jeudi 10 mars 2022

Un éclat de givre

Un roman d'Estelle Faye, publié chez ActuSF.

Vous pouvez également consulter mon avis sur la suite : Un reflet de lune.

Présentation de l'éditeur :

Paris devenue ville-monstre, surpeuplée, foisonnante, étouffante, étrange et fantasmagorique. Ville-labyrinthe où de nouvelles Cours des Miracles côtoient les immeubles de l’Ancien Monde. Ville-sortilège où des hybrides sirènes nagent dans la piscine Molitor, où les jardins dénaturés dévorent parfois le promeneur imprudent et où, par les étés de canicule, résonne le chant des grillons morts. Là vit Chet, vingt-trois ans. Chet chante du jazz dans les caves, enquille les histoires d’amour foireuses, et les jobs plus ou moins légaux, pour boucler des fins de mois difficiles.

Aussi, quand un beau gosse aux yeux fauves lui propose une mission bien payée, il accepte sans trop de difficultés. Sans se douter que cette quête va l’entraîner plus loin qu’il n’est jamais allé, et lier son sort à celui de la ville, bien plus qu’il ne l’aurait cru.

Dans un futur délabré survie une petite enclave parisienne, vestige d’une humanité qui envers et contre tout persiste. Au cœur de ce Paris fantasque et pour le moins rétrofuturiste les luttes de pouvoir sont légion entre les différentes corporations qui se sont formées pour mieux s’approprier des territoires et assurer leur pérennité. Et bien sûr ce lieu est le terreau idéal pour les sectes, à tendance apocalyptique de préférence, et les superstitions en tous genres.
Il y a une certaine poésie dans la dérive de cette ville-monde — ville-monstre parfois — et dans les diverses strates qui ont abouti à ce résultat. La façon dont Estelle Faye a réorganisé l’espace et donné corps à une ville où cohabitent, non sans heurts, un passé — dont les échos s’échelonnent en couches hétérogènes comme pour mieux perdre le lecteur entre moyen-âge et siècle des lumières — et les ruines d’une technologie futuriste souvent délétère ou devenue obsolète est fascinante. Pour moi, Un éclat de givre est sans nul doute son chef-d’œuvre.
Dans ce monde en déliquescence navigue Chet, artiste et un tas d’autres choses à ses heures perdues — il faut bien payer le loyer et l’art ne nourrit pas son homme, même à deux siècles du nôtre. Ce personnage à lui tout seul vaut la rencontre : genderfluid, résolument pansexuel et sans doute trop sentimental pour son propre bien, il a une fâcheuse tendance à se mettre dans le pétrin et à y entraîner ses proches. Il est aussi attachant qu’exaspérant. Malgré tout ce qu’il peut prétendre, il a des valeurs et se soucie des autres, néanmoins il est aussi très centré sur lui-même et surtout sur ses désirs. Chet est un être qui vit à travers ses sens plutôt que sa raison. Cela peut le rendre assez déroutant parfois. Il semble fait de multiples éclats qu’il peine à rassembler.
Il est insaisissable et perdu dans une intrigue aussi labyrinthique que sa ville. Si l’humanité vivote depuis un siècle (recluse, tassée sur elle-même sans savoir s’il existe d’autres colonies), il n’en faudrait pas beaucoup pour anéantir l’enclave. Or il fait chaud, très chaud. Pourtant une partie de la population, en proie à une nouvelle drogue, ne semble pas incommodée par la canicule. Chet, bien malgré lui, va se trouver mêlé au complot quand on lui demande de dénicher un dealer. Jusqu’à ce que l‘affaire lui devienne personnelle et que la survie de l’enclave en dépende.
Vous découvrirez dans le sillage de Chet une végétation pleine de surprises, loin d’être toutes agréables, des créatures étranges entre mythes et manipulation génétiques et des enfants aux pouvoirs psychiques qui jouent les marionnettistes. Vous verrez aussi qu’apocalypse ou pas, l’humanité garde les mêmes travers.
Comme vous l’avez compris, j’aime particulièrement Un éclat de givre et c’est toujours un plaisir de le redécouvrir, d’autant plus dans une belle édition et avec une nouvelle en bonus.
Ladite nouvelle ne m’a pas séduite, cependant sa qualité n’est pas en cause. Elle est très mélancolique, romantique au sens littéraire du terme, mais dérangeante, en tout cas pour ma sensibilité. Si vous aimez cet univers, elle devrait toutefois vous plaire.

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