simulation Love, cependant cette nouvelle ne m’avait pas marquée en comparaison des autres. Sans connaissance préalable de l’univers créé par Li-Cam, elle valait surtout par sa chute. Je la trouvais anecdotique à l’époque et elle ne m‘a pas semblé plus intéressante aujourd’hui dans un contexte plus étayé.
Si un jour vous tombez sur un exemplaire de Chasseurs de fantasmes, n’hésitez toutefois pas à l’acheter, c’est une excellente anthologie.

En conclusion, Cyberland est un ouvrage intéressant car il pousse à la réflexion, néanmoins ce n’est pas le genre de récit qui vous permet de simplement apprécier l’histoire si vous n’êtes pas prêts à donner plus.

27/04/18, Ajout :
Suite à la publication de cette chronique sur Vampires & Sorcières j’ai eu une petite discussion avec l’autrice concernant le Chronocryte. Cela m’a amenée à voir la nouvelle sous un autre jour. Je pense avoir été influencée par ma première lecture hors contexte de celle-ci, ce qui m’a empêchée de percevoir correctement ce qu’elle apporte à l’ensemble. Je vous laisse en juger. Quant à moi, je ne la trouve plus du tout anecdotique.



Ce livre compte pour la lettre L du Challenge ABC imaginaire 2018.


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mardi 3 avril 2018

Le Songe d'une nuit d'octobre

Un roman de Roger Zelazny, publié chez ActuSF.


Deux précisions concernant le résumé de quatrième de couverture :
- Vous ne devriez pas le lire.
- Il vous promet du steampunk mais à mon sens ce n'en est absolument pas.

Présentation de l'éditeur :
Quand le steampunk rencontre le mythe de Cthulhu.
 Octobre. Dans 31 jours, le portail s’ouvrira et les Grands Anciens déferleront sur le monde. 
 Dracula, Sherlock Holmes, Raspoutine, le docteur Frankenstein… Ils seront tous là. Mais feront-ils partie des ouvreurs avides de pouvoir, ou seront-ils des fermeurs qui s’opposeront aux horreurs indicibles ? 
 Les familiers de ces personnages seront eux aussi impliqués dans cette murder party ésotérique riche en rebondissements. Tout particulièrement Snuff, un chien dont le maître, Jack, aime se promener la nuit dans Londres avec son grand couteau... 
 Le Jeu va commencer. 
 Quel sera votre camp ? 
 Roger Zelazny est l’auteur de la saga des Neuf Princes d’Ambre. Avec Le Songe d’une nuit d’octobre, il rend hommage avec humour à l’univers de H.P. Lovecraft.

Entre Zelazny et moi, c’est surtout une histoire de marelle, de lames de tarot et de princes, quelques nouvelles arrachées au hasard et des titres de romans griffonnés depuis longtemps sur une liste de livres à lire… Mais cette réédition chez ActuSF était tellement tentante, même pour quelqu’un comme moi qui ne suis guère amatrice des écrits de Lovecraft… Imaginez… Le mois d’octobre, mystérieux entre tous, une bataille ésotérique et néanmoins épique en préparation, des personnages connus et réinterprétés, mais, surtout, un récit écrit du point de vue de leurs familiers ! Je ne pouvais pas résister.
Pour une fois, ce sont les personnages d’ordinaire cantonnés à la figuration (même pas aux rôles secondaires !) qui se trouvent au premier plan. Avec les animaux on a l'impression de voir l'envers du décor sans que cela devienne pour autant une histoire de seconde zone car ils participent activement à la préparation du rituel.
Le récit se découpe en jours et va crescendo jusqu’au 31 octobre, quand la lune sera pleine et le destin du monde scellé lors du combat opposant les ouvreurs et les fermeurs. Les événements nous sont contés par Snuff, chien de garde placide et consciencieux au service d’un dénommé Jack… Snuff est un très chouette personnage, malin, sympathique. On sent qu’il connaît tous les rouages du Jeu. Il semble assez patelin quand il coopère avec les autres familiers, mais pas non plus de nature à se laisser doubler. Il est déroutant de découvrir un personnage si facilement attachant associé à un maître que l’on s‘attend à trouver tout de suite antipathique… Cependant, même la façon dont ces personnages connus sont traités est originale. Jack, par exemple, a peut-être une autre inspiration que celle que vous attendez. Cependant, cela ne sera jamais dévoilé.
Zelazny a une façon particulière de se servir de l’humus généré par tout notre imaginaire commun et de faire pousser ses propres hybrides, créant son univers, sa mythologie. Le doute plane, toujours, quant à la vraie nature de ces figures qui nous semblent si familières. Vous pouvez choisir d’ignorer les références car de toute façon ce que Zelazny a pris, il en fait ce qu’il en veut, ou vous amuser à les décortiquer. Vous ressentirez cette dualité, vous vous trouvez en terrain connu, pourtant vous n’arriverez pas pour autant à vous repérer, comme si vous connaissiez l’espace, mais pas le temps (ou inversement).
J’ai passé un excellent moment avec cette lecture, délaissant mes tâches pour la continuer, rechignant à la lâcher pour aller dormir. Bien sûr, dénicher les références cachées et leurs implications possède un certain charme, cependant la force du récit réside dans l’envie du lecteur de percer les secrets du Jeu. On se laisse vite entraîner dans la partie, on s’implique. Avec Snuff on cherche des indices, on essaie d'identifier qui est ouvreur, qui est fermeur. Y a-t-il seulement des gentils et des méchants dans cette histoire ?!
La préface de Thimothée Rey est très intéressante. Oui je lis toujours les préfaces et je vous encourage à lire celle-ci, avant ou après le roman, à votre convenance, car elle explicite certaines références. Je ne les aurais pas toutes saisies sans cela. Mon ignorance n’aurait pas été grave, néanmoins ces éclaircissements ont enrichi ma perception et cela est toujours une bonne chose.
Le Songe d’une nuit d’octobre est un excellent roman que vous pourrez apprécier même en ayant des connaissances très restreintes concernant l’univers de Lovecraft (voire aucune) car malgré ce jeu de références permanent l’histoire se suffit à elle-même et demeure très divertissante.


