vendredi 5 décembre 2014

Morwenna

Un roman de Jo Walton publié aux éditions Denoël.
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Morwenna
Présentation de l'éditeur :
Morwenna Phelps, qui préfère qu'on l'appelle Mori, est placée par son père dans l'école privée d'Arlinghurst, où elle se remet du terrible accident qui l'a laissée handicapée et l'a privée à jamais de sa sœur jumelle, Morganna. Là, Mori pourrait dépérir, mais elle découvre le pouvoir des livres de science-fiction. Delany, Zelazny, Le Guin et Silverberg peuplent ses journées, la passionnent.
Un jour, elle reçoit par la poste une photo qui la bouleverse, où sa silhouette a été brûlée. Que peut faire une adolescente de seize ans quand son pire ennemi, potentiellement mortel, est une sorcière, sa propre mère qui plus est? Elle peut chercher dans les livres le courage de combattre.
Ode à la différence, journal intime d'une adolescente qui parle aux fées, Morwenna est aussi une plongée inquiétante dans le folklore gallois. Ce roman touchant et bouleversant a été récompensé par les deux plus grands prix littéraires de la science-fiction : le prix Hugo et le prix Nebula. Il a en outre reçu le British Fantasy Award.
Morwenna, dite Mori, est une adolescente un peu à part, qui croit aux fées et en la magie. Elle a 15 ans, souffre encore physiquement des séquelles d’un accident et demeure surtout profondément traumatisée par la mort de sa jumelle. Elle s’est enfuie de chez sa mère pour atterrir chez un père qu’elle n’a jamais connu. Elle a quitté son Pays de Galles natal et, s’il n’est pourtant pas si loin, elle se sent vraiment en pays étranger, d’autant plus qu’on l’envoie en pension dans un établissement scolaire huppé où elle ne se sent pas du tout à sa place.
Ce roman, de son titre original Among Others (tellement bien trouvé au regard du récit lui-même), est écrit sous forme de journal. Morwenna y consigne ses réflexions à propos de ses lectures et de sa vie en général. Elle ne trouve de réconfort que dans la lecture, du moins au début.
Dans les premières entrées de son journal, que d’ailleurs elle écrit en miroir, ce que je trouve très significatif, on sent l’opposition entre le « nous » et le « je », comme une rupture entre le passé et le présent. Morganna et Morwenna sont un peu comme Castor et Pollux ; Mori se sent entre deux mondes, à la fois morte et vivante, depuis le décès de sa jumelle. Le fantastique est savamment employé, l’adolescente est prise dans une perpétuelle oscillation entre deux mondes : le réel, avec son quotidien à l’école, sa solitude et ses soucis, puis le symbolique dans lequel elle pratique une magie simple, mais tortueuse, et où se meuvent ces fées qu’elle pense voir.
Cette histoire se déroule à la fin des années 70, époque marquante en ce qui concerne la SF, ce qui donne une saveur particulière au roman. Morwenna est une jeune fille fragile, mais combative, intelligente et touchante. Elle a vraiment l’impression d’être en quête, bien qu’elle ne sache pas forcément de quoi au départ quand elle essaie juste de limiter la casse et de se protéger de l’influence maternelle.
Les livres sont sa planche de salut, elle en dévore au moins deux par jour. En vraie lectrice compulsive, Morwenna parle beaucoup de ses lectures, surtout au début quand elle n’a pas grand-chose d’autre dans sa vie. Elle évoque de très nombreux titres. J’ai dû à peine lire le quart d’entre eux et pas forcément ceux qui lui donnent le plus à réfléchir, notamment les écrits de Delany. Cependant, je n’ai pas trouvé cela gênant, même si je me suis renseignée un minimum pour certains. Des références plus pointues sur ces textes aideraient sans doute à mieux la comprendre, mais d’un autre côté cela donne aussi envie de les lire.
