lundi 11 avril 2022

La Digue, Blackwater ou l'épique saga de la famille Caskey T2

Un roman de Michael McDowell, publié chez Monsieur Toussaint Louverture.

Mon avis sur le T1.


La vie suit son cours à Perdido, Alabama, et c’est avec délectation que je me suis replongée dans les eaux sombres et boueuses des deux rivières qui la ceignent.
La ville, à peine remise des dégâts laissés par la crue, envisage l’avenir avec inquiétude et le projet de digue commence à prendre forme. Cela pourrait changer le destin de Perdido de bien plus de façons que ne l’ont imaginé le conseil municipal et les riches familles de la ville qui supportent le projet.
De leur côté, les Caskey ont trouvé un équilibre fragile. Elinor a consenti un sacrifice à la matriarche pour que son mari et elle retrouvent leur liberté, mais est-ce suffisant ? Mary-Love n’est pas femme à se contenter d’un accord à l’amiable qu’elle n’a pas fomenté et accordé elle-même avec force magnanimité. Contre Elinor, elle veut une victoire écrasante que nul ne saurait contester. Aux yeux de tous, sa belle-fille s’en sort avec trop de superbe. 
Tout ce que Mary-Love sait faire de toute façon est écraser l’autre, de son amour ou de sa haine, c’est selon. C’est le monopole qu’elle veut et cela va de la scierie familiale à la vie de ses enfants. Elle apparaît comme une pieuvre géante et on prend conscience encore davantage dans ce tome de quelle horrible personne, étouffante, manipulatrice et possessive elle est. Elinor paraît presque sympathique à côté. Pourtant, elle est tout aussi monstrueuse et bien plus cruelle.
Pour commencer, le cheval de bataille de la matriarche sera la digue puisqu’Elinor hait ce projet. Et quoi de mieux pour agacer sa belle-fille que d’héberger sous son toit, dans la chambre qu’elle occupait bien entendu, l’ingénieur chargé de l’étude de terrain ? 
Mais Mary-Love joue sans le savoir avec le feu. Obnubilée par Elinor, elle pourrait perdre son soutien le plus précieux : sa fille Sister qu’elle considère comme un prolongement d’elle-même. L’obéissante Sister en a peut-être assez d’être malheureuse et soumise, il se pourrait bien que l’exemple de son frère, même s’il est passé d’une mère dominatrice à une femme plus subtile mais tout aussi dirigiste, pourrait l’inspirer et lui donner l’occasion de démontrer qu’elle est bien la fille de sa mère.
Ce roman est encore plus passionnant que le précédent. On navigue en eaux troubles et chaque méandre de la rivière semble prêt à nous avaler. Le lecteur est, avec la petite Zaddie, un témoin privilégié (si l’on peut dire) des événements. Or, s’il est bien caché derrière le rempart infranchissable qu’est son livre, je me demande bien ce qui protège l’adolescente. Est-ce, comme je le crois, sa nature féminine qui la préserve ? Pourtant une autre femme n’a pas échappé aux foudres d’Elinor. Je suis donc très curieuse de savoir ce qui arrivera à Zaddie en particulier, d’autant que j’aime beaucoup ce personnage.
À n’en pas douter, cette saga est une histoire de femmes et pas seulement parce qu’elle figure un échiquier occupé d’une part par les pions de Mary-Love et d’autre part par ceux d’Elinor. Oscar, tout naïf qu’il peut l’être parfois, l‘a bien compris et s’en accommode. Avec l’aveu de son incompétence face à ces caractères en acier trempé, il se trouve en mesure d’accéder à une compréhension plus subtile. Il sait depuis le début qu’il n’a pas la main et ne cherche pas à la prendre, mais il n’en est pas pour autant un pion totalement aveugle à l’échiquier sur lequel il se trouve. Au contraire, il semble de plus en plus prendre la mesure de la partie qui se joue et vouloir participer en toute conscience.
Ce tome montre d’ailleurs combien les enfants de Mary-Love ont été sous-estimés par leur mère et par une grande partie, sinon toute, la communauté. Tous deux sont plus fins qu’on pourrait le croire et il faudra compter avec eux non comme des pions mais comme des lieutenants prêts à servir une cause si elle est dans leur intérêt.
Comme la digue qui donne à Perdido une nouvelle allure, la famille Caskey se redéfinie et se métamorphose. Dans ce volume des personnages que l‘on pensait secondaires et anecdotiques s’ancrent à Perdido et provoquent de nombreux remous. La famille s’étend, tisse de nouveaux liens ou en répare d’anciens et les pouvoirs s’équilibrent une fois encore de façon inattendue.
Je n’aurais jamais cru pouvoir me passionner autant pour des histoires de famille ! Pourtant j’ai dévoré ce volume et pas seulement à cause de sa dimension fantastique, même si elle est encore plus sombre et prégnante que dans le précédent.
J’aime en particulier Ivey et ses superstitions. On ne sait jamais si elle a une conscience plus acérée des choses ou si elle se contente d’amalgamer et de véhiculer les peurs de tous. Et des peurs, il y en a à Perdido. Elles glissent dans les recoins sombres tels des serpents d’eau à l’affût de la moindre proie. Un instant de faiblesse et ils vous mordent.
C’est du Fantastique comme je les aime, un soupçon d’effroi, d’étranges rituels, de la magie noire, des âmes tourmentées réclamant vengeance et des scènes que les personnages s’efforcent d’oublier et de ranger dans un tiroir tels de vieux rêves chiffonnés qui refusent de s’effilocher assez pour disparaître.
Certaines scènes sont clairement horrifiques et il y en a une que j’ai trouvée particulièrement éprouvante, cependant, si comme moi vous n’affectionnez pas les récits trop sanglants, sachez que celui-ci est tout à fait soutenable. L’horreur rampe parfois hors de la rivière tel un brouillard épais, mais se dissipe vite. C’est le Fantastique qui imprègne le récit, plus inquiétant qu’effrayant.
Je n’ai pas pour habitude d’enchaîner les tomes d’une série, mais si j’avais le troisième sous la main, je serais déjà en train de le lire. Cette saga est décidément aussi excellente qu’addictive.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire