D'Aldous Huxley.
Présentation de l'éditeur :
Défi, réquisitoire, utopie, ce livre mondialement célèbre, chef-d'œuvre de la littérature d'anticipation, a fait d'Aldous Huxley l'un des témoins les plus lucides de notre temps. Aujourd'hui, devait écrire l'auteur près de vingt ans après la parution de son livre, il semble pratiquement possible que cette horreur s'abatte sur nous dans le délai d'un siècle. Du moins, si nous nous abstenons d'ici là de nous faire sauter en miettes... Nous n'avons le choix qu'entre deux solutions : ou bien un certain nombre de totalitarismes nationaux, militarisés, ayant comme racine la terreur de la bombe atomique, et comme conséquence la destruction de la civilisation (ou, si la guerre est limitée, la perpétuation du militarisme) ; ou bien un seul totalitarisme supranational, suscité par le chaos social résultant du progrès technologique.
C'était le livre du club de lecture de Vampires et Sorcières pour le mois de février, si ma mémoire est bonne. Mais comme ma fiche a disparu suite à un bug et que je suis déjà bien en retard dans le défi de 2012, j'ai pensé la poster ici.
J’étais probablement trop jeune quand j’ai lu pour la première fois Le meilleur des mondes car, bien que me paraissant tout à fait plausible, cet avenir décrit pourtant de façon si pointue par Huxley était resté très abstrait dans mon esprit.
Aujourd’hui, ce Meilleur des mondes me semble terriblement concret et proche, dangereusement proche. Même si nous ne sommes qu’aux balbutiements d’un conditionnement systématique, nous semblons nous diriger vers cette forme de société. Enfin si, comme le disait l’auteur, nous ne nous faisons pas sauter avant d’y arriver…
Le fait est que ce meilleur des mondes peut sembler une utopie à qui pense que le bonheur est fait de tranquillité d’esprit, d’inconscience du temps et de soi, de stabilité rassurante, de plaisirs faciles et d’un bien-être aussi fade que régulier, mais qu’il est pour moi la pire des dystopies, la façon de s’éloigner à coup sûr de ce que devrait être le bonheur. Impossibilité de devenir réellement soi, relations superficielles avec les gens et le monde, des gens dont l’esprit lui-même est tenu en laisse, que pourrait-il y avoir de pire ? S’il est maintenu dans un état, sans possibilité de développer son esprit ou sa pensée au-delà de ce que sa société lui permet, que vaut encore l’être humain ? Il est irrémédiablement prisonnier et inutile.
Le meilleur des mondes est à l’image d’une ruche, le bonheur s’y résume en fait à peu de choses : savoir quelle est sa place dans le monde et aimer celle-ci. Ça me rappelle un texte que j’avais dû traduire en cours d’espagnol. Je ne me souviens plus du nom de l’auteur, mais il comparait la vie à une salle de théâtre. Le problème des gens, disait-il, c’est qu’ils préférèrent toujours s’installer à la place du voisin et sont alors contraints, tout le temps qu’ils y sont, à s’y sentir mal à leur aise, inquiets, oubliant au final de profiter du spectacle, occupés qu’ils sont à scruter chaque nouvel arrivant retardataire qui pourrait les chasser de la place si convoitée.
C’est le genre de chose qui n’arrive censément pas dans le meilleur des mondes car chacun a une place bien définie et ne devrait avoir besoin de rien d‘autre que cela pour se sentir bien… Mais des erreurs persistent néanmoins et on se rend compte au final que ceux qui ne se sentent pas à leur place sont une menace pour la société. Ce qui importe c’est qu’ils restent à leur place et pour ce faire, ils doivent l’aimer. Un bonheur sur mesure pour des gens sur mesure… Mais ce n’est pas parce qu’on vous persuade de quelque chose, que celle-ci est vraie dans l’absolu… Peu importe toutefois, car la vérité dans le meilleur des mondes est elle aussi toute relative.
Toute la subtilité de la réflexion tient en cela : le bonheur est-il un état ou une émotion ?
Dans le meilleur des mondes, les émotions fortes sont proscrites, pas d’angoisses et pas de véritables passions, le bonheur y est un état. Pour moi, le bonheur est une émotion, il est fugace, toujours en mouvement, il nait de la créativité, de la recherche et de la foi, il naît de l’amour et de la connaissance de soi autant que des autres. Et, bien au-delà de ça, il n’y a qu’à la connaissance du malheur qu’on peut mesurer ce qu’est le bonheur. C’est pour cela qu’il sera toujours absent de cette société. Les traitements, succédanés de passion violente et autres aberrations du genre, ou même les drogues n’y changeront rien, même si tout cela aide à maintenir l’illusion.