Cela peut parfois sembler un peu ennuyeux pour qui n’est pas particulièrement bibliophile, Morwenna enchaîne tant de titres d’ouvrages, mais si on la comprend, si on sait qu’elle cherche à la fois à se protéger et à vivre dans ce monde grâce aux livres, on voit les choses sous un autre angle, au-delà de cette simple énumération. Les livres la nourrissent, la protègent, la guérissent, l’aident à grandir, comme une nouvelle gestation. Loin de chez elle, parmi des gens qui ne la comprennent pas, privée de sa sœur alors qu’elles n’avaient jamais mis de limite de personnalité entre elles deux, blessée, détestée par sa mère et près d’un père effacé qu’elle ne connaît pas, il ne lui reste plus que sa passion pour la littérature. En cela, je me suis sentie très proche d’elle.
Ce qui doit être retenu, selon moi, est que les livres sont sa manière de se confronter au monde, elle est en état de choc, c’est sa seule façon de l’appréhender sans devenir cinglée, comme une thérapie en quelque sorte. Ainsi elle a, sur les romans qu’elle lit ou la vie en général, des réflexions intéressantes alors que d’autres la feraient passer pour une complète extraterrestre. Elle ne sait tout simplement pas comment vivre parmi les autres. Parfois elle semble vraiment perturbée, le plus souvent déconnectée à tout le moins. Elle consterne le lecteur ou lui inspire un élan de tendresse. Elle est socialement inapte, ne connaît pas du tout les codes, mais c’est une fille attachante derrière sa froideur analytique et son pragmatisme qui tranchent face à ses croyances ésotériques. Elle a juste besoin de trouver des gens qui peuvent la comprendre et l’aimer telle qu’elle est.
Sa sœur est comme un fantôme mélancolique, symbolisant l’enfance qui disparaît et cette part de Mori dont elle se sent amputée. On la voit guérir peu à peu, chercher sa place et sa personnalité en tant qu’individu et non plus comme la moitié d’une paire de jumelles. C’est émouvant, on ne peut que se prendre d’affection pour elle.
La mère de Mori demeure par contre une présence malveillante qui plane comme une ombre sur la vie de sa fille, parfois discrète, d’autres fois pesante et inquiétante. Elle lui envoie des photos sur lesquelles elle lui a brûlé le visage. Est-elle réellement une sorcière comme sa fille le prétend ou juste une mère abusive complètement folle dont sa famille n’a pas su la protéger ? On se pose beaucoup de questions sur ce qui est arrivé aux jumelles et j’ai beaucoup aimé que les réponses ne viennent que petit à petit.
C’est une belle lecture, jamais trop glauque, le fantastique est subtil la plupart du temps et je me suis un peu retrouvée dans cette adolescente amatrice de SF. J’ai aimé la voir grandir et tenter de se libérer de son passé.
Le seul point négatif se trouve pour moi dans les derniers chapitres qui m’ont semblé abominaffreusement niais par moment. Je n’aime pas du tout le personnage de Wim dont le seul intérêt est selon moi la forme de faux palindrome de son prénom… (Je sais, j’ai un souci avec ça…) Ce qui me gêne principalement avec lui est qu’il casse la dynamique fantastique de l’histoire en s’invitant dans le monde symbolique de Mori, alors que là n’est pas sa place. C’est vraiment dommage, cela a presque réussi à gâcher ma lecture. Néanmoins ce récit m’a tant apporté que je peux bien lui pardonner.
Ce roman ne plaira pas à tout le monde. Il faut avoir envie de s’enterrer vivant avec Morwenna dans son quasi autisme. C’est une fille intelligente, mais vraiment déconnectée, et sa pensée, bien que réfléchie et pragmatique, peut se révéler aussi vive et claire que lourde et hachée. Quant à moi, j’ai trouvé passionnante l’histoire de cette jeune fille et je crois qu’elle séduira sûrement les amateurs de fantastique, de merveilleux, les bibliovores de tous poils, surtout ceux qui sont férus de SFFF, les gens prêts à croire et ceux qui aiment les personnages très développés.
En chaque grand lecteur, il y a forcément un peu de Morwenna. Ce roman a mérité sa place dans mon carnet nuit, réservé aux ouvrages les plus marquants dans ma vie de lectrice.

Je vous invite également à consulter les avis de Lune et Méli.

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