Découvrez également les avis d'Acr0, Chani et Dionysos.



Ce roman compte pour la lettre Z du Challenge ABC imaginaire 2018.


dimanche 1 avril 2018

Il sera une fois...

Un recueil de nouvelles de Southeast Jones, publié chez Séma éditions.


Présentation de l'éditeur : 
"Il sera une fois" vous invite à rêver demain : de l'humain au surhumain, de notre insignifiante petite planète aux confins de l'univers et au-delà, Southeast Jones vous convie à découvrir ses visions d'avenir au travers de quinze contes étranges, drôles ou inquiétants. Ces histoires hors du commun vous fourniront nombre de réflexions sur les futurs possibles imaginés par l'auteur : quelle serait votre réaction si vous appreniez qu'il y a bien une vie après la mort ? Qui est ce Père Noël un peu bizarre que l'on voit le 24 décembre sur Carabistouille IV ? Quelles pourraient être les conséquences de la victoire des mutants contre le genre humain ? Quelles traces garde-t-on quand on a été avalé par un ogre ? Que faire si, pour sauver la Terre, il fallait détruire l'Humanité ? S'inspirant du "Golden Age of science-fiction", l'auteur vous ouvre grand les portes de ses univers.

Sommaire : 
  • Barbares !
  • Contrat
  • Émancipation 
  • Divergence d’opinion
  • Question de foi
  • Rétrocession
  • Jonas
  • Trip
  • Grand-Veille
  • Notre-Dame des opossums
  • Début de semaine
  • Le C.R.I.M. était presque parfait
  • Le temps du repos 
  • Noël Lointain
  • Les enfants de nos enfants

Il sera une fois… Ce titre évoque des contes du futur, une étendue de possibles. Il est surtout la marque d’une filiation, l’héritage d’un lecteur vorace qui a su se nourrir des grands classiques de la science-fiction pour nous proposer à son tour ses visions, ses problématiques, de futurs potentiels. Southeast Jones nous propose une SF plurielle, plus clinique que cynique, mais toujours intéressante. Ses textes courts se lisent d’une traite et, si j’en connaissais déjà certains pour les avoir lus dans les anthologies des Artistes fous, je les ai relus volontiers. Je pense notamment à Notre-Dame des opossums, Le Contrat et Jonas, récits qui m’ont beaucoup marquée à ma première lecture.
Si j’ai apprécié Barbares ! la nouvelle d’ouverture, j’en avais vu venir la chute, ce qui m’a un peu désappointée. Ce n’est pas très objectif, car c’est un bon texte, il souffre juste du fait que les grands lecteurs sont moins tolérants avec ce qu’ils ont déjà pu voir de trop nombreuses fois. Il s’agit toutefois d’un des textes les plus classiques du recueil et je vous encourage à passer outre cette possible impression de déjà-lu. Vous trouverez par la suite des récits moins convenus.
Chaque texte est accompagné d’une illustration, ce qui permet de se mettre tout de suite dans l’ambiance. Entre autres aventures, vous testerez une invention mystérieuse dans Le C.R.I.M. était presque parfait, vous assisterez à une guerre absurde dans le très caustique Divergence d’opinion, vous rencontrerez un pape et des extraterrestres dans Question de foi et vous serez peut-être même avalé par un ogre…
Au fil des nouvelles, des références littéraires se croisent, des problèmes se posent et des idées sont semées. J’ai plié ce recueil en deux jours, c’est dire s’il se lit vite (je suis d’ordinaire plus parcimonieuse avec les nouvelles). Pour autant, ce sont des histoires distrayantes mais qui donnent à réfléchir, elles éclosent lentement et demeurent vivantes bien après lecture.