C’est une question de point de vue, l’essence même du bonheur est différente pour chacun, mais je ne m’imagine pas un monde sans art, sans quête de connaissance, sans questionnement spirituel sérieux. Un monde parfaitement stérile qui étouffe toute créativité, c’est effrayant. Ça fait probablement partie de mon propre conditionnement, je l’admets, mais leur société me répugne autant que ma vision du bonheur répugnerait à la plupart des personnages de ce roman. Cela dit, je comprends bien cette vision des choses et pourquoi elle convient à la plupart des personnages. Née dans ce meilleur des mondes, je penserais sans nul doute autrement. Enfin, si on peut appeler cela penser… Et, puisque je suis en état de choisir, je mesure la chance qui m’est offerte de pouvoir penser et surtout créer, avec toutes les douleurs et les affres qui accompagnent le processus…
Mais revenons au roman lui-même que personnellement je diviserai en trois parties distinctes.
La première nous présente ce monde, cette pseudo-utopie où chacun est censé être heureux. Il prône une uniformisation systématique, la fabrication de l’humain comme un produit, avec un rôle bien défini et une utilité maximale, de la naissance à la mort. Sans pour autant le cacher à ses citoyens car il n’est, du reste, pas nécessaire de le faire étant donné qu’ils sont conditionnés à ne pas s’en émouvoir. Ne connaissant rien d’autre, ils ne risqueraient pas de faire un autre choix. Et ils sont sans aucun doute conditionné à craindre la perte de leur petit confort… Ne pas se poser de question est salvateur pour eux et, au pire, à la moindre petite contrariété, il y a le soma…
C’est un monde où l’on n’est jamais pleinement soi, où la conscience est maintenue à un degré minimal et la vie dans une confondante superficialité. L’humanité est déshumanisée au possible, privée, selon moi, de tout ce qui pourrait faire son intérêt… Mais force est de constater que ça marche et c’est sans doute ce qui est le plus désolant. Oui, un tel monde fonctionnerait parfaitement, même si je pense que ses dirigeants iraient bien plus loin que ne l’a écrit Huxley. Je crois que ce dernier voulait surtout choquer, ce qu’il est d’ailleurs parvenu à faire, en insistant sur certains points de sa théorie plutôt que d’autres.
Bien sûr, même dans ce meilleur des mondes, arrivent des erreurs, ce qui est logique quand on transforme l’humain en produit, mais qu’on tient à ne pas dépasser une certaine limite en bridant la science et en favorisant le travail humain plutôt que celui des machines. Cela dit, l’auteur aurait sans doute vu les choses autrement près d’un siècle plus tard, avec les avancées scientifiques faites depuis l’écriture de ce roman. Peut-être aurait-il privilégié la robotique à la création d’epsilon… Mais bon, c’est une autre histoire…
La seconde partie, quant à elle, m’a toujours semblée par trop artificielle. Elle a certes un rôle dans le processus de prise de conscience du lecteur, mais sert surtout les prétentions d’Huxley qui, quand même, aimait bien s’écouter parler… Il avait envie de dépeindre la folie et les sentiments exacerbés, comme savait si bien le faire Shakespeare. Mais n’est pas Shakespeare qui veut et, franchement, ça se sent…
Cette partie nous montre qu’il n’y a pas d’échappatoire, c’est l’aliénation ou la folie qui attendent l’humanité. C’est probablement vrai d’ailleurs, mais c’est un peu pénible à force… Ça manque de subtilité et d’empathie, sans doute en partie à cause de l’écriture un peu sèche d’Huxley.
La dernière partie a surtout une fonction explicative. Huxley s’est servi du personnage de l’Administrateur pour expliciter ses vues, peut-être même un peu trop à mon goût car tout lecteur ayant un minium d’intérêt pour cette histoire aura compris, une fois la première partie lue, ce qu’est l’essence-même de ce Meilleur des mondes et à quoi il faut bien évidemment renoncer pour obtenir en échange l’ataraxie si recherchée… Et il aura apprécié de le comprendre tout seul, comme un grand…
Quoi qu’il en soit, malgré ces quelques petits reproches, Le meilleur des mondes est une lecture intelligente, qui donne à réfléchir, tout en étant au final assez agréable à lire. C’est très logique et lucide, vraiment bien construit. De mon point de vue, et à mon grand effroi, Huxley était véritablement un visionnaire. Près d’un siècle plus tard, sa théorie est toujours d’actualité.
Ce roman est scientifiquement plausible, philosophiquement discutable et éthiquement inconcevable, mais il est néanmoins une probabilité qu’on ne peut écarter. C’est ce qui fait justement sa force et son intérêt.
Aujourd’hui, ce Meilleur des mondes me semble terriblement concret et proche, dangereusement proche. Même si nous ne sommes qu’aux balbutiements d’un conditionnement systématique, nous semblons nous diriger vers cette forme de société. Enfin si, comme le disait l’auteur, nous ne nous faisons pas sauter avant d’y arriver…
Le fait est que ce meilleur des mondes peut sembler une utopie à qui pense que le bonheur est fait de tranquillité d’esprit, d’inconscience du temps et de soi, de stabilité rassurante, de plaisirs faciles et d’un bien-être aussi fade que régulier, mais qu’il est pour moi la pire des dystopies, la façon de s’éloigner à coup sûr de ce que devrait être le bonheur. Impossibilité de devenir réellement soi, relations superficielles avec les gens et le monde, des gens dont l’esprit lui-même est tenu en laisse, que pourrait-il y avoir de pire ? S’il est maintenu dans un état, sans possibilité de développer son esprit ou sa pensée au-delà de ce que sa société lui permet, que vaut encore l’être humain ? Il est irrémédiablement prisonnier et inutile.
Le meilleur des mondes est à l’image d’une ruche, le bonheur s’y résume en fait à peu de choses : savoir quelle est sa place dans le monde et aimer celle-ci. Ça me rappelle un texte que j’avais dû traduire en cours d’espagnol. Je ne me souviens plus du nom de l’auteur, mais il comparait la vie à une salle de théâtre. Le problème des gens, disait-il, c’est qu’ils préférèrent toujours s’installer à la place du voisin et sont alors contraints, tout le temps qu’ils y sont, à s’y sentir mal à leur aise, inquiets, oubliant au final de profiter du spectacle, occupés qu’ils sont à scruter chaque nouvel arrivant retardataire qui pourrait les chasser de la place si convoitée.
C’est le genre de chose qui n’arrive censément pas dans le meilleur des mondes car chacun a une place bien définie et ne devrait avoir besoin de rien d‘autre que cela pour se sentir bien… Mais des erreurs persistent néanmoins et on se rend compte au final que ceux qui ne se sentent pas à leur place sont une menace pour la société. Ce qui importe c’est qu’ils restent à leur place et pour ce faire, ils doivent l’aimer. Un bonheur sur mesure pour des gens sur mesure… Mais ce n’est pas parce qu’on vous persuade de quelque chose, que celle-ci est vraie dans l’absolu… Peu importe toutefois, car la vérité dans le meilleur des mondes est elle aussi toute relative.
Toute la subtilité de la réflexion tient en cela : le bonheur est-il un état ou une émotion ?
Dans le meilleur des mondes, les émotions fortes sont proscrites, pas d’angoisses et pas de véritables passions, le bonheur y est un état. Pour moi, le bonheur est une émotion, il est fugace, toujours en mouvement, il nait de la créativité, de la recherche et de la foi, il naît de l’amour et de la connaissance de soi autant que des autres. Et, bien au-delà de ça, il n’y a qu’à la connaissance du malheur qu’on peut mesurer ce qu’est le bonheur. C’est pour cela qu’il sera toujours absent de cette société. Les traitements, succédanés de passion violente et autres aberrations du genre, ou même les drogues n’y changeront rien, même si tout cela aide à maintenir l’illusion.
C’est une question de point de vue, l’essence même du bonheur est différente pour chacun, mais je ne m’imagine pas un monde sans art, sans quête de connaissance, sans questionnement spirituel sérieux. Un monde parfaitement stérile qui étouffe toute créativité, c’est effrayant. Ça fait probablement partie de mon propre conditionnement, je l’admets, mais leur société me répugne autant que ma vision du bonheur répugnerait à la plupart des personnages de ce roman. Cela dit, je comprends bien cette vision des choses et pourquoi elle convient à la plupart des personnages. Née dans ce meilleur des mondes, je penserais sans nul doute autrement. Enfin, si on peut appeler cela penser… Et, puisque je suis en état de choisir, je mesure la chance qui m’est offerte de pouvoir penser et surtout créer, avec toutes les douleurs et les affres qui accompagnent le processus…
Mais revenons au roman lui-même que personnellement je diviserai en trois parties distinctes.
La première nous présente ce monde, cette pseudo-utopie où chacun est censé être heureux. Il prône une uniformisation systématique, la fabrication de l’humain comme un produit, avec un rôle bien défini et une utilité maximale, de la naissance à la mort. Sans pour autant le cacher à ses citoyens car il n’est, du reste, pas nécessaire de le faire étant donné qu’ils sont conditionnés à ne pas s’en émouvoir. Ne connaissant rien d’autre, ils ne risqueraient pas de faire un autre choix. Et ils sont sans aucun doute conditionné à craindre la perte de leur petit confort… Ne pas se poser de question est salvateur pour eux et, au pire, à la moindre petite contrariété, il y a le soma…
C’est un monde où l’on n’est jamais pleinement soi, où la conscience est maintenue à un degré minimal et la vie dans une confondante superficialité. L’humanité est déshumanisée au possible, privée, selon moi, de tout ce qui pourrait faire son intérêt… Mais force est de constater que ça marche et c’est sans doute ce qui est le plus désolant. Oui, un tel monde fonctionnerait parfaitement, même si je pense que ses dirigeants iraient bien plus loin que ne l’a écrit Huxley. Je crois que ce dernier voulait surtout choquer, ce qu’il est d’ailleurs parvenu à faire, en insistant sur certains points de sa théorie plutôt que d’autres.
Bien sûr, même dans ce meilleur des mondes, arrivent des erreurs, ce qui est logique quand on transforme l’humain en produit, mais qu’on tient à ne pas dépasser une certaine limite en bridant la science et en favorisant le travail humain plutôt que celui des machines. Cela dit, l’auteur aurait sans doute vu les choses autrement près d’un siècle plus tard, avec les avancées scientifiques faites depuis l’écriture de ce roman. Peut-être aurait-il privilégié la robotique à la création d’epsilon… Mais bon, c’est une autre histoire…
La seconde partie, quant à elle, m’a toujours semblée par trop artificielle. Elle a certes un rôle dans le processus de prise de conscience du lecteur, mais sert surtout les prétentions d’Huxley qui, quand même, aimait bien s’écouter parler… Il avait envie de dépeindre la folie et les sentiments exacerbés, comme savait si bien le faire Shakespeare. Mais n’est pas Shakespeare qui veut et, franchement, ça se sent…
Cette partie nous montre qu’il n’y a pas d’échappatoire, c’est l’aliénation ou la folie qui attendent l’humanité. C’est probablement vrai d’ailleurs, mais c’est un peu pénible à force… Ça manque de subtilité et d’empathie, sans doute en partie à cause de l’écriture un peu sèche d’Huxley.
La dernière partie a surtout une fonction explicative. Huxley s’est servi du personnage de l’Administrateur pour expliciter ses vues, peut-être même un peu trop à mon goût car tout lecteur ayant un minium d’intérêt pour cette histoire aura compris, une fois la première partie lue, ce qu’est l’essence-même de ce Meilleur des mondes et à quoi il faut bien évidemment renoncer pour obtenir en échange l’ataraxie si recherchée… Et il aura apprécié de le comprendre tout seul, comme un grand…
Quoi qu’il en soit, malgré ces quelques petits reproches, Le meilleur des mondes est une lecture intelligente, qui donne à réfléchir, tout en étant au final assez agréable à lire. C’est très logique et lucide, vraiment bien construit. De mon point de vue, et à mon grand effroi, Huxley était véritablement un visionnaire. Près d’un siècle plus tard, sa théorie est toujours d’actualité.
Ce roman est scientifiquement plausible, philosophiquement discutable et éthiquement inconcevable, mais il est néanmoins une probabilité qu’on ne peut écarter. C’est ce qui fait justement sa force et son intérêt.
Aldous Huxley a donc l'honneur d'être mon premier auteur mort pour le défi 2012.
Magnifique chronique ;)
RépondreSupprimerMerci. :)
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